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Assassinat de Rosa Luxemburg. Ne pas oublier!

Le 15 janvier 1919, Rosa Luxemburg a été assassinée. Elle venait de sortir de prison après presque quatre ans de détention dont une grande partie sans jugement parce que l'on savait à quel point son engagement contre la guerre et pour une action et une réflexion révolutionnaires était réel. Elle participait à la révolution spartakiste pour laquelle elle avait publié certains de ses textes les plus lucides et les plus forts. Elle gênait les sociaux-démocrates qui avaient pris le pouvoir après avoir trahi la classe ouvrière, chair à canon d'une guerre impérialiste qu'ils avaient soutenue après avoir prétendu pendant des décennies la combattre. Elle gênait les capitalistes dont elle dénonçait sans relâche l'exploitation et dont elle s'était attachée à démontrer comment leur exploitation fonctionnait. Elle gênait ceux qui étaient prêts à tous les arrangements réformistes et ceux qui craignaient son inlassable combat pour développer une prise de conscience des prolétaires.

Comme elle, d'autres militants furent assassinés, comme Karl Liebknecht et son ami et camarade de toujours Leo Jogiches. Comme eux, la révolution fut assassinée en Allemagne.

Que serait devenu le monde sans ces assassinats, sans cet écrasement de la révolution. Le fascisme aurait-il pu se dévélopper aussi facilement?

Une chose est sûr cependant, l'assassinat de Rosa Luxemburg n'est pas un acte isolé, spontané de troupes militaires comme cela est souvent présenté. Les assassinats ont été systématiquement planifiés et ils font partie, comme la guerre menée à la révolution, d'une volonté d'éliminer des penseurs révolutionnaires, conscients et déterminés, mettant en accord leurs idées et leurs actes, la théorie et la pratique, pour un but final, jamais oublié: la révolution.

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Avec Rosa Luxemburg.

1910.jpgPourquoi un blog "Comprendre avec Rosa Luxemburg"? Pourquoi Rosa Luxemburg  peut-elle aujourd'hui encore accompagner nos réflexions et nos luttes? Deux dates. 1893, elle a 23 ans et déjà, elle crée avec des camarades en exil un parti social-démocrate polonais, dont l'objet est de lutter contre le nationalisme alors même que le territoire polonais était partagé entre les trois empires, allemand, austro-hongrois et russe. Déjà, elle abordait la question nationale sur des bases marxistes, privilégiant la lutte de classes face à la lutte nationale. 1914, alors que l'ensemble du mouvement ouvrier s'associe à la boucherie du premier conflit mondial, elle sera des rares responsables politiques qui s'opposeront à la guerre en restant ferme sur les notions de classe. Ainsi, Rosa Luxemburg, c'est toute une vie fondée sur cette compréhension communiste, marxiste qui lui permettra d'éviter tous les pièges dans lesquels tant d'autres tomberont. C'est en cela qu'elle est et qu'elle reste l'un des principaux penseurs et qu'elle peut aujourd'hui nous accompagner dans nos analyses et nos combats.
 
Voir aussi : http://comprendreavecrosaluxemburg2.wp-hebergement.fr/
 
23 mai 2013 4 23 /05 /mai /2013 11:11

Une nuée chargée d’orage impérialiste s’est levée dans le monde capitaliste.

 

Quatre grandes puissances d’Europe - la France, l’Allemagne, l’Angleterre et l’Espagne - sont directement impliquées dans un trafic qui a pour enjeu le destin du Maroc et par la même occasion, celui de plusieurs vestes territoires du “continent noir” considérés ici et là comme des “compensations”. Chaque jour une dépêche annonce l’état des négociations et avec elle les espoirs et les craintes montent de manière brusque et désordonnée. Jaillira-t-il de cette nouvelle nuée orageuse l’éclair d’une guerre meurtrière ou bien l’orage menaçant va-t-il se dissiper et prendre l’aspect d’une tractation “pacifique” faisant passer quelques lambeaux de l’univers d’une poigné de fer du militarisme européen à une autre? C’est à l’heure actuelle la question qui préoccupe des milliers d’êtres humains. Et, pour trouver une réponse à cette question tous les regards, pleins d’inquiétude, se dirigent vers la porte close d’une pièce où deux hommes d’Etat confèrent ensemble : l’ambassadeur français Cambon et le secrétaire d’Etat allemand Kilderlen-Wacher. Cependant il n’est un secret pour personne que les deux hommes d’Etat n’ont aucun pouvoir propre et ne sont que de pauvres pantins en carton mis en mouvement par une ficelle dont le bout est entre les mains d’une clique de quelques grands capitalistes. Guerre et paix, le Maroc en échange du Congo ou le Togo pour Tahiti, ce sont là des questions où il y va de la vie de milliers de personnes, du bonheur ou du malheur de peuples entiers. Une douzaine de chevaliers de l’industrie racistes laissent de fins commis politiciens réfléchir et marchander sur ces questions comme on le fait au marché pour la viande ou les oignons, et les peuples attendent la décision avec angoisse tel des troupeaux de moutons conduits l’abattoir. C’est là une image d’une brutalité si révoltante et d’une bassesse si grossière qu’elle devrait remplir de rage tous ceux qui ne sont pas directement intéressés par ce trafic sordide. Cependant l’indignation morale n’est pas la règle et l’arme avec lesquelles on pourrait avoir prise sur les péripéties de la politique capitaliste mondiale. Pour le prolétariat conscient il s’agit avant tout de saisir l’affaire marocaine dans sa signification symptomatique, faire l’estimation de ses larges connexions et de ses conséquences. Mais on peut déjà dire que l’aventure politique mondiale récente est riche d’enseignements pour la conscience politique du prolétariat 


La crise marocaine est avant tout une satire impitoyable de la farce du désarmement des Etats capitalistes et leurs bourgeoisies. En Angleterre et en France, hommes d’Etat et parlementaires exprimaient en de belles phrases la nécessité de réduire les dépenses concernant les instruments de meurtre et de substituer à la guerre barbare les rapports civilisés de la procédure arbitrale. En Allemagne le chœur libéral s’est joint avec enthousiasme aux sons de cette musique de paix. Aujourd’hui, les mêmes hommes d’Etat et les mêmes parlementaires s’échauffent pour une aventure politique coloniale menant les peuples au bord du précipice d’une guerre mondiale. Le chœur libéral en Allemagne, lui aussi, s’est enthousiasmé pour cette aventure grosse d’une guerre comme jadis pour les déclamations de paix. Ce soudain changement de scène montre une nouvelle fois que les propositions de désarmement et les démonstrations de paix du monde capitaliste ne sont rien et ne peuvent être rien d’autre qu’un décor qui de temps en temps est bon pour la comédie, politique, mais qui est cyniquement écarté quand les affaires deviennent sérieuses. Espérer quoique ce soit d’une quelconque tendance de paix de la société capitaliste et mise sur elle, serait pour le prolétariat la plus folle des illusions.

 
En outre, dans la question marocaine s’exprime de nouveau clairement la relation intime entre la politique mondiale et la situation marocaine, où il suffit d’un rien pour précipiter l’Allemagne dans une guerre sanglante, changera fortement en tout cas la situation générale actuelle ainsi que celle que les possessions coloniales de l’Allemagne. Elle a surgi exactement comme pour la campagne chinoise et plus tard l’affaire algérienne, au moment des vacances parlementaires. La représentation suprême élue du peuple allemand, le Reichstag, est totalement exclu des décisions et des évènements les plus importants et les plus lourds de conséquences. Seul un régime personnel avec ses hommes de peine - lui-même instrument irresponsable entre les mains d’une clique irresponsable - agit selon son bon plaisir avec le destin de 64 millions d’allemands comme si l’Allemagne était un Etat despotique oriental. Les discours impériaux de Königsberg et de Marienburg sont devenus clairs : l’instrument du ciel joue dans la plénitude de sa souveraineté, ou plutôt il est joué au dos du peuple, par quelques cliques capitalistes avides de rapine. Le monarchisme et ses béquilles, les junkers conservateurs bellicistes, sont les principaux coupables dans l’aventure marocaine.

 
Non moindre est la force agissante de la puissance navale et militaire qui perce à travers la diplomatie allemande dans l’affaire marocaine, puissanceinsensée et qui n’est rien d’autre que cette pression brutale des tas de canons et de bateaux cuirassés amoncelés au fil des décennies, qui soi-disant servaient de remparts indispensables de la paix, et maintenant rendent les responsables de la politique allemande actuelle si audacieux et si belliqueux. Ce “saut de panthère” de la politique étrangère qui, dans ses développements futurs sera peut-être pour le peuple allemand chargé de toutes sortes de conséquences fatales, nous le devons avant tout à ces partis bourgeois qui ont chargé et soutenu l’armement incessant de l’impérialisme allemand. En tête marche avec cette tâche de sang sur le front l’hypocrite parti du centre qui, en 1900, s’est servi du mémorable redoublement des effectifs de la flotte allemande de combat pour se hisser au rang de parti gouvernemental. Non moindre est la responsabilité incombant au libéralisme piteux, dont seul l’exemple de la montée du militarisme peut mesurer la chute progressive depuis un quart de siècle. L’échec total est l’ultime fin misérable du libéralisme bourgeois, eu égard à la puissance percé en avant du militarisme foulant aux pieds et écrasant démocratie, parlementarisme et réforme sociale.

 
Cependant, c’est justement parce que le cours le plus récent de la politique mondiale avec son aventure actuelle n’est que l’émanation logique dudéveloppement économique et politique de la société bourgeoise de classe qu’il a un côté révolutionnaire faisant son chemin au-delà de la misère immédiate et caractère momentanément arrogant de ce cours. La signification historique du conflit marocain ramenée à son expression la plus simple et la plus crue, c’est la lutte concurrentielle entre les représentants du capitalisme européen pour l’app ropriation de la pointe nord-ouest du continent africain et son engloutissement par le capital.

 
C’est ce qu’exprime chaque séquence de l’évolution de la politique mondiale. Mais la “Némésis” du capitalisme veut que plus ce dernier dévore le monde et plus il sape lui-même ses propres racines. Au même moment où il se prépare à introduire “l’ordre” capitaliste dans les rapports primitifs des tribus de pasteurs et des villages de pécheurs marocains isolés du monde, s’écroule déjà l’ordre crée par lui à tous les coins et confins des autres continents. Ces flammes de la Révolution brûlent en Turquie, en Perse, à Mexico, à Haïti, elles lèchent calmement les édifices de l’Etat au Portugal, en Espagne, en Russie. Partout l’anarchie, partout les intérêts des peuples et les forces du progrès et du développement se rebellent contre le gâchis de l’ordre bourgeois. Et c’est ainsi que la campagne récente du Capital pour de nouvelles conquêtes n’est que le chemin qui le mène vers sa propre tombe. L’aventure marocaine ne sera finalement, comme chaque épisode de la politique mondiale qu’un pas vers l’accélération de l’effondrement capitaliste.


Dans ce procès, le prolétariat, avec sa conscience de classe, n’est pas appelé à regarder passivement l’écroulement de l’ordre de la société bourgeoise. La maîtrise consciente de la signification cachée de la politique internationale et ses conséquences n’est pas pour la classe des travailleurs une philosophie abstraite, mais bien au contraire, le fondement intellectuel d’une politique dynamique. L’indignation morale n’est certes pas en soi une arme contre l’économie criminelle du capitalisme, mais elle est, comme dit Engels, un véritable symptôme réel reflètent la contradiction entre la société régnante, les sentiments de justice et les intérêts des masses du peuple. La tache et le devoir de la social-démocratie consistent maintenant à exprimer avec autant de clarté que possible cette contradiction. Non seulement l’avant-garde organisée du prolétariat mais les couches les plus larges du peuple travailleur doivent se soulever dans un torrent de protestations contre le nouveau raid de la politique internationale capitaliste. Le seul moyen efficace pour lutter contre le crime de la guerre et de la politique coloniale, c’est la maturité intellectuelle et la volonté résolue de la classe des travailleurs qui, par une rébellion impliquant tous les exploités et les dominés changera la guerre mondiale infâme, conçue dans les intérêts du capital, en une paix mondiale et en une fraternisation socialiste des peuples.

 

Un des premiers textes de Rosa Luxemburg publié sur le blog: c'était en décembre 2007. c.a.r.l.


31 mars 1905 - 1er juillet 1911

Du «coup de Tanger» au «coup d'Agadir»

Le 31 mars 1905 survient le «coup de Tanger», à l'initiative de l'empereur d'Allemagne Guillaume II. Il va précipiter la mainmise de la France sur le sultanat du Maroc. Ce pays qui avait conservé son indépendance contre vents et marées pendant douze siècles va devoir supporter le protectorat français pendant quatre décennies.

André Larané, un sultanat convoité

Depuis qu'elle a occupé et colonisé l'Algérie, la France se préoccupe de la sécurité des confins algéro-marocains et lorgne sur le sultanat voisin, l'un des derniers pays indépendants d'Afrique. Ses commerçants et entrepreneurs s'y montrent très actifs, notamment à Casablanca, un port de création récente. En concluant en 1904 l' Entente cordiale, la Grande-Bretagne accepte le principe d'un protectorat français sur le Maroc. Mais l'empereur allemand Guillaume II, quelque peu mégalomaniaque, ne l'entend pas de cette oreille. Non content de sa suprématie sur le continent européen, il veut avoir sa part des conquêtes coloniales. En vue de prévenir la mainmise de la France sur le Maroc, il débarque théâtralement à Tanger, au nord du sultanat, traverse la ville à cheval, à la tête d'un imposant cortège, et va à la rencontre du sultan Abd-ul-Aziz pour l'assurer de son appui. Ce «coup de Tanger» entraîne une poussée de germanophobie en France et la démission du ministre français des Affaires étrangères, Théophile Delcassé.Il débouche aussi sur la réunion l'année suivante, du 16 janvier au 7 avril 1906, d'une conférence internationale à Algésiras, au sud de l'Espagne. Elle confirme l'indépendance du Maroc (indépendance qui ressemble plutôt à une mise sous tutelle internationale). Elle rappelle le droit d'accès de toutes les entreprises occidentales à son marché... Mais au grand dam de Guillaume II, elle établit aussi implicitement des «droits» particuliers de la France sur l'empire chérifien: c'est ainsi que la France et l'Espagne se voient confier la police des ports marocains et un Français est chargé de présider la Banque d'état du Maroc.

Pénétration française. Par approches successives, la France va finir par imposer son protectorat au sultan. En 1907, le général Lyautey occupe Oujda, une grande ville proche de la frontière avec l'Algérie. Là-dessus, le massacre d'ouvriers européens dans le grand port de Casablanca détermine l'envoi d'un corps de troupes qui occupe le port et la région voisine de la Chaouia sous le commandement du général Drude. En septembre 1908, le Maroc revient au coeur de la rivalité franco-allemande avec l'arrestation à Casablanca, par la police française, de soldats de la Légion étrangère que les agents consulaires allemands aident à déserter ! Après des menaces de part et d'autre, Berlin et Paris conviennent de calmer le jeu avec l'accord économique du 9 février 1909 qui prévoit d'associer Français et Allemands dans toutes les entreprises marocaines qui leur tomberaient entre les mains.
L'«incident d'Agadir» Là-dessus, le faible Abd-ul-Aziz est renversé par son frère Moulay Hafiz. Mais celui-ci, assiégé dans Fès par les tribus berbères du Moyen Atlas, appelle les Français à son aide. Ces derniers ne se font pas prier. En avril 1911, une armée occupe les villes impériales de Rabat, sur la côte atlantique, Fès et Meknès dans le Moyen Atlas. L'Allemagne y voit une violation des accords signés à Algésiras cinq ans plus tôt. Elle envoie la canonnière Panther vers Agadir sous le prétexte de protéger les entreprises de la région et plus sérieusement pour marquer son territoire et signifier à la France qu'elle n'a pas tous les droits au Maroc. Les gouvernements français et britannique en sont informés le 1er juillet 1911. L'empereur Guillaume II est surpris par la vivacité de la réaction britannique : le Premier ministre David Lloyd George affiche sans ambiguïté sa solidarité avec Paris et ne craint pas de menacer Berlin. Les diplomates français sont eux-mêmes prêts à l'affrontement... La Grande Guerre que d'aucuns espèrent va-t-elle éclater sur ce futile différend? Finalement, l'affaire se résout grâce à la politique d'apaisement du président du Conseil français, Joseph Caillaux. A juste titre convaincu qu'une guerre entraînerait la ruine de l'Europe, il manoeuvre avec une sage modération de concert avec le baron de Lancken, conseiller à l'ambassade d'Allemagne à Paris et intime de Guillaume II. On aboutit ainsi à un traité franco-allemand le 4 novembre 1911, avec un échange de territoires en Afrique équatoriale, entre le Cameroun, colonie allemande, et le Congo, colonie française. L'Allemagne concède par ailleurs à la France une entière liberté d'action au Maroc. Ce traité d'apaisement est ressenti de part et d'autre comme une lâche concession à l'ennemi. A la tribune du Sénat français, Georges Clemenceau lance: «De bonne foi, nous voulons la paix... Mais enfin, si on nous impose la guerre, on nous trouvera. Nous venons d'une grande histoire, nous entendons la conserver». Joseph Caillaux doit céder le pouvoir le 11 janvier suivant à Raymond Poincaré (en 1917, en pleine guerre mondiale, il échappera de peu à une condamnation à mort réclamée par Clemenceau).
Un protectorat «éclairé». En attendant, le nouveau gouvernement ne perd pas de temps et dès le 30 mars 1912, il officialise le protectorat de la France sur l'empire chérifien par une convention signée à Fès avec le sultan. La France complète ainsi sa domination sur l'Afrique du Nord (Maroc, Algérie, Tunisie)... pour moins d'un demi-siècle. Le général Hubert Lyautey, nommé «résident général» auprès du sultan, entreprend avec succès la soumission des tribus rebelles, puis il se consacre à la mise en valeur du pays dans le respect de ses traditions. Il multiplie les infrastructures, ports, routes, voies ferrées... Il encourage aussi l'exploitation des phosphates, principale ressource minérale du pays, dans le cadre d'un monopole confié au gouvernement du sultan. Après le départ de Lyautey, toutefois, Paris en viendra à des pratiques plus autoritaires et autrement moins généreuses. -
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7 avril 2013 7 07 /04 /avril /2013 17:53

comprendre-avec-rosa-luxemburg.over-blog.com

Le site bataille socialiste continue à assurer un travail d'information de grande qualité. La reprise de cette lettre, essentielle, de Rosa Luxemburg en témoigne. Elle fait partie en effet de ces documents qui permettent mieux que d'autres de comprendre les positions au sein de l'Internationale, du mouvement ouvrier et la logique de celle de Rosa Luxemburg.

Contre la guerre, le militarisme, le colonialisme


Lettre à Carl Moor (Rosa Luxemburg, 1914)

par

Extrait de J’étais, je suis, je serai! (1977). Carl Moor (1852-1932) était un socialiste suisse, membre du BSI. Il fut à Zimmerwald.

A Carl Moor [1]

12.X.[19]14.

Cher Carl,


Je profite de l’occasion pour t’envoyer ces quelques lignes par une voie détournée. Avant tout, merci pour le journal [2] que je reçois maintenant à la maison. C’est si réconfortant de voir à présent dans un journal social-démocrate où on écrit comme avant; ici, la presse du parti donne la nausée.


Je n’ai pas reçu la moindre réponse de ta part à mes deux cartes postales; je suppose que tu as écrit, mais que ta réponse ne m’est pas parvenue. A l’heure actuelle, le moindre signe de vie d’un étranger qui pense comme nous est précieux à double titre. Ici, nous nous sentons coupés du monde par un double mur : celui de l’état de siège et celui de l’attitude officielle du parti [3]. Il faut te dire à toi et aux autres amis (ce n’est pas destiné à l’information du public) que ce serait une grave erreur que de penser que la position officielle du groupe parlementaire, du Comité directeur et des rédacteurs du parti correspond aux sentiments et aux aspirations de tout le parti. Au contraire, on peut constater partout une irritation croissante. On ne peut prévoir pour le moment les proportions qu’atteindra par la suite ce mécontentement, de quel côté se rangera la majorité dans la mesure où, pour le moment, les opposants à la tactique officielle du parti sont muselés et dans la mesure où la vie politique des masses est complètement étouffée.

 

L’état d’esprit aussi se modifie tout le temps, certains de ceux qui étaient pour le vote des crédits [4] ont été pris d’une crainte salutaire devant les changements qui se produisent, et aujourd’hui ils sont opposés à cette politique ou le seront demain. En même temps, une autre partie des camarades glisse chaque jour davantage vers le lit de la plus pure politique national-patriotique du gouvernement. C’est ainsi que le développement interne du parti en temps de guerre produit insensiblement un processus irréversible de décantation entre les éléments qui appartiennent à proprement parler au camp de la bourgeoisie et constituent tout au plus un parti prolétarien réformiste fortement teinté de nationalisme, dévoué à l’armée, et ceux qui ne veulent pas renoncer au noyau de la lutte de classe révolutionnaire et de l’internationalisme.

 

La lutte interne tacite a déjà commencé, bien qu’en fait nous ne souhaitions pas la poursuivre dans des conditions aussi défavorables. Mais il est à peine possible de masquer la méfiance et la haine réciproques dont les premières étincelles viennent déjà se briser à la surface. Tout le monde se rend bien compte que, lorsque la guerre s’achèvera et que sera levé l’état de siège, la lutte interne revêtira une violence incommensurable: il est tout aussi vain d’espérer qu’avec l’acuité des dissensions internes il sera possible de préserver l’unité autrefois tant vantée du parti. Seuls la guerre et l’état de siège maintiennent articifiellement notre unité. Il n’y a aucun doute là-dessus: le socialisme allemand et international est dans un état de crise comme jamais auparavant dans l’histoire, et cette guerre lui pose la question de son destin.

 

Si après la guerre on ne parvient pas à marquer une distinction absolue, authentique et sérieuse, même pour les temps de guerre, entre le socialisme international et l’impérialisme et le militarisme dans tous leurs subterfuges, alors le socialisme peut se faire enterrer, ou plutôt il aura déjà été son propre fossoyeur. C’est de cela, de la position qui sera adoptée après la guerre, que dépendra l’existence ou la non-existence du socialisme. Et, dans la mesure où ce choix revêt une importance immense à l’échelle historique mondiale, il devra être arrêté de manière concrète, honnête et réfléchie.

 

C’est pourquoi il serait important que du côté de l’Internationale on n’entreprenne pas de démarches hâtives et irréfléchies, par exemple pour convoquer aussi vite que possible une réunion du Bureau international ou une conférence. Pour l’instant, il n’y a que deux issues possibles : ou bien les représentants des différentes nations se brouilleront et refuseront de se justifier les uns les autres, ce qui serait en tout cas une confirmation regrettable de la faillite de l’Internationale, ou bien les partis belligérants se présenteront — peut-être avec la bénédiction des neutres — des excuses pour leur parfaite ignominie et, se montrant tolérants les uns envers les autres, ils déclareront que chaque parti comprend que l’autre ne pouvait agir autrement, mais alors ce serait pire encore, car cela signifierait qu’ils enterrent en fait le socialisme international en préservant l’illusion hypocrite de l’existence de l’Internationale. Par conséquent, il vaut mieux ne pas tenter de rafistoler l’Internationale avant que soit recréée une base saine et solide, et cela n’est possible que par la définition claire des positions à l’intérieur de chacun des partis nationaux.

 

Dès que nous pourrons préciser quel est l’état d’esprit de la majorité du parti en Allemagne et quelle est la position qu’elle adopte face à la guerre, et dès que les Françsis, les Anglais, les Italiens pourront faire de même, l’Internationale saura où elle en est et comment elle peut se recréer. A l’heure actuelle, toutes les tentatives convulsives pour ravauder le plus rapidement possible les fils de l’Int.[ernationale] ne peuvent être qu’un semblant de rafistolage, si toutefois elles ne sont pas animées d’un esprit encore plus répréhensible semblable à celui des missions dans les pays neutres parties de Berlin ou de Vienne et qui poursuivent l’objectif avéré de renforcer la « neutralité » dans l’intérêt de la stratégie militaire germano-autrichienne et de disposer l’étranger en sa faveur [5].


En somme, notre position à l’intérieur du parti est fort fâcheuse: il nous faut constamment concentrer toutes nos forces et faire preuve d’un grand courage pour traverser ce marais à gué. Par exemple, la résignation du Vorwärts [6] a été pour beaucoup d’entre nous un rude choc et nous avons parfois carrément honte d’avoir « presque s à participer à tout cela. Crois bien que nous nous efforçons à chaque occasion de lutter contre ce courant de débandade. Malheureusement, dans toutes les instances centrales du parti qui disposent actuellement du pouvoir extérieur, ce sont les éléments opportunistes qui dominent, toute opposition se brise, car les masses, en grande partie dispersées sur les champs de bataille, ne peuvent y opposer de résistance.


N.B.


J’ai été très contente de lire mon article dans ton journal du 30 septembre [7]. Mehring et moi-même continuons en effet à publier notre Correspondance [8] et il y a toujours un ou deux journaux qui la reproduisent (« La comédie » du 28 septembre était de Mehring [9]).


Maintenant, plusieurs demandes:


1) Sois gentil et fais publier la déclaration ci-jointe dans ton journal et dans le Volksrecht [10].

2) Ecris aux gens du Volksrecht pour leur demander de m’envoyer désormais un exemplaire du journal chaque jour (donne-leur mon adresse) et aussi les numéros anciens à partir du 1.9.

3) Ecris à Angelica Balabanoff [11] que je lui envoie en même temps une lettre par la même voie, qu’elle me confirme par carte postale (donne-lui mon adresse) qu’elle a reçu la lettre. En effet, Clara Zetkin lui a écrit il y a un mois à l’adresse de Mussolini [12] mais n’a pas reçu la moindre réponse.

4) Confirme toi-même par retour la réception de cette lettre par une carte postale anodine et dis-moi si tu vas satisfaire à mes demandes.

5) Ecris à la rédaction de l’Avanti! [13]: pour leur demander de m’envoyer aussi de suite un exemplaire de leur journal.

6) Envoie aussi la « déclaration » à l’Avanti!, car on ne peut savoir s’il la recevra par une autre voie.

Et maintenant, salutations et poignées de main cordiales à toi et à tous les amis de ma part et de la part des autres camarades qui sont restés de tout leur cœur fidèles à l’Internationale. Ecris- moi bien vite en donnant plus de détails, mais aussi en faisant plus attention, à l’adresse suivante: Monsieur Hugo Eberlein [14], Berlin-Mariendorf, Ringstrasse 82. Rien d’autre. Ainsi, je recevrai la lettre.

R. L.

Transmets mes salutations particulièrement cordiales à Otto Lang [15].


Notes:

1. Original IML, Moscou. Publié dans Niedersächsische Arbeiterzeitung n°182 du 7 août 1926.

2. La Berner Tagwacht, dont le rédacteur en chef était Robert Grimm, était en fait dirigée par Carl Moor. Ce journal allait d’ailleurs servir d’organe officieux de l’opposition de la gauche socialiste en Allemagne. Ainsi, en novembre 1914, Karl Radek se rend en Suisse « pour s’efforcer de faire jouer à la Berner Tagwacht le rôle d’organe à l’étranger de l’opposition allemande ». Clara Zetkin écrit à ce propos à Robert Grimm le 3 décembre 1914: « La Tagwacht est une joie pour nous. Nous nous jetons dessus chaque fois. Qui écrit les articles de  » Berlin  » ? ».

3. C’est-à-dire l’Union sacrée (Burgfriede).

4. Le 3 août 1914, le groupe parlementaire social-démocrate au Reichstag, le groupe vota à l’unanimité pour les crédits de guerre, la minorité se conformant à la décision de la majorité au nom de la « discipline » du parti.

5. Rosa I.uxemburg se réfère aux missions déjà entreprises par l’Autrichien W. Ellenbogen à Rome, Südekum à Stockholm et à Rome, Philipp Scheidemann en Hollande, ou bien par Wilhelm Janssen qui se rend également à Stockholm et compte aussi informer les paretis danois et norvégien. Au moment où elle écrit cette lettre, Rosa Luxemburg ne sait pas encore que Südekum a entrepris entre le 1er et le 16 octobre une nouvelle mission secrète en Roumanie. Elle en a eu vent à la mi-novembre (cf. lettre n° 239, note 78). Devenue publique, la mission de Südekum provoque des affrontements à l’intérieur du parti. A la réunion du 22 décembre 1914 de la direction du groupe parlementaire et du Comité directeur du SPD, G. Ledebour réclame la convocation du groupe parlementaire pour examiner le cas Sudekum qui « à l’insu du Comité directeur du parti s’est rendu en Roumanie envoyé par le gouvernement » et demande son exclusion du parti et du groupe parlementaire. La motion de Ledebour est rejetée.

6. Après le 4 août 1914, la rédaction de l’organe central du parti chercha à garder une certaine indépendance vis-à-vis de la direction du parti. Ph. Scheidemann affirme même que « la Commission de presse berlinoise, qui partageait à égalité avec le Comité directeur la responsabilité du Vorwärts. était entièrement contrôlée par Rosa Luxemburg ». L’aile droite à la direction du parti attendait le moment opportun pour frapper les rédacteurs rebelles au nombre de neuf qui avaient adressé dès le 3 août une protestation à la direction du parti et à la Commission de presse contre le vote des crédits de guerre. Le Vorwärts fut interdit une première fois pour trois jours le 21 septembre 1914 pour avoir publié une lettre du front. Or, le 28 septembre, le Vorwärts publiait un éditorial de Siegfried Nestriepke, vraisemblablement approuvé par le Comité directeur et intitulé « Deutschland und das Ausland » (L’Allemagne et l’étranger). Le numéro fut saisi par la censure et la   parution du Vorwärts suspendue. Il reparut le 30 septembre avec une déclaration de Hugo Haase et de Richard Fischer s’engageant à ne plus aborder en temps de guerre les thèmes « de la guerre et de la lutte des classes ». La rédaction s’inclina, et c’est à cet épisode que se réfère R.L. Il faut noter toutefois qu’elle ne fut pas matée. Le Vorwärts, dont le rédacteur en chef était Hilferding, continua à garder une ligne politique indépendante, provoquant les attaques de l’aile droite du parti, et les majoritaires ne purent exercer leur contrôle exclusif et absolu sur le Vorwärts qu’à partir d’octobre 1916.

7. Cf. lettre à Mehring du 13 septembre 1914, note 29.

8. Sozialdemokratische Korrespondenz (cf. lettre à Mehring du 8 septembre 1914, note 13).

9. Il s’agit de l’article « Komodienspiele », repris de la Bremer Bürgerzeitung et paru dans la Berner Tagwacht du 28 septembre 1914.

10. Cf. lettre n° 234. Le texte de la déclaration était joint à la lettre. Elle paraîtra en effet, outre dans la Berner Tagwacht, dans le Volksrecht de Zurich, n° 254 du 31 octobre 1914, et dans la Schwäbische Tagwacht de Stuttgart du 11 novembre 1914.

11. Angelica Balabanova (1877-1965), originaire de Russie, fut l’une des dirigeantes de l’aile gauche du Parti socialiste italien qu’elle représenta à partir de 1912 au BSI. Secrétaire de la Commission permanente du mouvement de Zimmerwald fondée en 1915, elle fut l’une des fondatrices du Komintern qu’elle quitta en 1924.

12. Benito Mussolini était à l’époque directeur de l’Avanti! et considéré depuis le Congrès de Reggio Emilia du PSI (1912) comme le principal leader de la tendance révolutionnaire du PSI. Partisan de la neutralité lors du déclenchement des hostilités — l’Italie n’entrera en guerre qu’en 1915 — , il évolua assez rapidement vers l’ « interventionnisme de gauche » et fut démis de ses fonctions à la tête de l’Avanti! quelques jours après la date de cette lettre.

13. L’Avanti!, organe central du PSI depuis décembre 1896.

14. Hugo Eberlein (1887-1944) ; dessinateur, il fit partie du groupe t Internationale ». Arrêté à deux reprises pendant la guerre, il fut envoyé au front en 1916. Elu membre de la Centrale de la Ligue Spartacus en novembre 1918, il fut chargé de la diffusion de la Rote Fahne. Membre du CC du PCA, puis émissaire du Komintern, il fut arrêté en 1937 et mourut vraisemblablement en déportation en Union soviétique.

15. Otto Lang (1863-1936), dirigeant social-démocrate suisse, juriste. Rosa Luxemburg l’avait pressenti pour l’assister dans son divorce d’avec Gustav Lübeck.

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1 mars 2013 5 01 /03 /mars /2013 11:39

comprendre-avec-rosa-luxemburg.over-blog.com

 

lux levi rosen

Rosa Luxemburg a 43 ans. Elle est accompagnée de ses avocat Paul Levi et Kurt Rosenfeld. Elle est accusée d'appel à la désobéissance en cas de conflit. Elle est condamnée à une année de prison qu'elle fera de février 1915 à février 1916. Elle fera l'essentiel de la guerre en prison ensuite sans chef d'inculpation. Libérée finalement tardivement en novembre 1918, elle ne restera libre qu'à peine deux mois. Poursuivie inlassablement pendant la révolution spartakiste, elle sera assassinée en janvier 1919, comme Karl Liebknecht, Leo Jogiches et des centaines de prolétaires. Cette photographie est l'un des symboles de sa lutte acharnée contre la guerre impérialiste.

 

Lire sur le blog sa déclaration au procès. Nous devons nous excuser. Cet article étant l'un des premiers du blog (décembre 2007), nous n'avons pas noté de quel site ou blog était reprise cette traduction!: http://comprendre-avec-rosa-luxemburg.over-blog.com/article-14454466.html


Sur le plan juridique, mes défenseurs (1) ont suffisamment montré le néant de l´acte d´accusation en ce qui concerne les faits qui me sont reprochés. Je voudrais par conséquent éclairer un autre aspect de l´accusation. Aussi bien dans les interventions de M. le procureur que dans l´acte d´accusation lui-même, ce qui prend grande importance ce ne sont pas seulement les déclarations qu´on m´impute mais, plus encore, l´interprétation qu´on en propose et la tendance que mes paroles recèleraient. A plusieurs reprises et avec beaucoup d´insistance, M. le procureur a souligné ce que, d´après lui, je savais et voulais, lorsque dans ces meetings je prononçais les paroles incriminées. Or, pour aborder cet aspect psychologique de mon discours, s´agissant de ma conscience, personne n´est sans doute plus compétent que moi, personne n´est mieux que moi en situation de fournir des éclaircissements exhaustifs. 


 D´entrée de jeu, je souhaite faire une remarque. Je suis tout à fait disposée à fournir à M. le procureur et à vous, Messieurs les Juges, ces éclaircissements exhaustifs. Pour aller tout de suite à l´essentiel, je tiens à déclarer que ce que le procureur, s´appuyant sur les rapports de ses témoins principaux, a décrit comme étant ma façon de penser, comme mes intentions et mes sentiments, n´est rien qu´une caricature plate et bornée, tant de mes discours que des méthodes d´agitation social-démocrates en général. En écoutant avec attention les déclarations du procureur, je n´ai pu m´empêcher de rire intérieurement. Je me disais : voici encore un exemple classique prouvant qu´il ne s´agit pas de posséder une culture formelle pour saisir dans leur subtilité scientifique et leur profondeur historique les modes de pensée sociaux-démocrates, pour comprendre nos idées dans toute leur complexité, dès lors que fait obstacle à cette intelligence l´appartenance à une classe sociale donnée. Si, Messieurs les Juges, de tous les gens présents aux réunions que je tenais, vous aviez interrogé l´ouvrier le plus frustre, il vous eût donné une tout autre image, une tout autre impression de ce que j´ai dit. Oui, les hommes et les femmes les plus simples du peuple travailleur sont sans doute en mesure de comprendre nos idées qui, dans le cerveau d´un procureur prussien, se reflètent comme dans un miroir déformant. Je voudrais démontrer maintenant ce que je viens de dire en examinant quelques points précis. 


M. le procureur a répété à plusieurs reprises que, même avant d´avoir prononcé les paroles qui me sont imputées à crime et qui auraient constitué l´apogée de mon discours, j´avais déchaîné la « haine » de mes auditeurs. Je déclare à ce propos : Monsieur le Procureur, nous autres sociaux-démocrates, nous ne déchaînons jamais la haine. Que signifie en effet « déchaîner la haine » ? Ai-je donc essayé d´inculquer à mes auditeurs le mot d´ordre suivant : « Si jamais, vous autres Allemands, vous vous trouvez, au cours d´une guerre, en pays ennemi, en Chine par exemple, alors conduisez-vous de telle sorte que d´un siècle un Chinois n´ose regarder un Allemand de travers » (2) ? Ah ! si j´avais parlé ainsi, alors il y aurait eu effectivement incitation à la haine. Ou bien ai-je essayé d´exciter dans les masses venues m´écouter l´arrogance nationaliste, le chauvinisme, le mépris et la haine d´autres races et d´autres peuples ? Si tel était le cas il y aurait eu effectivement incitation à la haine.  


Mais je n´ai pas tenu de tels propos et aucun social-démocrate éduqué ne tient de tels propos. Ce que j´ai fait dans ce meeting de Francfort et ce que nous faisons toujours, nous autres sociaux-démocrates, par nos paroles et nos écrits, c´est informer, faire prendre conscience aux masses laborieuses de leurs intérêts de classe et de leurs tâches historiques, leur montrer les grandes lignes du développement historique, la tendance des bouleversements économiques, politiques et sociaux qui s´accomplissent au sein de la société actuelle ; ce processus historique implique, avec une nécessité d´airain, qu´à un certain niveau de développement de l´ordre social actuel celui-ci sera inéluctablement éliminé et remplacé par l´ordre social socialiste qui lui est supérieur. Voilà l´agitation que nous menons, voilà comment, par l´action exaltante des perspectives historiques, sur le terrain desquelles nous nous plaçons, nous élevons également la conscience morale des masses. C´est de ces points de vue élevés que nous menons également notre agitation contre la guerre et le militarisme, - parce que chez nous, sociaux-démocrates, toutes nos idées s´harmonisent en une conception du monde cohérente, scientifiquement fondée. Et si M. le procureur ainsi que son pitoyable témoin à charge considèrent tout cela comme une simple excitation à la haine, la grossièreté et le simplisme de ce jugement résultent uniquement de l´incapacité du procureur à penser en termes sociaux-démocrates.  


En outre, à plusieurs reprises, M. Le procureur général à fait allusion à des appels à « assassiner leurs supérieurs » que j´aurais lancés aux soldats. Ces appels camouflés à abattre les officiers (mais, selon lui, parfaitement intelligibles pour tous) dévoileraient tout particulièrement la noirceur de mon âme et la nocivité de mes intentions. Eh bien, je vous demande de tenir pour exactes, ne fût-ce qu´un bref instant, les déclarations qu´on m´a prêtées ; réfléchissez un peu : vous serez obligés de convenir que le procureur, dans le louable dessein de me dépeindre sous les couleurs les plus noires, s´est, dans ce cas, complètement fourvoyé. Quand aurais-je en effet appelé à l´assassinat ? Et contre quels supérieurs ? L´acte d´accusation lui-même affirme que j´ai préconisé l´introduction en Allemagne du système de la milice ; j´ai indiqué que l´essentiel dans ce système c´est l´obligation pour les hommes d´emporter chez eux leurs armes individuelles - comme cela se passe en Suisse - et à ce moment, notez-le bien à ce moment, j´ai ajouté qu´il pourrait se faire que le coup de feu partît dans une direction autre que celle qui plairait aux maîtres en place. Il est donc évident que le procureur m´accuse d´avoir incité les soldats à assassiner non pas les supérieurs de l´actuelle armée allemande, mais les supérieurs de la future milice allemande. On combat avec la plus grande vigueur notre propagande en faveur du système de la milice, et dans l´acte d´accusation on m´impute précisément à crime cette propagande et, simultanément, le procureur se croit obligé de défendre la vie des officiers de cette milice honnie, que j´aurais menacée ; un pas encore et M. le procureur dans l´ardeur du combat va m´accuser d´avoir incité mes auditeurs à commettre des attentats contre le président de la future République allemande !  


Mais qu´ai-je dit en réalité s´agissant de ce qu´on appelle l´incitation à l´assassinat des supérieurs ? Quelque chose de tout à fait différent. Dans mon discours j´avais montré que d´ordinaire les défenseurs de l´actuel militarisme justifient leur position en invoquant la nécessité de la défense nationale. Si ce souci de l´intérêt national était sincère et honnête, alors, c´est ce que j´ai expliqué, les classes dominantes n´auraient qu´à mettre en pratique la revendication déjà ancienne du programme social-démocrate, c´est-à-dire le système de la milice ; car, disais-je, ce système est le seul moyen de garantir sûrement la défense de la patrie ; en effet, seul un peuple libre qui part en campagne contre l´ennemi par libre décision constitue un rempart suffisamment sûr pour la liberté et l´indépendance de son pays. C´est alors seulement que l´on pourrait chanter « Chère patrie, tu peux dormir tranquille » ! Et j´ai posé la question : pourquoi les défenseurs officiels de la patrie ne veulent-ils pas entendre parler de ce système de défense, le seul efficace ? Simplement parce que ce qui leur importe au premier chef, ce n´est pas la défense de la patrie, ce sont des guerres impérialistes, des guerres de conquête, pour lesquelles il est vrai la milice ne vaut rien. Et puis les classes dominantes craignent sans doute de mettre les armes dans les mains du peuple laborieux, parce que les exploiteurs ont mauvaise conscience et qu´ils ont peur que le coup de feu, un jour, ne parte dans une direction qui ne plairait pas aux maîtres en place.  


On voit donc que, sur rapport de son témoin numéro 1, le procureur m´attribue ce que j´ai dit de la crainte des classes dominantes comme si je l´avais pris à mon compte. Voilà qui prouve une fois encore que son incapacité totale à suivre l´argumentation social-démocrate lui brouille le cerveau.  


Toute aussi fausse est l´affirmation contenue dans l´acte d´accusation selon laquelle j´aurais recommandé de suivre l´exemple hollandais. Dans ce pays, les soldats de l´armée coloniale ont le droit d´abattre un supérieur qui les maltraite. En réalité, à propos du militarisme et des mauvais traitements infligés aux soldats, j´ai évoqué à ce moment-là la figure mémorable de Bebel, notre dirigeant, et j´ai rappelé à ce propos qu´un des chapitres les plus importants de sa vie a été la lutte qu´il a menée au Reichstag contre les sévices infligés aux soldats. Pour illustrer ce point, j´ai cité des extraits de plusieurs discours de Bebel puisés dans le compte rendu sténographique des débats du Reichstag. La loi, autant que je sache n´interdit pas ces citations. En particulier, j´ai cité les déclarations qu´il fit en 1893 sur cet usage en vigueur dans l´armée coloniale hollandaise. Vous voyez donc, messieurs, que le zèle du procureur lui a fait ici encore commettre une bévue : en tout état de cause ce n´est pas contre moi, mais contre quelqu´un d´autre qu´il aurait dû dresser son acte d´accusation.  


Mais j´en viens au point essentiel de l´accusation. Voici le grief principal du procureur : j´aurais, dans les déclarations incriminées, appelé les soldats, en cas de guerre, à ne pas tirer sur l´ennemi. Il aboutit à ce résultat par une déduction qui lui parait d´une logique contraignante. Voici le raisonnement : étant donné que je faisais de l´agitation contre le militarisme, étant donné que je voulais empêcher la guerre, je ne pouvais manifestement choisir d´autre voie, je ne pouvais envisager d´autre moyen efficace que cet appel direct aux soldats : si on vous donne l´ordre de tirer, ne tirez pas. N´est-ce pas, Messieurs les Juges, une belle conclusion, d´une concision convaincante, d´une logique irrésistible ! Permettez-moi pourtant de vous le déclarer : cette logique et cette conclusion résultent des conceptions de M. le procureur, non des miennes, non des idées de la social-démocratie. Ici je sollicite tout particulièrement votre attention. Je dis : la conclusion selon laquelle le seul moyen efficace d´empêcher la guerre consisterait à s´adresser directement aux soldats et à les appeler à ne pas tirer, cette conclusion n´est que l´envers de la conception selon laquelle tout est pour le mieux dans l´État, aussi longtemps que le soldat obéit aux ordres de ses supérieurs, selon laquelle, pour dire les choses brièvement, le fondement de la puissance de l´État et du militarisme, c´est l´obéissance passive, l´obéissance absolue (3) du soldat. Cette conception de M. le procureur se trouve harmonieusement complétée par celle du chef suprême des armées telle qu´elle a été diffusée officiellement. Recevant le roi des Hellènes à Potsdam le 6 novembre de l´an passé, l´empereur a dit que le succès des armées grecques prouve « que les principes adoptés par notre état-major général et nos troupes sont toujours les garants de la victoire s´ils sont appliqués correctement ». L´état-major avec ses « principes » et l´obéissance passive du soldat, telles sont les bases de la stratégie militaire et la garantie de la victoire. Eh bien, nous autres sociaux-démocrates, nous ne partageons pas cette façon de voir. Nous pensons au contraire que ce ne sont pas seulement l´armée, les « ordres » d´en haut et l´ « obéissance » aveugle d´en bas qui décident du déclenchement et de l´issue des guerres, mais que c´est la grande masse du peuple travailleur qui décide et qui doit en décider. Nous sommes d´avis qu´on ne peut faire la guerre que dès lors et aussi longtemps que la masse laborieuse ou bien l´accepte avec enthousiasme parce qu´elle tient cette guerre pour une guerre juste et nécessaire, ou bien la tolère patiemment. Si au contraire la grande majorité du peuple travailleur aboutit à la conviction - et faire naître en elle cette conviction, développer cette conscience, c´est précisément la tâche que nous, sociaux-démocrates, nous assignons - si, disais-je, la majorité du peuple aboutit à la conviction que les guerres sont un phénomène barbare, profondément immoral, réactionnaire et contraire aux intérêts du peuple, alors les guerres deviennent impossibles - quand bien même, dans un premier temps, le soldat continuerait à obéir aux ordres de ses chefs ! Selon la conception du procureur, c´est l´armée qui fait la guerre ; selon notre conception, c´est le peuple tout entier. C´est à lui de décider de la guerre et de la paix. La question de l´existence ou de la suppression du militarisme actuel, c´est la masse des hommes et des femmes travailleurs, des jeunes et des vieux, qui peut la trancher et non pas cette petite portion du peuple qui s´abrite, comme on dit, dans les basques du roi. 


J´ai bien tenu ce raisonnement et j´ai sous la main un témoignage classique établissant que c´est bien là ma conception, notre conception. Par hasard, je suis en mesure de répondre à la question du procureur de Francfort en citant un discours que j´ai prononcé à Francfort. Il me demandait à qui je pensais quand j´ai dit : « nous ne le ferons pas. » Le 17 avril 1910, j´ai parlé ici au Cirque Schuman, devant 6 000 personnes environ, de la lutte contre le mode de scrutin en Prusse - vous vous en souvenez, à cette époque-là, notre campagne battait son plein. Et je trouve dans le compte rendu sténographique de ce discours, page 10, le passage suivant : 


« Mesdames et Messieurs, dans notre lutte actuelle pour la réforme du système électoral prussien comme dans toutes les questions politiques importantes en Allemagne, je dis que nous ne pouvons compter que sur nous seuls. Mais nous qui est-ce ? Nous ce sont les milliers de prolétaires, hommes et femmes, de Prusse et d´Allemagne. Nous sommes beaucoup plus qu´un simple chiffre. Nous sommes les millions de ceux qui font vivre la société par leur travail de leurs mains. Et il suffit que ce fait très simple s´incruste dans la conscience des masses les plus larges du prolétariat d´Allemagne pour qu´un jour sonne l´heure où, en Prusse, on montrera à la réaction régnante que le monde peut bien vivre sans les hobereaux transelbiens, sans les comtes du Zentrum, sans conseillers secrets et à la rigueur même sans procureurs, mais qu´il ne peut pas exister, ne serait-ce que 24 heures, si les ouvriers croisent leurs bras. » 


Vous le voyez, dans ce passage, je dis clairement où se situe pour nous le centre de gravité de la vie politique et des destinées de l´État : dans la conscience, dans la volonté lucide, dans la résolution de la grande masse laborieuse. Et c´est exactement de la même manière que nous concevons la question du militarisme. Le jour où la classe ouvrière comprend et décide de ne plus tolérer de guerres, la guerre devient impossible. 


Mais j´ai bien d´autres preuves que telle est bien notre conception de l´agitation à propos des questions militaires. Je ne puis d´ailleurs m´empêcher d´exprimer ma surprise. M. le procureur se donne le plus grand mal pour triturer mes paroles en vue d´en extraire, par des interprétations, des suppositions, des déductions arbitraires, la manière dont j´aurais l´intention de lutter contre la guerre. Or il dispose sur ce sujet de preuves à foison. C´est que notre propagande antimilitariste nous ne la développons pas dans l´ombre, dans le secret, non, nous le faisons dans la lumière éclatante des réunions publiques. Depuis des dizaines d´années, la lutte contre le militarisme constitue un des points essentiels de notre agitation. Déjà à l´époque de la Première Internationale, elle a fait l´objet de discussions et de résolutions dans tous les congrès internationaux ou presque, ainsi que dans les congrès du parti allemand. M. le procureur n´aura eu qu´à puiser dans l´activité de toute une génération, et, où qu´il eût plongé la main, il eût fait des prises intéressantes. Je ne puis malheureusement étaler devant vous ici l´ensemble des documents. Permettez-moi au moins de vous citer l´essentiel. 


En 1868, le Congrès de Bruxelles de l´Internationale propose déjà des mesures pratiques en vue d´empêcher la guerre. En particulier, on lit la résolution : 


« Considérant que les peuples peuvent donc dès maintenant diminuer le nombre des guerres en s´opposant à ceux qui les font ou qui les déclarent ;
« Que ce droit appartient surtout aux classes ouvrières, soumises presque exclusivement au service militaire et qu´elles seules peuvent lui donner une sanction ;
« Qu´elles ont pour cela un moyen pratique, légal et immédiatement réalisable ;

« Qu´en effet le corps social ne saurait vivre si la production est arrêtée pendant un certain temps ; qu´il s´agit donc aux producteurs de cesser de produire pour rendre impossibles les entreprises des gouvernements personnels et despotiques ;
« Le Congrès de l´Association internationale des travailleurs réuni à Bruxelles déclare protester avec la plus grande énergie contre la guerre.
« Il invite toutes les sections de l´Association, dans leurs pays respectifs, ainsi que toutes les sociétés ouvrières et tous les groupes d´ouvriers quels qu´ils soient, à agir avec la plus grande ardeur pour empêcher une guerre de peuple à peuple, qui aujourd´hui, ne pourrait être considérée que comme une guerre civile parce que, mettant aux prises des producteurs, elle ne serait qu´une lutte entre frères et citoyens.

« Le Congrès recommande surtout aux travailleurs de cesser tout travail dans le cas où une guerre viendrait à éclater dans leurs pays respectifs. » (4) 

Je passe sur les nombreuses autres résolutions de la Première Internationale et j´en viens aux congrès de la Deuxième Internationale. Le Congrès de Zurich, en 1893, déclare : 


« La position des ouvriers vis-à-vis de la guerre est nettement fixée par la résolution du Congrès de Bruxelles sur le militarisme. La social-démocratie révolutionnaire doit s´opposer dans tous les pays, en mettant en jeu toutes les forces dont elle dispose, aux appétits chauvins de la classe dominante. Elle doit resserrer toujours davantage les liens de solidarité qui unissent les ouvriers de tous les pays et travailler sans cesse à l´élimination du capitalisme qui divise l´humanité en deux camps ennemis et dresse les peuples les uns contre les autres. La guerre disparaîtra avec l´abolition de la domination de classe. Le renversement du capitalisme, c´est la paix mondiale. » 


Le Congrès de Londres en 1896 déclare : 


« Seule la classe prolétarienne a sérieusement la volonté et le pouvoir de réaliser la paix dans le monde ; elle réclame
1º La suppression simultanée des armées permanentes et l´organisation de la nation armée ;
2º L´institution de tribunaux d´arbitrage chargés de régler pacifiquement les conflits entre nations ;
3º Que la décision définitive sur la question de guerre ou de paix soit laissée directement au peuple pour le cas où les gouvernements n´accepteraient pas la sentence arbitrale. »
 


Le Congrès de Paris en 1900 recommande comme moyen pratique de lutter contre le militarisme : 


a«Que les partis socialistes s´emploient partout à éduquer et à organiser la jeunesse en vue de la lutte contre le militarisme et qu´ils accomplissent cette tâche avec la plus grande énergie.» 

Permettez-moi encore de vous citer un passage important de la résolution du Congrès de Stuttgart de 1907 où sont résumés très concrètement toute une série de moyens pratiques dont dispose la social-démocratie dans sa lutte contre la guerre. On y lit : 


« En fait, depuis le Congrès international de Bruxelles, le prolétariat, tout en poursuivant sa lutte incessante contre le militarisme par le refus des dépenses militaires et navales, par l´effort de démocratisation de l´armée, a recouru avec une vigueur et une efficacité croissante aux moyens les plus variés pour prévenir les guerres ou pour y mettre un terme, ou pour faire servir à l´affranchissement de la classe ouvrière l´ébranlement communiqué par la guerre à toutes les couches sociales : ainsi notamment l´entente des trade-unions anglaises et des syndicats ouvriers français après la crise de Fachoda pour assurer la paix et rétablir les bons rapports entre la France et l´Angleterre ; l´action des partis socialistes au Parlement français et au Parlement allemand dans la crise du Maroc ; les manifestations populaires organisées à cet effet par les socialistes de France et d´Allemagne ; l´action concertée des socialistes autrichiens et des socialistes italiens réunis à Trieste pour prévenir un conflit entre les deux États ; l´intervention vigoureuse de la classe ouvrière de Suède pour empêcher une attaque contre la Norvège ; enfin, les héroïques sacrifices et combats de masse des socialistes, des ouvriers et des paysans de Russie et de Pologne pour empêcher la guerre déchaînée par le tsarisme, pour y mettre un terme et pour faire jaillir de la crise la liberté des peuples de Russie et du prolétariat. (5)


«Tous ces efforts donc attestent la puissance croissante de la classe ouvrière et son souci de maintenir la paix par d´énergiques interventions.» (6) 

Et maintenant, je vous pose une question : trouvez-vous, Messieurs, dans toutes ces résolutions la moindre invitation à nous placer devant les soldats et à leur crier : ne tirez pas ! Et pourquoi ne l´y trouvez-vous pas ? Serait-ce parce que nous craignons les conséquences de pareille agitation, que nous avons peur d´un paragraphe du code pénal ? Ah, nous serions de bien tristes sires si la peur des conséquences nous retenait de faire ce que nous avons reconnu nécessaire et salutaire. Non, si nous ne le faisons pas c´est que nous nous disons : ceux qui portent, comme on dit, la livrée du roi, sont une partie du peuple travailleur et s´ils comprennent que les guerres sont un phénomène condamnable et contraire aux intérêts du peuple, alors les soldats, sans que nous les y invitions, saurons bien d´eux-mêmes ce qu´ils ont à faire le cas échéant.

Vous le voyez, Messieurs, l´agitation que nous menons contre le militarisme n´est pas aussi pauvre et aussi simpliste que se l´imagine le procureur. Nous avons tant de moyens d´action et si divers : éducation de la jeunesse, et nous la pratiquons avec zèle et avec un succès durable en dépit de tous les obstacles que l´on dresse sur notre chemin ; propagande en faveur du système de la milice ; rassemblements de masse ; manifestations de rue... Et enfin jetez un coup d´oeil en Italie. Comment les ouvriers conscients y ont-ils réagi à l´aventure de la guerre en Tripolitaine (7) ? Par une grève de masse qui fut conduite de la façon la plus brillante. Et comment a réagi à cet évènement la social-démocratie allemande ?

Le 12 novembre, la classe ouvrière berlinoise, dans douze meetings, a adopté une résolution dans laquelle elle remerciait les camarades italiens pour leur grève de masse.


Nous y voilà, la grève de masse, s´écrie le procureur ! Il croit voir là mon dessein le plus subversif, celui qui est de nature à ébranler le plus l´État. Ce matin, le procureur a étayé tout particulièrement son accusation en faisant référence à mon agitation en faveur de la grève de masse ; il reliait cette campagne à des perspectives fort effrayantes de révolution violente telles qu´elles ne sauraient exister que dans l´imagination d´un procureur prussien. Monsieur le Procureur, si je pouvais supposer qu´existe chez vous la moindre capacité de suivre le mode de raisonnement de la social-démocratie et de comprendre une conception historique plus noble, je vous expliquerais ce que j´expose non sans succès dans chacune de mes réunions, à savoir que les grèves de masse constituent une période déterminée de l´évolution de la situation actuelle, et qu´à ce titre, elles ne sauraient être « fabriquées », pas plus qu´on ne « fabrique » une révolution. Les grèves de masse sont une étape de la lutte de classes à laquelle, il est vrai, l´évolution actuelle conduit avec la nécessité d´un phénomène naturel. Tout notre rôle, c´est-à-dire le rôle de la social-démocratie, consiste à faire prendre conscience à la classe ouvrière de cette tendance de l´évolution, afin que les ouvriers constituent une masse populaire éduquée, disciplinée, résolue et agissante et soient ainsi à la hauteur de leur tâche.

Vous le voyez, en évoquant dans l´acte d´accusation le spectre de la grève de masse tel qu´il le conçoit, le procureur veut, une fois de plus, me condamner pour ses idées à lui et non pour les miennes.

Je vais conclure. Je voudrais faire une dernière remarque.

Dans son exposé, M. le Procureur, a consacré une attention toute particulière à ma modeste personne. Il m´a décrite comme constituant un grand péril pour la sécurité de l´État, il n´a même pas hésité à s´abaisser au niveau d´une feuille de bas étage, le Kladderadatsch (8), en m´appelant « Rosa la Rouge ». Qui plus es t, il a même osé mettre en cause mon honneur personnel, en insinuant que je risquais de m´enfuir dans le cas où le tribunal donnerait suite à sa demande de peine.


Monsieur le Pocureur, je dédaigne de répondre aux attaques dirigées contre ma personne mais je tiens à vous dire une chose : vous ne connaissez pas la social-démocratie !

(Interruption du président : « Nous ne sommes pas ici pour é couter un discours).

Dans la seule année 1913, beaucoup de vos collègues ont travaillé à la sueur de leur front à faire condamner notre presse à soixante mois de prison au total.

Auriez-vous par hasard entendu dire qu´un seul de ces pauvres pécheurs ait pris la fuite pour échapper à une condamnation ? Croyez-vous que cette pluie de condamnations ait fait vaciller un seul social-démocrate dans l´accomplissement de son devoir ou l´ait ébranlé ? Ah, non Messieurs, notre oeuvre se moque bien du réseau dense de tous vos paragraphes juridiques, elle grandit et prospère en dépit de tous les procureurs du monde.

Un mot pour finir sur l´attaque inqualifiable qui retombe sur celui qui l´a lancée.

Le procureur a dit littéralement, je l´ai noté, qu´il demandait mon arrestation immédiate, car il était inconcevable que la prévenue ne prît pas la fuite. C´est dire en d´autres termes : si moi, procureur, j´avais à purger un an de prison, je prendrais la fuite. Monsieur le Procureur, je veux bien vous croire, vous, vous fuiriez. Un social-démocrate, lui, ne s´enfuit pas. Il répond de ses actes et se rit de vos condamnations.

Et maintenant condamnez-moi !  

 

Notes


1) Paul Levi et Kurt Rosenfeld (1877-1943). Rosenfeld, avocat puis membre de l´USPD pendant la guerre. Emigré à Paris, il participa avec Romain Rolland au contre-procès organisé à Londres sur la question de l´incendie du Reichstag. Aux USA, il s´efforça d´amener les Américains d´origine allemande à combattre les puissances de l´Axe.
2) Rosa reprend la phrase d´un discours de Guillaume II à ses troupes à la veille de l´expédition militaire contre la Chine (1900).
3) En allemand, Kadavergehorsam - mot à mot : obéissance de cadavre.
4) J. Freymond, La Première Internationale, t. 1, pp. 403-404.
5) ] Allusion à la guerre russo-japonaise et à la Révolution russe de 1905.
6) VIIe Congrès socialiste international. Compte rendu analytique, Bruxelles, 1908, pp. 422-423. Le congrès rappelle les principales crises qui ont mis en danger la paix en Europe entre Fachoda (1898) et la première affaire du Maroc réglée au Congrès d´Algésiras (1906).
7) Guerre dans laquelle l´Italie envahit et occupa la Tripolitaine - ancienne province du nord-ouest de la Libye cédée par les Ottomans en 1912.
8) Hebdomadaire satirique qui a paru à Berlin de 1848 à 1944.
 


Voir et lire (en anglais) sur: On This Day: 20 February 1914: Rosa Luxemburg on Trial in Frankfurt

February 1915 to February 1916. Her hopes that the German workers would refuse to support a world war proved illusory.

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24 novembre 2012 6 24 /11 /novembre /2012 10:12

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Ce chapitre de l'ouvrage de J.Howorth offre l'intérêt d'une information très détaillée sur l'action de Vaillant et par là de l'Internationale socialiste face au militarisme et à la guerre. Il est cependant à nos yeux très partial quant  aux causes de l'échec du mouvement socialiste, reportant presque uniquement sur la social-démocratie allemande la responsabilité de celui-ci, ne produisant aucune analyse de l'action de la social-démocratie française, et très réduite du ralliement de Vaillant à l'Union sacrée. L'action de Rosa Luxemburg et d'autres militants ne montre-t-elle pas pourtant qu'une autre voie était possible ...

 

Nous voulons cependant reprendre les mots cités à la fin de cet extrait, de celui, qui avant ce ralliement, avait été le plus proche de Rosa Luxemburg parmi les socialistes français, un compagnon de lutte, le Vieux comme elle l'appelait:

 

"cette guerre m'a tué [...] avoir lutté quarante ans pour l'écarter, pour la conjurer et avoir été forcé de la subir, atroce, implacable! C'est l'écroulement de tout mon être."

 

c.a.r.l. 4 mars 2012


Edouard Vaillant. Par Jolyon Howorth

edi/syros - 1982 - P323/337

  Chapitre XVII, L'Internationale et la guerre

 

Un des premiers actes militants d'Edouard Vaillant fut de signer, le 15 mai 1866, l'appel des étudiants parisiens à "leurs frères allemands et italiens" pour protester contre la guerre qui allait bientôt éclater entre la Prusse et l'Autriche. En 1877, quand la guerre entre la Russie et la Turquie risquait de s'étendre à toute l'Europe, Vaillant écrivait que ce serait pour le mouvement socialiste la pire des catastrophes. Dix ans plus tard, alors que le boulangisme attisait les flammes d'une véritable psychose de guerre en France, il livrait sa pensée intime à Scheu:


"Pour moi, je vous le dirai sans que je m'en sois ouvert encore à personne, de toutes les questions, celle qui me préoccupe le plus, celle pour laquelle je voudrais voir toutes les forces du socialisme intervenir, c'est celle de la paix européenne. Pour garder cette paix d'où sortira infailliblement la Révolution émancipatrice des peuples et du prolétariat, rien ne doit être négligé, tout doit être fait."


C'est pourquoi dès la création de la Deuxième Internationale, Vaillant est devenu, au sein de celle-ci, la principale force motrice derrière toute son activité antimilitariste et antiguerre. Il considérait le militarisme - ainsi que la mentalité politique et sociale qu'il véhiculait - comme "le plus grand ennemi " du socialisme international.


Entre les deux Congrès internationaux de Paris (1889 et 1900), Vaillant se contenta de multiples résolutions et propositions en faveur de l'abolition de l'armée permanente et de son remplacement par les milices populaires, revendication quasi séculaire de la gauche française. Ce fut lui qui présenta l'ordre du jour sur cette question au premier Congrès de la Deuxième Internationale et, en collaboration ave Wilhelm Liebknecht, au deuxième qui s'est tenu à Bruxelles en 1891. Ce fut également Vaillant, qui, au nom du groupe socialiste parlementaire, déposa, en 1893, en 1898 et en 1903, une proposition de loi dans ce même sens devant la Chambre des Députés. Pendant les années 1890, il déposa également toute une série de propositions de loi "antimilitaristes": suppression du code militaire, suppression des conseils de guerre, suppression des commandements militaires de Paris et de Lyon. Les principaux arguments dont il s'est servi pour exposer les motifs de ces propositions se fondent tous sur le caractère foncièrement antirépublicain de l'armée permanente. Elle constituait, à ses yeux, un divorce dangereux entre l'institution militaire (représentée par le corps des officiers) et la nation-république (représentée par le contingent), permettant à la classe dirigeante de disposer de la force physique contre "l'ennemi" intérieur sans garantir au pays une défense efficace contre l'ennemi extérieur. Elle désorganisait la vie civile, encasernant, abrutissant et démoralisant la jeunesse pendant sa période d'apprentissage, d'études et d'activité créatrice, stérilisant ainsi les forces vives de la nation. Elle symbolisait (et perpétuait, à travers ses écoles militaires et ses casernes) l'esprit brutal de caste, d'élitisme et de hiérarchie que vomissait l'esprit de la démocratie. Et elle constituait une menace permanente contre les pays voisins, ce qui était le contraire de l'esprit républicain.

 

Mais de telles propositions qui exigeaient une restructuration totale de l'institution militaire, même formulées simultanément dans plusieurs pays, n'avaient pratiquement qu'une valeur symbolique. Elles n'avaient aucune chance d'être votées par une chambre, même radicale, qui n'aspirait qu'à une républicanisation des structures militaires existantes, nullement à leur abolition. Dans la même veine, la proposition de transformer la manifestation du Premier Mai en une célébration internationale de la paix universelle, n'était en réalité qu'un symbole. Pour empêcher la guerre, il fallait des mesures plus musclées.


Cependant les dirigeants du socialisme international, Vaillant compris, préoccupés par les problèmes idéologiques (Bernstein, Millerand), consacraient le plus gros de leur temps, lors des Congrès de 1900 et de 1904,  aux débats sur la tactique. Le Congrès d'Amsterdam, après avoir applaudi à la poignée de mains symbolique entre Katayana et Plekhanov, envoya simplement son salut fraternel aux prolétaires japonais et russes, massacrés par le crime du capitalisme, avant de passer à l'ordre du jour (le ministérialisme).


Ce fut néanmoins le conflit russo-japonais qui précipita la mobilisation socialiste contre la guerre. Les hostilités commencèrent le 8 février 1904 dans l'incertitude générale quant aux obligations militaires éventuelles de la France. Le 14 février, Vaillant, dans un article du Socialiste, lança  le célèbre mot d'ordre: "Plutôt l'insurrection que la guerre", et commença une tournée de conférences et de meetings pendant le printemps 1904, aux quatre coins de la France. L'agitation socialiste et ouvrière contre toute participation française dans le conflit fut intense. L'on se sait pas si la diplomatie française où les préparatifs de l'état-major ont été véritablement influencés par toute cette agitation. Ce qu'il importe surtout de noter, c'est que les socialistes eux-mêmes en étaient fermement persuadés. Ainsi, au Congrès de Limoges, en 1906, Marcel Sembat est allé jusqu'à affirmer que "si la France n'a pas été entraînée à intervenir, si nous avons été sauvés de la guerre, c'est à Vaillant qu'on le doit". Vaillant lui-même, plus modeste quant à son propre rôle, n'en déclarait pas moins, au même congrès que l'intervention de la France avait été empêchée par l'action du Parti socialiste.


La conséquence la plus significative de ces événements fut donc le développement d'une croyance inébranlable, partagée par presque tous les socialistes (exception faite des guesdistes), que l'agitation populaire était capable d'exercer une influence directe sur la politique étrangère du gouvernement. Dorénavant, les socialistes français en général et Edouard Vaillant en particulier, se sont donné essentiellement pour tâche d'en convaincre les dirigeants du S.P.D.


Après 1904, les événements se précipitèrent. Le "coup" de Tanger (31 mars 1905) déclencha une nouvelle vague d'agitation antimilitariste en France, agitation, dont cette fois la CGT, aussi bien que la SFIO se chargeaient de l'organisation. Cette fois, il ne s'agissait plus d'une vague menace orientale, mais d'une confrontation directe entre l'Allemagne et la France. La nécessité de faire une campagne commune avec les socialistes allemands se faisait sentir de façon urgente. La CGT proposa aux Gewerkschaften des manifestations simultanées dans les deux pays, mais cette proposition fut rejetée par Legien, qui y détectait un "motif politique" alors que les syndicalistes allemands ne s'occupaient que de l'économique. Face à leur impuissance apparente pendant un moment de crise, les socialistes français se sont rendus soudain compte de la gravité de la situation. Dans le discours qu'il devait prononcer à Berlin en juillet, Jaurès avoua que la force ouvrière n'était pas encore suffisamment organisée, consciente et efficace pour "neutraliser les forces mauvaises" du capitalisme, et qu'il restait toujours une "œuvre immense d'éducation et d 'organisation à accomplir.


Cependant les socialistes français, rassurés par les événements de 1904 et assez satisfaits de leur réaction en 1905, avaient tendance à croire que cette œuvre d'organisation manquait plus au-delà du Rhin qu'en deçà. Louis Dubreuilh, dans un article hautement significatif, prenant acte du refus opposé pa les syndicalistes allemands à l'invitation de la CGT, remarque que "s'il faut être deux pour se battre, il est plus exact encore qu'il faut être aussi deux pour refuser de se battre". Et il sommait l'Internationale de passer de  la formule à la pratique en établissant une procédure concrète à suivre en cas de menaces de guerre renouvelées. Autrement dit, il fallait que les Français et les Allemands se mettent d'accord sur les moyens concrets et pratiques pour empêcher véritablement la guerre. L'histoire de la deuxième Internationale entre 1905 et 1914 (maintes fois relatée) est essentiellement l'histoire des tentatives diverses mais vaines de trouver ces moyens.


Il ne s'agit pas ici de reprendre les détails de cette histoire, dans laquelle Vaillant, en tant que principal délégué de la SFIO au BSI joua un rôle de toute première importance. Georges Haupt et moi-même avons publié ailleurs les documents concernant ce rôle. Ce qu'il convient d'étudier ici, par contre, c'est l'approche tactique adoptée par Vaillant dans ses efforts de conclure avec les Allemands un accord sur les moyens concrets, et surtout, les mutations considérables dans cette approche. 

 

Jusqu'au Congrès international de Stuttgart (1907), Vaillant faisait l'impossible pour ménager les susceptibilités des dirigeants de la social-démocratie et pour leur montrer que les socialistes français comprenaient les contraintes auxquelles ils étaient soumis dans l'empire du Kaiser. Déjà, au Congrès international de Bruxelles, en 1891, quand Domela Nieuwenhuis avait accusé les Allemands de ne pas être de sincères internationalistes, Vaillant avait rigoureusement pris la défense de ses amis du S.P.D., en rappelant "les conditions spéciales" du régime du Kaiser et en affirmant qu'il était impossible aux Allemands, sous peine d'interdiction de leur parti, de voter les propositions hollandaises sur la grève antimilitariste. Vaillant comprenait parfaitement bien qu'il ne saurait être question d'imposer aux Allemands une tactique ou un moyen d'action qu'ils n'auraient pas proposés eux-mêmes. Le comble de la subtilité, à ses yeux, consistait à les amener, indirectement, à formuler spontanément ces propositions. Tâche, pour le moins délicate.

 

Alors, qu'au Congrès de Limoges en 1906, Gustave Hervé reprenait à sa façon l'ancienne accusation portée contre les Allemands par Domela Neuwenhuis, Vaillant, nous l'avons déjà vu, essayait de son mieux de calmer la tempête et de faire comprendre aux délégués français que les conditions de lutte antimilitariste n'étaient pas partout les mêmes. Le Socialiste, organe officiel de la SFIO, prenait grand soin de présenter l'activité antimilitariste du  SPD sous le meilleur jour possible, rapportant infailliblement la moindre peine d'emprisonnement pour faits antimilitaristes du plus insignifiant militant local. En outre, pas un mot ne paraissait dans l'organe du parti sur les débats houleux qui avaient lieu aux Congrès SPD de Dresde (1904) et de Mannheim (1906) où les propositions antimilitaristes de Karl Liebknecht et de Rosa Luxemburg avaient été vigoureusement repoussées par la direction du parti. Et pour convaincre les sceptiques, le Socialiste ne se lassait pas de citer le cas de Bebel et de Wilhelm Liebknecht qui, en décembre 1870, avaient été arrêtés et emprisonnés pour avoir protesté contre l'invasion de la France et pour avoir voté contre les crédits militaires au Reichstag.

 

Mais en même temps que Vaillant poursuivait cet objectif de présenter l'antimilitarisme des Allemands sous un jour très positif, derrière les portes fermées du BSI, il multipliait propositions et résolutions en faveur de l'établissement de procédures de consultations en cas de risque de guerre. Cette campagne aboutissait enfin à l'adoption par le BSI - non sans une discussion qui devait être amère et même violente - de sa proposition qui portait que:

 

"Dès que, secrets ou publics, des événements pourront faire craindre un conflit entre gouvernements, rendre une guerre possible ou probable, les partis socialistes des pays concernés devront, de suite, spontanément et à l'invitation du Bureau socialiste international, entrer en rapports directs, à l'effet de déterminer et concerter les moyens d'action ouvrière et socialiste, commune et combinée, pour prévenir et empêcher la guerre."

 

Ce fut, après tout, la moindre des choses. Et les "moyens d'action commune et combinée" restaient toujours à déterminer.

 

Dans ce but, et poursuivant toujours sa tactique courtoire et bienveillante, Vaillant proposa, lors de la séance suivante du BSI, en novembre 1906, que "nos amis d'Allemagne, qui se trouvent dans des conditions spéciales" préparassent eux-mêmes un rapport sur les moyens pratiques pour prévenir les conflits internationaux. Ainsi la balle était-elle fermement renvoyée dans le camp du SPD et le monde attendait anxieusement le discours de Bebel au prochain Congrès international de Stuttgart. En attendant, et à titre d'exemple, la SFIO vota au Congrès de Limoges et de Nancy (1906 et 1907) une résolution proposée par Vaillant et Jaurès en faveur de l'adoption de "tous les moyens" pour empêcher la guerre "depuis l'intervention parlementaire, l'agitation publique, les manifestations populaires, jusqu'à la grève générale ouvrière etl'insurrection."

 

Si Vaillant et Jaurès s'attendaient à ce que les Allemands suivent cet exemple, ils ont été vite désillusionnés. Dans le discours d'ouverture qu'il prononça à Stuttgart, Bebel faisait trois remarques principales concernant les moyens d'action contre la guerre. D'abord, que la question avait déjà été tranchée et que le congrès aurait pu s'en tenir aux résolutions antérieures. Ensuite qu'aucun parti socialiste au monde n'avait combattu le militarisme "d'une manière plus conséquente " que le SPD. Et enfin que le gouvernement impérial avait tellement peur des conséquences d'une guerre que jamais il ne prendrait la responsabilité d'en déclencher une. C'était en réponse à ce discours de Bebel que Vaillant infléchissait assez sensiblement pour la première fois la tactique et le ton qui avaient été les siens depuis la création de l'Internationale. L'on constate dans le langage de son discours plus d'une pointe d'irritation contre ses camarades d'outre-Rhin. De son côté Jaurès affichait son intention de poursuivre, parallèlement à la campagne socialiste propre, une campagne de pression diplomatique sur les grandes puissances en faveur des conférences de la paix et de l'arbitrage. Etait-ce un premier constat de faiblesse ou même d'incapacité de la part du mouvement socialiste international?

 

Après Stuttgart, le visage public des rapports entre la SFIO et leSPD ne changeait pas. Les dirigeants français et Vaillant tout d'abord, continuaient de fournir les militants socialistes français  de l'image rassurante d'une Internationale intimement unie et d'un SPD ferme et résolu et dont l'activité antimilitariste ne le cédait en rien à celle de la SFIO. Et maintenant ils n'avaient plus besoin d'avoir recours à l'acte de Bebel et de Wilhelm Liebknecht en 1870, Liebknecht fils - Karl - venait de se faire emprisonner pour avoir publié son ouvrage Militarismus und Antimilitarismus, événement qui était interprété en France comme la preuve irréfutable du dynamisme de l'antimiitarisme allemand. Ce que les dirigeants de la SFIO ne disaient pas, cependant, c'était qu'au Congrès de Stuttgart, Bebel et Vollmar avaient tous deux cité le cas de Karl Liebknecht pour montrer l'impossibilité d'une agitation antimilitariste poussée.

 

Malgré le visage décontracté que Vaillant arborait en public, dans l'enceinte fermée du BSI, le ton ne cessait de monter. A la première réunion du bureau après Stuttgart, Vaillant insista de nouveau pour que l'Internationale définisse "les moyens et mesures pratiques" au lieu de simplement les évoquer. Dans une séance fort houleuse, dont l'atmosphère tendue suite à l'annexion de la Bosnie et de l'Herzégovine ne rassurait nullement les délégués, la proposition de Vaillant fut de nouveau court-circuitée, cette fois par son vieil ami Victor Adler qui protestait que les Autrichiens n'auraient rien pu faire de plus pour endiguer la vague belliciste dans leur pays. Le délégué britannique, Bruce Glasier, dans un discours fort hostile aux Autrichiens et aux Allemands, s'insurgeaient contre les "pieux sentiments" derrière lesquels, à son avis, la majorité des délégués dissimulaient leur incapacité d'agir. Encore une fois, la définition des moyens concrets était laissée en suspens. Néanmoins, dans son rapport au Congrès de la SFIO à Toulouse quelques jours après cette réunion désastreuse, Vaillant parlait comme si l'harmonie la plus totale y avait présidé.

 

Deux semaines plus tard, la France et l'Allemagne se trouvaient de nouveau au bord du gouffre pendant l'affaire des "déserteurs de Casablanca". Suivant la procédure définie, par l'intermédiaire de Huysmans, de proposer aux Allemands des manifestations communes entre SPD et SFIO, mais devant le refus catégorique des dirigeants de la social-démocratie allemande, il renonça à cette tentative. La faillitte de la procédure adoptée en 1905 s'avéra totale non seulement pendant l'affaire de Casablanca, mais aussi au moment de la première crise des Balkans pendant l'hiver 1908-1909.

 

Prenant acte de cette situation, Vaillant et Jaurès rectifièrent de nouveau leur tir. Jaurès, soutenu par Vaillant, commençait à mettre tous ses espoirs dans un rapprochement franco-allemand dont il pensait que le gouvernement britannique pourrait être un des architectes. Vaillant, quant à lui, modifia totalement son approche psycho-tactique vis-à-vis du SPD et passa carrément à l'offensive. En mars 1910, faisant justice de ses scrupules antérieurs, il proposa à Huysmans que, dorénavant, en cas de menace de guerre, le Bureau puisse être convoqué non plus avec l'accord des deux parties concernées, mais par une seule section nationale. Cette fois, il ne mâchait plus ses mots: "Il ne faudrait plus que la résistance des uns empêchât le BSI de régler ou prévenir un conflit international menaçant." Le BSI, soulignait-il, toujours ne devait pas sortir de son rôle "d'organe de coordination", mais devait tout de même être capable de faire, "quand l'intérêt supérieur de l'Internationale lui commande, une intervention nécessaire." Le point culminant de cette offensive lancée contre le Parteivorstand vint au Congrès international de Copenhague en septembre 1910. A cette occasion, jetant tous ses scrupules aux quatre vents, Vaillant proposa, avec Keir-Hardie, son célèbre amendement portant que:

 

"Entre tous les moyens à employer pour prévenir et empêcher la guerre, le Congrès considère comme particulièrement efficace: la grève générale ouvrière, surtout dans les industries qui fournissent à la guerre ses instruments (armes, munitions, transports, etc), ainsi que l'agitation et l'action populaires sous leurs formes les plus actives."

 

Malgré l'opposition violente des Allemands, cet amendement était renvoyé au BSI "pour étude", le bureau étant invité à faire un rapport sur ses propositions au prochain Congrès de l'Internationale. Ainsi, enfin, les dirigeants du socialisme international s'étaient mis d'accord pour ... envoyer à l'étude un moyen pratique et concret.

 

Comment expliquer l'attitude de Vaillant à Copenhague? Au Congrès de la SFIO, tenu à Paris en juillet 1910, une noouvelle résolution concernant les moyens pratiques avaient été présentée par la fédération de la Seine. Cette fois, il n'y était pas fait mention explicite de la grève générale, la résolution se contentant de citer celle de Stuttgart où la grève générale était évoquée comme un moyen possible. Pourquoi Vaillant avait-il insisté pour insinuer son amendement à Copenhague? Le correspondant parisien du SPD, Josef Steiner, s'interrogeant sur ses motifs, tirait la conclusion que c'était "une manoeuvre pour opposer l'Allemagne à l'Angleterre". Accusation grave et sans doute dépourvue de fondement. Autrement plus grave, cependant, était l'observation cinglante par laquelle Steiner terminait son article:

 

"La pensée secrète qui tourmente les socialistes français, ce n'est pas si les socialistes allemands peuvent faire la grève générale en cas de guerre, même le citoyen Alexandre Varenne n'en doute pas, et là-dessus il est certainement mieux renseigné que les socialistes allemands eux-mêmes, mais s'ils veulent la faire, c'est-à-dire, s'ils n'hésiteraient pas, par patriotisme, à aller jusque-là? Eh bien! là-dessus les socialistes allemands n'en savent pas plus que les socialistes français."

 

Cette observation touche directement au coeur du problème et explique en partie la tactique du désespoir adoptée par Vaillant à Copenhague, tactique qui ne diffère guère, en fin de compte, de celle proposée par Hervé et combattue par Vaillant en 1906. Il serait simple de dire que Vaillant passa à l'offensive parce que toutes les autres stratégies s'étaient soldées par un échec. Mais l'explication est plus complexe. Elle doit en effet tenir compte de la seule tactique de rechange qui s'offrait aux socialistes (étant donné leur refus catégorique du défaitisme  léniniste) et qui allait bientôt être proposée par Charles Adler. Quelle était cette tactique? Tout simplement de faire le constat pénible - et ceci ouvertement, devant l'opinion publique - de la faillitte totale de l'Internationale dans sa tentative de définir et de faire accepter les moyens concrets d'empêcher la guerre; et, l'ayant constaté, d'en tirer les conséquences, fussent-elles le vote du budget militaire et la préparation de la défense nationale. Ce fut à cause de la nature impensable de cette tactique que Vaillant dut adopter l'offensive.

 

Depuis Stuttgart, l'irritation des dirigeants de la SFIO devant ce qu'ils considéraient comme l'obstructionnisme du SPD n'était qu'un pâle reflet de l'humeur noire qui se manifestait quotidiennement dans la presse syndicaliste. Depuis quelques années, la CGT était partie en guerre contre Legien et les syndicalistes allemands. La France en général était en proie à une nouvelle vague de nationalisme. Poincaré s'apprêtait à franchir le seuil de l'Elysée, la loi des trois ans se profilait à l'horizon. Les dirigeants socialistes français croyaient - dans une certaine mesure à juste titre - qu'ils représentaient  le dernier espoir de conserver la paix. Mais, afin d'espérer, il fallait, à défaut de la réalité, au moins l'illusion du progrès dans la voie d'une campagne pratique et concrète contre la guerre. Tant que son amendement était "à l'étude", Vaillant pouvait croire au progrès de l'Internationale. Sans son amendement, le mouvement était bloqué. Pour Vaillant, Jaurès et les autres dirigeants, la perspective la plus redoutable était que, dans un moment de crise ou d'affolement international, la vague nationaliste, qui emportait de plus en plus les masses populaires, ne viennent balayer le barrage tout verbal de l'internationalisme socialiste. Mieux valait, à leurs yeux, que la pression exercée sur le SPD le fut par eux-mêmes plutôt que par les militants de base. Dans le premier cas, cette pression était contrôlable, dans le second elle ne l'était pas.

 

A la lecture de tous les documents du BSI, une chose saute aux yeux. C'est que Vaillant semble n'avoir jamais un seul instant douté de la capacité du BSI de prévenir, le cas échéant, une conflagration, comme si l'institution elle-même aurait pu conjurer un événement qui montait des profondeurs de l'histoire. Il était lié par une amitié personnelle qui datait parfois d'un demi-siècle - à la plupart des dirigeants de l'Internationale. Il était fermement persuadé que, le moment venu, ils feraient, comme il disait, "tout leur devoir".

 

A mesure que la guerre s'approchait, sa propre activité devenait de plus en plus frénétique. Lors de la guerre des Balkans, il tenta d'organiser une conférence entre socialistes des pays concernés, il cherchait à faire activer la cour d'arbitrage de La Haye, il fit voter par le BSI le texte d'un manifeste, il tâcha, sans succès, de convoquer une session extraordinaire du Bureau. En 1913, il se donna tout entier à la campagne contre les trois ans, multipliant non seulement (en direction du peuple français) conférences et discours contre la loi elle-même, mais aussi (en direction du BSI), lettres et propositions en faveur du rapprochement franco-allemand. Il écrivait à ce propos à son ami Keir Hardie dont il voulait faire jouer l'influence auprès du gouvernement britannique afin de favoriser ce rapprochement.

 

Ce qui frappe, pourtant, au printemps de 1914, c'est son calme apparent et son optimisme relatif. Le succès électoral de la SFIO en mai lui semblait de bonne augure. Le parti était devenu une force trop puissante pour que le gouvernement ne tienne aucun compte de sa position sur la guerre et le militarisme. Les graves crises de 1904,1905, 1908-09, 1911 et 1912 avaient après tout été surmontées. Et surtout il y avait le congrès de Vienne. A mesure que le congrès s'approchait, il bombardait Huysmans de lettres et de rappels concernant l'amendement qu'il avait proposé à Copenhague avec Keir Hardie. Malgré la résistance très évidente du Bureau, Vaillant semble être resté confiant que la décision tant retardée sur "les moyens pratiques" ne saurait cette fois être éludée. La lecture du compte rendu de la dernière séance du BSI à Bruxelles le 29 juillet 1914 fait ressortir de façon frappante le fait que presque tout le monde semble avoir pensé que le prochain Congrès (qui devait ouvrir ses portes à Paris, Vienne n'étant plus un site possible, le 8 août) saurait dresser un obstacle infranchissable à  la guerre. Mais celle-ci ne se faisait pas attendre et la discussion sur "les moyens pratiques", malgré tous les efforts de Vaillant, n'a jamais eu lieu.

 

L'intensite même de la foi internationaliste de Vaillant explique son attitude pendant la guerre. Le fait qu'il épousait la défense nationale n'a rien d'étonnant: ceci était parfaitement prévisible au vu de ce qu'il avait toujours dit et écrit sur la nécessité historique de l'indépendance nationale. La distinction qu'il faisait constamment entre le peuple allemand et le régime militariste du Kaiser cadre parfaitement avec ses convictions républicaines. Quant à son refus catégorique d'avoir le moindre contact avec les dirigeants du SPD, celui-ci s'explique par des facteurs plutôt psychologiques. Que les responsables de la social-démocratie, trompés par la propagande impériale faisant état d'une invasion française, aient voté les crédits militaires, Vaillant l'aurait sans grande difficulté compris et accepté. Mais que, sachant la perfidie de cette propagande, sachant que l'armée allemande ayant violé la neutralité belge, était en route pour Paris, les dirigeants du SPD n'aient pas protesté de tout coeur, cela Vaillant pouvait à peine y croire. Pire, qu'ils aient accepté et reproduit la propagande officielle concernant la nécessité militaire de mettre la France hors de combat afin de pouvoir plus efficacement régler le problème russe, ce n'était pour Vaillant, que trahison pure et simple. Trahison à l'égard de la classe ouvrière allemande, trahison à l'égard de la SFIO et trahison surtout à l'égard de l'Internationale.

 

Ainsi, répondant, en octobre 1914, aux socialistes français qui critiquaient son soutien à l'effort militaire du gouvernement en lui lançant à la figure les textes et résolutions des congrès internationaux qu'il avait lui-même fait voter, il écrivit:

 

"Ces textes [...] ne sont pas des formules abstraites, mais des textes dont les conditions et les circonstances déterminent le sens et la valeur. [...] Tant à Stuttgart qu'à Bâle et à Paris, toutes les décisions et leurs textes se résument et se synthétisent en cette décision suprême de la guerre sans merci, de la guerre par tous les moyens du socialisme à l'impérialisme militariste [...] il demeure, pour nous, certain que l'anéantissement de l'impérialisme militariste allemand est la condition première et nécessaire de l'accomplissement des décisions, de la volonté, du devoir du socialisme international."

 

Le choc physique et psychologique d'abord de la mort de Jaurès et ensuite la réalité de la guerre était pour Vaillant mortel. A soixante-quinze ans, même sa santé robuste ne pouvait résister à l'effondrement du monde dans lequel il avait toujours fonctionné.Quelques jours avant de mourir, en décembre1915, il confia à Louis Dubreuilh:

 

"cette guerre m'a tué [...] avoir lutté quarante ans pour l'écarter, pour la conjurer et avoir été forcé de la subir, atroce, implacable! C'est l'écroulement de tout mon être."

 

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2 mars 2012 5 02 /03 /mars /2012 17:26

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Rosa Luxemburg a consacré une série de textes au service militaire, et plus globalement au militarisme.

 

Cela a fait en particulier l'objet d'un échange théorique approfondi avec un autre membre de la social-démocratie: Max Schippel

 En France, Jaurès en particulier a consacré lui aussi de nombreux textes et articles au service militaire, à la notion de milice.


Nous avons traduit un certain nombre des textes de Rosa Luxemburg et étudié le contexte dans laquelle ces échanges ont eu lieu.  

 

Nous pourrons donc donner accès prochainement à certains textes de Rosa Luxemburg sur ce thème.

 

Nous reprenons ici dans un premier temps un article de lutte ouvrière sur l'instauration du service militaire obligatoire en Algérie.

 

Il nourrit cette réflexion sur ce que l'on appelait à l'époque le militarisme et qui était un outil essentiel du capitalisme à l'ère impérialiste naissante. Ainsi que sur la notion de milice, les références à Valmy et à la révolution française, qui assoient une conception de la défense populaire contre les logiques d'agression.

 

Catégorie sur le blog: Contre la guerre, le militarisme, le colonialisme



Il y a 100 ans - L'instauration du service militaire obligatoire en Algérie :
un seul droit, celui de mourir pour l'impérialisme

Il y a tout juste cent ans, le 3 février 1912, le gouvernement français publiait un décret instaurant le service militaire obligatoire pour les « indigènes » d'Algérie.

 

Conquise à partir de 1830, l'Algérie avait été directement rattachée à la France en 1848, et divisée en trois départements dépendant du ministère de l'Intérieur. Mais les natifs de ce pays, les Arabes et les Kabyles, ne disposaient pas de la nationalité française et n'avaient aucun des droits accordés aux « étrangers » venus de métropole : droit de vote limité à une minorité de notables, accès à l'instruction restreint, accès aux emplois publics quasi nul. En contrepartie, n'étant pas des citoyens français à part entière, ils n'avaient pas à effectuer de service militaire... jusqu'à ce que la loi de 1912 les y contraigne.

 

Dans ce domaine aussi, l'inégalité prévalut. La durée du service militaire était de trois ans, contre deux pour les Français. Ils furent recrutés par tirage au sort, système abandonné pour les autres en 1905, le nombre d'appelés étant fixé chaque année par le ministère de la Guerre en fonction des besoins. Et s'ils touchaient une solde plus importante que les autres appelés, versée en deux fois, ils n'avaient aucun espoir de devenir gradés. Ce système allait durer jusqu'à l'indépendance de l'Algérie, en 1962.


Dès le début de l'occupation du territoire, l'armée française avait fait appel à des volontaires algériens, les Spahis et les Tirailleurs, pour réprimer des soulèvements en Algérie même, comme à Laghouat en 1852, ensuite en Tunisie et au Maroc. Sous le Second Empire et la Troisième République, ils furent aussi une force d'appoint dans les guerres coloniales, en Cochinchine, au Tchad ou au Sénégal, ou dans des conflits opposant les impérialismes entre eux, comme en Crimée en 1854-55. Ils servirent aussi de chair à canon en France lors de la guerre de 1870-71 qui l'opposait à l'Allemagne.

 

En 1912, l'état-major français avait besoin de troupes supplémentaires pour intervenir au Maghreb, mais surtout en vue du conflit impérialiste mondial qui menaçait. Depuis 1907, des soulèvements de populations se produisaient au Maroc contre la présence française. Connaissant la région, parlant la même langue et plus habitués aux conditions climatiques, des soldats algériens servirent de supplétifs à l'armée française pour réprimer ces mouvements dans des campagnes dites « de pacification ».

 

Le Maroc était aussi objet de convoitise de l'impérialisme allemand, qui voulait sa part de colonies en Afrique, s'opposant aux prétentions de la France, de la Grande-Bretagne et aussi de l'Espagne située à quelques encablures de ce pays. « Une nuée d'orage impérialiste s'est levée dans le monde capitaliste », dit Rosa Luxemburg à propos des tractations entre les puissances qui se disputaient le Maroc. En 1911, la guerre entre pays impérialistes rivaux apparaissait imminente. Lever et former des troupes en Algérie permettait à l'État français de ne pas allonger plus la durée du service militaire en métropole et de garder dans les usines et dans les champs une main-d'œuvre indispensable dans la perspective d'une guerre mondiale - mais cela ne dura qu'une année car en 1913, les Français furent à leur tour contraints d'effectuer trois ans de service.

En 1916, en pleine Première Guerre mondiale, les Algériens arabes et kabyles furent réquisitionnés pour fournir à l'État français des soldats, ainsi que des travailleurs dans les usines de guerre et dans les champs, afin de combler les vides causés par les massacres du front. 175 000 soldats algériens furent envoyés au combat pendant la guerre de 1914-1918 ; 36 000, soit un sur cinq, y laissèrent la vie, sacrifiés à la défense de l'impérialisme français.


Marianne LAMIRAL

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11 décembre 2011 7 11 /12 /décembre /2011 11:24

comprendre-avec-rosa-luxemburg.over-blog

 

 


En contre-point aux articles de Rosa Luxemburg sur le colonialisme, une analyse et les illustrations du Petit Journal. à consulter sur le net,

 

lire et voir

 

http://www.ph-ludwigsburg.de/html/2b-frnz-s-01/overmann/baf4/colonisation/petitjournal/petitjournalcolonies.html

 


 

Les analyses de Rosa Luxemburg à lire sur le blog :

 

Sur l'Egypte

 

Egypte - Analyse de Rosa Luxemburg

 

Sur le Maroc

 

Le Maroc, 1911. Rosa Luxemburg "Une nuée chargée d’orage impérialiste s’est levée dans le monde capitaliste ..."

 

Sur la Chine :

 

Le Petit Journal - "Evénements de Chine", 13.01.1901. En contre-point une analyse de Rosa Luxemburg dès le début de ce processus de conquête.

 

Sur le colonialisme :

 

Texte inédit en français sur le net de Rosa Luxemburg - Intervention au Congrès de l'Internationale 1900

Rosa Luxemburg. Texte inédit en français:compte rendu du discours qu'elle a prononcé comme rapporteur des commissions sur le militarisme et la politique coloniale au Congrès de l'Internationale

 

 "A quoi sert la politique coloniale?"

 

Texte inédit de Rosa Luxemburg : La construction de canaux en Amérique du Nord (1)

 

Autres articles

 

En contre-point à Rosa Luxemburg. Jaurès contre la conquête de la Tripolitaine

 

"L'armée coloniale", extraits d'un article du colonel Charles Corbin dans la Revue des deux mondes.En contre-point de la pensée et de l'action de R. Luxemburg

 

La Chine, Victor Hugo, Rosa Luxemburg

 

En contre-point à Rosa Luxemburg. Jaurès contre la conquête de la Tripolitaine

 

Leroy-Beaulieu et la Chine - 1898

 

L'impérialisme au Maroc dans le "Petit Journal" 1905/1911

 

Une image de l'idéologie colonialiste dans le Petit Journal

 

Jules Ferry, tenant du colonialisme

 

Un article de la rubrique histoire et colonies de la LDH

 

Paul Bert, émancipateur et ... colonisateur

 

Le chemin de fer de Bagdad - Un projet impérialiste (1)


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2 septembre 2011 5 02 /09 /septembre /2011 17:35

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La conquête de la Tripolitaine (partie de la LIbye actuelle) a représenté un moment majeur de la colonisation. Pour Jaurès, c'est un moment crucial de cet engrenage vers la "guerre générale", comme on disait alors, qu'il voit venir bien des années avant 14. Ainsi pour lui, tout commence avec la conquête du Maroc, qui autorise celle de la Tripolitaine et qui autorisera l'éclatement des Balkans..

 

"De la semence empoisonnée du Maroc est sorti un arbre immense et funeste dont l'ombre meurtrière a pesé sur la Tripolitaine, s'allonge sur les Balkans et couvrira peut-être demain toute l'Europe. Ce sera cet arbre maudit dont parle Dante, dont chaque rameau quand on le brise, laisse échapper des gouttes de sang."

 

Cette conquête, ces conquêtes sont le témoignage d'une logique fondée sur l'injustice.

 

"La politique actuelle consiste simplement à compenser l'iniquité des uns par l'iniquité des autres. C'est l'infini dans l'injustice et le désordre..."

 

Dans la dépêche, nous sommes allés à la recherche des indications concernant la Libye dans les articles de Jaurès. Nous reproduisons ici les citations afin que l'on puisse réfléchir à la lumière du passé à cette nouvelle "colonisation" de la Libye par les pays occidentaux à laquelle nous assistons aujourd'hui trop impuissants, aussi impuissants peut-être que Jaurès devant la conquête coloniale et la montée de l'impérialisme.


Articles publiés dans la Dépêche

Jaurès. L'Intégrale des articles de 1887 à 1914 publiés dans la Dépêche

Editions Privat, 2009

 

22 novembre 1902. Lenteurs et intrigues

(Jaurès consacre cet article aux menées antirépublicaines qu'il voit se développer. il évoque déjà les projets colonialistes sur le Maroc et la Tripolitaine. P 359)

 

"Il y a les coloniaux qui, les uns par chauvinisme, les autres par appétit capitaliste, ont de grands desseins sur la Tripolitaine, sur le Maroc, sur le Siam, sur la Chine méridionale..."

 

6 novembre 1911. Conclusions générales

(Nous avons déjà repris cet article sur le blog:  Jaurès et la colonisation de la Tripolitaine (Lybie) - En contre-point à Rosa Luxemburg P. 809)

 

 

"L'Italie, encouragée par des traités secrets qui sont un monument obscur d'immoralité, et dont notre politique est responsable, s'est jetée sur la Tripolitaine par un acte de violence sans excuse, et dont on n'a même pas pris la peine de dissimuler l'odieux par des prétextes qui soutiennent une minute la discussion."

 

Le monde musulman, partout violenté ou menacé, semble resserrer de pays à pays, ses liens de solidarité, et il prépare à l'Europe, égarée par des convoitises sans frein, de redoutables entreprises; les exécutions sommaires odieuses des Arabes de Tripoli par les troupes italiennes laissent dans les âmes musulmanes un profond ressentiment ...".

 

28 novembre 1911. Pour la paix. 

(Ecrit à l'occasion du traité franco-allemand. P 807)

 

"Quelle douleur de penser que nos sombres convoitises marocaines, destinées d'ailleurs à une aussi cruelle déception, nous ont induits ou nous ont contraints, pour quêter partout des complicités et des complaisances, à favoriser d'un demi-sourire bienveillant l'expédition sauvage et scandaleuse de l'Italie en Tripolitaine ..."

 

24 avril 1912. Protectorat

(P 819)

 

"Mais comment pourrait-on maintenant songer à des contingents africains, arabes ou berbères. Le Maroc est agité et haineux. Par le voisinage de l'Italie en Tripolitaine, la Tunisie a cessé d'être sûre, et c'est encore un des effets détestables de la politique marocaine, qui a poussé l'Italie à Tripoli ..."

     

06 octobre .1912. Les nuées

(P833)

 

"La politique actuelle consiste simplement à compenser l'iniquité des uns par l'iniquité des autres. C'est l'infini dans l'injustice et le désordre. C'est un océan fangeux et qui n'a pas de rivage. Ah, vous êtes allés au Maroc! Je vais en Tripolitaine! Ah vous êtes allée en Tripolitaine, vous Italie! Moi, Montenegro, moi Serbie, moi, Bulgarie, moi Grèce, je ne vise que la Turquie. A moi, la Macédoine! Ah moi, l'Albanie! A moi les îles de l'Archipel! Où cela s'arrêtera-t-il?..."

 

 

 

12 octobre 1912. Vers la guerre générale

(P833/834)

 

"Les événements se développent avec une logique implacable. C'est la chaîne aimantée dont parlait Platon; mais l'aimant est sinistre. Le Maroc a déterminé la Tripolitaine, et celle-ci met en branle la guerre des Balkans, qui risque fort de produire la guerre générale. Je sais bien que quelques "esprits sages" se flattent de "localiser" le conflit qu'on n'a pu prévenir...

 

L'Italie avait un double intérêt à brouiller les cartes en Orient. Elle a subi en Tripolitaine de graves échecs. Les derniers engagements, présentés comme des victoires, ont été en réalité de sérieuses défaites.

 

De plus, l'expédition tripolitaine a été surtout un coup de diplomatie de la papauté. Pie X a vu dans l'opération dirigée contre l'Infidèle un moyen de faire rentrer le parti catholique dans la "grande politique" italienne, de concilier et de confondre les conspirations chauvines d'un peuple véhément et les intérêts de la propagande catholique ..."

 

16 octobre 1912. Le Salut

(P 834)

 

"C'est elle [l'Europe] qui est doublement responsable. C'est elle qui, par sa complaisance pour le sultant rouge Abdul-Hamid, et pour quêter les concessions fructueuses de ports et de chemins de fer, a négligé pendant toute une génération de demander pour les peuples balkaniques les garanties nécessaires. C'est elle ensuite, qui dans sa fièvre de conquête, a multiplié les attentats contre le monde de l'Islam, volant à la Turquie du nouveau régime la Bosnie-Herzégovine, désorganisant la Perse pour rmieux l'absorber, violentant  le Maroc, usurpant la Tripolitaine ..."  

,  

 

23 octobre 1912. Doux mystère. 

(P 835)

 

"De la semence empoisonnée du Maroc est sorti un arbre immense et funeste dont l'ombre meurtrière a pesé sur la Tripolitaine, s'allonge sur les Balkans et couvrira peut-être demain toute l'Europe. Ce sera cet arbre maudit dont parle Dante, dont chaque rameau quand on le brise, laisse échapper des gouttes de sang..."

 


 

06 novembre 1912. Confédération balkanique.

(P835)

 

"Mais mon correspondant oublie que le coup de la Bosnie-Herzégovine est de 1908 et que le traité par lequel la France encourageait l'Italie à saisir la Tripolitaine est de 1904. C'est pour se ménager des facilités au Maroc que la France de M. Delcassé a dit à l'Italie Prends la Tripolitaine! Et c'est l'expédition de Tripolitaine qui a été la cause la plus immédiate de l'ébranlement des BalKans. Il n'est personne qui le conteste. Bien mieux, l'opération de Bosnie-Herzégovine elle même a été favorisée par là. Ni l'Italie, qui rêvait à Tripoli, ni la France engagée au Maroc ne pouvait tenter la moindre opposition morale à l'entreprise autrichienne. L'Autriche aurait été très embarrassée pour violer un traité internationale, si elle n'avait pas dit tout bas à l'Italie, moi aussi, je vous permets la Tripolitaine. Et si elle n'avait pas dit à la France, vous savez bien qu'à la Conférence d'Algésiras, j'ai été aimable pour vous et complaisante à vos ambitions marocaines. Payez-moi de retour. Et ainsi l'affaire marocaine, la première dans la série des causes, a été le noeud d'une commune entreprise européenne contre le monde musulman..."

 

08 janvier 1913. Noble spectacle

(P 840)

 

"C'est cette même Europe qui a, pendant trente années, courtisé le régime d'Abdul-Hamid. Elle lui a permis qu'il étranglât la Constitution libérale de Midhal Pacha ... L'Europe a permis qu'Abdul-Hamid régnât par le meurtre, l'égorgement ... Quand après trente années, les Jeunes Turcs ont tenté un effort pour débarrasser la Turquie de ce régime ignominieux, quand ils ont tenté de régénérer un pays où tout était corruption et crime, quand ils ont assumé cette tâche surhumaine, l'Europe ne leur a pas fait six mois de crédit. Bosnie-Herzégovine, Tripolitaine, complot balkanique fomenté par les agents russes, manoeuvres des banques pour subordonner la Turquie, exploitation implacable dans toute la presse européenne des difficultés innombrables qui assaillaient le nouveau régime et des fautes à peu près inévitables qu'il commettait. Ce fut le spectacle le plus vilain et l'intrigue la plus sordide.

 

C'est dans un univers bestial que nous sommes condamnés à vivre jusqu'au jour où les hommes se décideront à devenir des hommes ..."

 

28 février 1913. La voix du salut 

(P844)

 

Elle [l'Italie] s'émeut à cette heure des ambitionsde la Grèce, de ses prétentions sur l'Archipel et sur les Iles de la côte de l'Asie Mineure. Elle s'émeut aussi des desseins présumés de la France et de l'Angleterre sur la Palestine et sur la Syrie, et elle croit utile de s'appuyer sur l'Autriche-Hongrie, qu'elle jalouse d'ailleurs en Albanie, et sur la Turquie qu'elle vient de dépouiller de la Tripolitaine, pour écarter de la Méditerranée orientale des ambitions actives qui la contrarient ..."

.

 

05 juillet 1914. L'Europe énervée

(P 880)

 

"Le roi d'Italie a vu avec surprise douloureuse surgir la révolte républicaine de Romagne, réponse du peuple souffrant à cette expédition de Tripolitaine qui a apporté au peuple d'Italie, non pas le paradis aux fruits d'or mais un désert de sable, un déficit de deux milliards, l'accroissement d'impôts déjà lourds, l'arrêt des industries, le chômage et la misère.

 

30 juillet 1914. Oscillation au bord de l'abîme

(Et la Tripolitaine est encotre présente dans le dernier article de Jaurès pour la Dépêche, à la veille de son assassinat. P 882) .

Lire l'ensemble de l'article sur le blog: "Et on se demande un moment s'il vaut la peine de vivre". Dernier article de Jaurès dans la Dépêche. En contre-point à R. Luxemburg

 

"Aurons-nous la guerre universelle? Aurons-nous la paix? La démarche de l'Autriche-Hongrie a été si brutale, si odieuse .. L'Europe a oublié les dix ans de compétitions d'intrigues, d'abus de la force, de mauvaise foi internationale qui ont grossi l'abcès. Elle a oublié le Maroc, la Tripolitaine, les horreurs balkaniques, les imprudences de la Serbie...

 

C'est dans cet article qui se termine par l'espoir en le socialisme que l'on trouve ce cri de désespoir:

 

"Quelle misère pour la race humaine! Quelle honte pour la civilisation! Devant la formidable menace qui plane sur l'Europe, j'éprouve deux impressions contraires. C'est d'abord une certaine stupeur et une révolte voisine du désespoir. Quoi! C'est à cela  qu'aboutit le mouvement humain! c'est à cette barbarie que se retournent dix-huit siècles de christianisme, le magnifique idéalisme du droit révolutionnaire, cent années de démocratie! Les peuples se sentent soudain dans une atmosphère de foudre, et il semble qu'il suffit de la maladresse d'un diplomate, du caprice d'un souverain, de la folie d'orgueil d'une caste militaire et cléricale au bord du Danube pour que des millions et des millions d'hommes soient appelés à se détruire. Et on se demande un moment s'il vaut la peine de vivre, et si l'homme n'est pas un être prédestiné à la souffrance, étant aussi incapable de se résigner à sa nature animale que de s'en affranchir."

 

la libye civilisation-0e45b

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22 juillet 2011 5 22 /07 /juillet /2011 09:55

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A lire sur matière et révolution: Qui était Rosa Luxemburg et quels sont ses textes?
Et en commentaire un texte de Victor Hugo.

 

"Concernant ce qui est dit sur la chine par R. Luxembourg au début de cet article, un texte de V. Hugo dénonçant l’expédition de Chine.

Le texte date de 1861. Il est adressé au capitaine Butler. Cette expédition eut lieu durant le Second Empire, sous Napoléon III. Voir en ligne : L’Expédition de Chine"


L’Expédition de Chine

AU CAPITAINE BUTLER

Hauteville-House, 25 novembre 1861

 

Vous me demandez mon avis, monsieur, sur l’expédition de Chine. Vous trouvez cette expédition honorable et belle, et vous êtes assez bon pour attacher quelque prix à mon sentiment ; selon vous, l’expédition de Chine, faite sous le double pavillon de la reine Victoria et de l’empereur Napoléon, est une gloire à partager entre la France et l’Angleterre, et vous désirez savoir quelle est la quantité d’approbation que je crois pouvoir donner à cette victoire anglaise et française.


Puisque vous voulez connaître mon avis, le voici :


Il y avait, dans un coin du monde, une merveille du monde ; cette merveille s’appelait le Palais d’été. L’art a deux principes, l’Idée, qui produit l’art européen, et la Chimère, qui produit l’art oriental. Le Palais d’été était à l’art chimérique ce que le Parthénon est à l’art idéal. Tout ce que peut enfanter l’imagination d’un peuple presque extra-humain était là. Ce n’était pas, comme le Parthénon, une œuvre rare et unique ; c’était une sorte d’énorme modèle de la chimère, si la chimère peut avoir un modèle. Imaginez on ne sait quelle construction inexprimable, quelque chose comme un édifice lunaire, et vous aurez le Palais d’été. Bâtissez un songe avec du marbre, du jade, du bronze, de la porcelaine, charpentez-le en bois de cèdre, couvrez-le de pierreries, drapez-le de soie, faites-le ici sanctuaire, là harem, là citadelle, mettez-y des dieux, mettez-y des monstres, vernissez-le, émaillez-le, dorez-le, fardez-le,  faites construire par des architectes qui soient des poëtes les mille et un rêves des mille et une nuits, ajoutez des jardins, des bassins, des jaillissements d’eau et d’écume, des cygnes, des ibis, des paons, supposez en un mot une sorte d’éblouissante caverne de la fantaisie humaine ayant une figure de temple et de palais, c’était là ce monument. Il avait fallu, pour le créer, le long travail de deux générations. Cet édifice, qui avait l’énormité d’une ville, avait été bâti par les siècles, pour qui ? pour les peuples. Garce que fait le temps appartient à l’homme. Les artistes, les poëtes, les philosophes, connaissaient le Palais d’été ; Voltaire en parle. On disait : le Parthénon en Grèce, les Pyramides en Égypte, le Colisée à Rome, Notre-Dame à Paris, le Palais d’été en Orient. Si on ne le voyait pas, on le rêvait. C’était une sorte d’effrayant chef-d’œuvre inconnu entrevu au loin dans on ne sait quel crépuscule comme une silhouette de la civilisation d’Asie sur l’horizon de la civilisation d’Europe.


Cette merveille a disparu.


Un jour, deux bandits sont entrés dans le Palais d’été. L’un a pillé, l’autre a incendié. La victoire peut être une voleuse, à ce qu’il paraît. Une dévastation en grand du Palais d’été s’est faite de compte à demi entre les deux vainqueurs. On voit mêlé à tout cela le nom d’Elgin, qui a la propriété fatale de rappeler le Parthénon. Ce qu’on avait fait au Parthénon, on l’a fait au Palais d’été, plus complètement et mieux, de manière à ne rien laisser. Tous les trésors de toutes nos cathédrales réunies n’égaleraient pas ce formidable et splendide musée de l’orient. Il n’y avait pas seulement là des chefs-d’œuvre d’art, il y avait un entassement d’orfèvreries. Grand exploit, bonne aubaine. L’un des deux vainqueurs a empli ses poches, ce que voyant, l’autre a empli ses coffres ; et l’on est revenu en Europe, bras dessus, bras dessous, en riant. Telle est l’histoire des deux bandits.

Nous européens, nous sommes les civilisés, et pour nous les chinois sont les barbares. Voilà ce que la civilisation a fait à la barbarie.


Devant l’histoire, l’un des deux bandits s’appellera la France, l’autre s’appellera l’Angleterre. Mais je proteste,  et je vous remercie de m’en donner l’occasion ; les crimes de ceux qui mènent ne sont pas la faute de ceux qui sont menés ; les gouvernements sont quelquefois des bandits, les peuples jamais.


L’empire français a empoché la moitié de cette victoire, et il étale aujourd’hui, avec une sorte de naïveté de propriétaire, le splendide bric-à-brac du Palais d’été. J’espère qu’un jour viendra où la France, délivrée et nettoyée, renverra ce butin à la Chine spoliée.


En attendant, il y a un vol et deux voleurs, je le constate.


Telle est, monsieur, la quantité d’approbation que je donne à l’expédition de Chine.


VICTOR HUGO.

 


Rosa Luxemburg

 

"En outre, dans la question marocaine s’exprime de nouveau clairement la relation intime entre la politique mondiale et la situation marocaine, où il suffit d’un rien pour précipiter l’Allemagne dans une guerre sanglante, changera fortement en tout cas la situation générale actuelle ainsi que celle que les possessions coloniales de l’Allemagne. Elle a surgi exactement comme pour la campagne chinoise et plus tard l’affaire algérienne, au moment des vacances parlementaires. La représentation suprême élue du peuple allemand, le Reichstag, est totalement exclu des décisions et des évènements les plus importants et les plus lourds de conséquences. Seul un régime personnel avec ses hommes de peine - lui-même instrument irresponsable entre les mains d’une clique irresponsable - agit selon son bon plaisir avec le destin de 64 millions d’allemands ..."


Tiré de: "Une nuée chargée d’orage impérialiste s’est levée dans le monde capitaliste" 

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21 mai 2011 6 21 /05 /mai /2011 16:08

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"Et on se demande un moment s'il vaut la peine de vivre". Dernier article de Jaurès dans la Dépêche, à la veille de son assassinat 

 

Aurons-nous la guerre universelle? Aurons-nous la paix?

 

Le derner article de Jaurès, on le lit, se perd dans cet entremêlat de politique impérialiste, qui caractérise les derniers jours de "paix"; mais on y trouve à la veille de sa mort et à l'orée du conflit mondial, ce cri angoissé "Et on se demande un moment s'il vaut la peine de vivre" et cet espoir d'une "Europe moins sauvage" qui ne peuvent que toucher tous ceux qui ne peuvent que s'interroger sur ce qu'aurait été un monde après ce premier août 14 avec Jaurès ...

 


L'oscillation au bord de l'abîme

 

Jaurès - La Dépêche - 30 juillet 1914

L'Intégrale des articles publiés dans la Dépêche - Editions Privat - P 882

 

Aurons-nous la guerre universelle? Aurons-nous la paix? Les nouvelles obscures succèdent aux nouvelles obscures comme de sombres nuées dans un ciel chargé d'orage; des éclaircies d'une heure se produisent, et la confiance un moment ranimée défaille de nouveau sous quelque télégramme menaçant ou ambigu. Aussi, je me garderai bien de risquer aujourd'hui un pronostic, rassuré ou inquiet, qui pourrait être démenti tout à l'heure. Précisément, le groupe socialiste vient d'envoyer une délégation au ministère des affaires étrangères. Quand nous avons traversé, pour nous y rendre, les couloirs de la Chambre et la salle des Pas-Perdus des journalistes, nous étions enveloppés des plus effrayantes rumeurs. On disait que, le matin même, l'ambassadeur d'Allemagne avait fait une démarche comminatoire. Le fait était faux, mais peu à peu les nerfs se tendent.

 

Quelle misère pour la race humaine! Quelle honte pour la civilisation! Devant la formidable menace qui plane sur l'Europe, j'éprouve deux impressions contraires. C'est d'abord une certaine stupeur et une révolte voisine du désespoir. Quoi! C'est à cela  qu'aboutit le mouvement humain! c'est à cette barbarie que se retournent dix-huit siècles de christianisme, le magnifique idéalisme du droit révolutionnaire, cent années de démocratie! Les peuples se sentent soudain dans une atmosphère de foudre, et il semble qu'il suffit de la maladresse d'un diplomate, du caprice d'un souverain, de la folie d'orgueil d'une caste militaire et cléricale au bord du Danube pour que des millions et des millions d'hommes soient appelés à se détruire. Et on se demande un moment s'il vaut la peine de vivre, et si l'homme n'est pas un être prédestiné à la souffrance, étant aussi incapable de se résigner à sa nature animale que de s'en affranchir.

 

Et puis, je constate malgré tout les forces bonnes, les forces d'avenir qui s'opposent au déchaînement de la barbarie. Quoi qu'il advienne, ces forces de paix et de civilisation grandiront dans l'épreuve. Si elles réussissent à prévenir la crise suprême, les nations leur sauront gré de les avoir sauvées du péril le plus pressant. Si, malgré tout, l'orage éclate, il sera si effroyable qu'après un accès de fureur, de douleur, les hommes auront le sentiment qu'ils ne peuvent échapper à la destruction totale qu'en assurant la vie des peuples sur des bases nouvelles, sur la démocratie, la justice, la concorde et l'arbitrage.

 

Nous assistons au choc du monde germanique et du monde slave. C'est le duel le plus vain: Car aucune de ces deux grandes forces ne pourra supprimer ou même refouler l'autre. Il faudra bien, après des saturnales de violences, qu'elles s'accomodent l'une à l'autre et qu'elles trouvent leur équilibre. Pourquoi ne pas le chercher dès maintenant? La démarche de l'Autriche-Hongrie a été si brutale, si odieuse, qu'elle a fait oublier tout le reste et que la responsabilité des Habsbourgs a apparu seule en pleine lumière. L'Europe a oublié les dix ans de compétition, d'intrigues, d'abus de la force, de mauvaise foi internationale qui ont grossi l'abcès. Elle a oublié le Maroc, la Tripolitaine, les horreurs balkaniques, les imprudences de la Serbie. Elle a oublié même que l'annexion de la Bosnie-Herzégovine, qui est à l'origine du conflit actuel, a été préparée par l'accord de l'Autriche-Hongrie et de la Sainte-Russie slave par l'entrevue à Buchlau de M. d'Aerenthal et de M. Isvolsky, lequel pour avoir été plus tard une dupe, ne fut pas moins à ce moment un complice. 

 

Oui, l'Europe a oublié un instant  tout cela, et il était juste qu'elle l'oubliât tant il y avait dans la note comminatoire de l'Autriche de brutalité, d'indécence, d'inhumanité. La lourdeur germanique s'y est aggravée de jésuitisme, d'indécence et d'inhumanité, de l'esprit implacable et rancuneux des cléricaux de Vienne. Peut-être l'Autriche-Hongrie s'apercevra-t-elle qu'elle joue un jeu redoutable. Faire violence à la Serbie, c'est se préparer de graves difficultés, c'est exaspérer les populations slaves de l'Empire; c'est aggraver le travail de dislocation qui se propage dans la monarchie austro-hongroise. Si l'Allemagne a la prétention d'exiger de la France qu'elle agisse sur la Russie pour que celle-ci s'abstienne de toute action, elle commet une très grave erreur; car la France n'acceptera pas une pression indiscrète et elle pourra toujours répondre à l'Allemagne: Oui si de votre côté vous vous vous engagez à agir sur l'Autriche. Mais il est vrai qu'il est de l'intérêt de la Russie de ne pas précipiter son action. Elle permettra ainsi à la médiation anglaise de s'exercer, à la conscience des peuples de s'affirmer. Elle obligera le germanisme impérialiste à assumer seul la responsabilité du trouble jeté sur l'Europe. Si la France, librement, donne ce conseil à la Russie, elle aura servi à la fois la Russie et la paix.

 

Partout le socialisme élève la voix, pour affirmer la commune volonté de paix du prolétariat européen. Même s'il ne réussit pas d'emblée à briser le concert belliqueux, il l'affaiblira et réparera les éléments d'une Europe nouvelle, un peu moins sauvage.

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18 avril 2011 1 18 /04 /avril /2011 20:36

comprendre-avec-rosa-luxemburg.over-blog.com

 

Une citation qui nous est adressée aujourd'hui et qui n'est pas sans résonnance avec ce qui se passe aujourd'hui! Quand les puissances impérialistes dont la France prétendent servir les droits de l'Homme en allant faire la guerre ...
Comme souvent, comprendre avec Rosa Luxemburg! Rosa Luxemburg qui fait partie de ceux qui sont allés le plus loin et de la manière la plus conséquente dans la pensée et dans l'action contre la guerre, et qui peut donc nous permettre de réfléchir aux conflits impérialistes d'aujourd'hui.

"La guerre mondiale ne sert ni la défense nationale ni les intérêts économiques ou politiques des masses populaires quelles qu'elles soient, c'est uniquement un produit de rivalités impérialistes entre les classes capitalistes de différents pays pour la suprématie mondiale et pour le monopole de l'exploitation et de l'oppression des régions qui ne sont pas encore soumises au Capital. A l'époque de cet impérialisme déchaîné il ne peut plus y avoir de guerres nationales. Les intérêts nationaux ne sont qu'une mystification qui a pour but de mettre les masses populaires laborieuses au service de leur ennemi mortel : l'impérialisme". 

(Rosa Luxemburg, Brochure de Junius, 1915)

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Grève de masse. Rosa Luxemburg

La grève de masse telle que nous la montre la révolution russe est un phénomène si mouvant qu'il reflète en lui toutes les phases de la lutte politique et économique, tous les stades et tous les moments de la révolution. Son champ d'application, sa force d'action, les facteurs de son déclenchement, se transforment continuellement. Elle ouvre soudain à la révolution de vastes perspectives nouvelles au moment où celle-ci semblait engagée dans une impasse. Et elle refuse de fonctionner au moment où l'on croit pouvoir compter sur elle en toute sécurité. Tantôt la vague du mouvement envahit tout l'Empire, tantôt elle se divise en un réseau infini de minces ruisseaux; tantôt elle jaillit du sol comme une source vive, tantôt elle se perd dans la terre. Grèves économiques et politiques, grèves de masse et grèves partielles, grèves de démonstration ou de combat, grèves générales touchant des secteurs particuliers ou des villes entières, luttes revendicatives pacifiques ou batailles de rue, combats de barricades - toutes ces formes de lutte se croisent ou se côtoient, se traversent ou débordent l'une sur l'autre c'est un océan de phénomènes éternellement nouveaux et fluctuants. Et la loi du mouvement de ces phénomènes apparaît clairement elle ne réside pas dans la grève de masse elle-même, dans ses particularités techniques, mais dans le rapport des forces politiques et sociales de la révolution. La grève de masse est simplement la forme prise par la lutte révolutionnaire et tout décalage dans le rapport des forces aux prises, dans le développement du Parti et la division des classes, dans la position de la contre-révolution, tout cela influe immédiatement sur l'action de la grève par mille chemins invisibles et incontrôlables. Cependant l'action de la grève elle-même ne s'arrête pratiquement pas un seul instant. Elle ne fait que revêtir d'autres formes, que modifier son extension, ses effets. Elle est la pulsation vivante de la révolution et en même temps son moteur le plus puissant. En un mot la grève de masse, comme la révolution russe nous en offre le modèle, n'est pas un moyen ingénieux inventé pour renforcer l'effet de la lutte prolétarienne, mais elle est le mouvement même de la masse prolétarienne, la force de manifestation de la lutte prolétarienne au cours de la révolution. A partir de là on peut déduire quelques points de vue généraux qui permettront de juger le problème de la grève de masse..."

 
Publié le 20 février 2009