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Assassinat de Rosa Luxemburg. Ne pas oublier!

Le 15 janvier 1919, Rosa Luxemburg a été assassinée. Elle venait de sortir de prison après presque quatre ans de détention dont une grande partie sans jugement parce que l'on savait à quel point son engagement contre la guerre et pour une action et une réflexion révolutionnaires était réel. Elle participait à la révolution spartakiste pour laquelle elle avait publié certains de ses textes les plus lucides et les plus forts. Elle gênait les sociaux-démocrates qui avaient pris le pouvoir après avoir trahi la classe ouvrière, chair à canon d'une guerre impérialiste qu'ils avaient soutenue après avoir prétendu pendant des décennies la combattre. Elle gênait les capitalistes dont elle dénonçait sans relâche l'exploitation et dont elle s'était attachée à démontrer comment leur exploitation fonctionnait. Elle gênait ceux qui étaient prêts à tous les arrangements réformistes et ceux qui craignaient son inlassable combat pour développer une prise de conscience des prolétaires.

Comme elle, d'autres militants furent assassinés, comme Karl Liebknecht et son ami et camarade de toujours Leo Jogiches. Comme eux, la révolution fut assassinée en Allemagne.

Que serait devenu le monde sans ces assassinats, sans cet écrasement de la révolution. Le fascisme aurait-il pu se dévélopper aussi facilement?

Une chose est sûr cependant, l'assassinat de Rosa Luxemburg n'est pas un acte isolé, spontané de troupes militaires comme cela est souvent présenté. Les assassinats ont été systématiquement planifiés et ils font partie, comme la guerre menée à la révolution, d'une volonté d'éliminer des penseurs révolutionnaires, conscients et déterminés, mettant en accord leurs idées et leurs actes, la théorie et la pratique, pour un but final, jamais oublié: la révolution.

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Avec Rosa Luxemburg.

1910.jpgPourquoi un blog "Comprendre avec Rosa Luxemburg"? Pourquoi Rosa Luxemburg  peut-elle aujourd'hui encore accompagner nos réflexions et nos luttes? Deux dates. 1893, elle a 23 ans et déjà, elle crée avec des camarades en exil un parti social-démocrate polonais, dont l'objet est de lutter contre le nationalisme alors même que le territoire polonais était partagé entre les trois empires, allemand, austro-hongrois et russe. Déjà, elle abordait la question nationale sur des bases marxistes, privilégiant la lutte de classes face à la lutte nationale. 1914, alors que l'ensemble du mouvement ouvrier s'associe à la boucherie du premier conflit mondial, elle sera des rares responsables politiques qui s'opposeront à la guerre en restant ferme sur les notions de classe. Ainsi, Rosa Luxemburg, c'est toute une vie fondée sur cette compréhension communiste, marxiste qui lui permettra d'éviter tous les pièges dans lesquels tant d'autres tomberont. C'est en cela qu'elle est et qu'elle reste l'un des principaux penseurs et qu'elle peut aujourd'hui nous accompagner dans nos analyses et nos combats.
 
Voir aussi : http://comprendreavecrosaluxemburg2.wp-hebergement.fr/
 
10 mars 2022 4 10 /03 /mars /2022 11:01
Liebknecht et Luxemburg régulièrement cités. Difficile de parler en temps de guerre ...

Les recherches sur Liebknecht et Luxemburg sur le net nous conduisent régulièrement à la guerre que mène le pouvoir russe en Ukraine. Et à la référence à leur refus du premier conflit mondial.

 

Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg ont lutté il est vrai pied à pied contre le militarisme, la course aux armements et la guerre, contre l’aliénation des sociétés qui bientôt se lancèrent à corps perdus dans une guerre mondiale fratricide, qu’ils ont vu s'approcher et contre laquelle ils ont tenté de mobiliser les prolétaires.

Ils en ont analysé les causes, le capitalisme, le nationalisme, l’impérialisme, dénoncé les Etats impériaux ou dits démocratiques au service de la politique coloniale et impérialiste. Ils ont tenté jour après jour de faire prendre conscience aux masses opprimées, des dangers de l’aliénation à laquelle elles étaient soumises, de l’importance d’une prise de conscience de classe, de la nécessaire utilisation par les masses des moyens dont elles disposent pour s’opposer au pire : la grève de masse, le refus de servir le militarisme.

Tous deux ont connu pour cela la prison comme nombre de ceux du courant dont ils faisaient partie.

 

C'est pourquoi certaines de leurs phrases marquent aujourd’hui encore  les esprits et sont régulièrement citées comme celle de Liebknecht, « L’ennemi principal est toujours dans notre propre pays ». Elles sont reprises par les courants les plus divers parfois à contre-sens. La phrase de Karl Liebknecht est tirée d'un tract spartakiste de 1915 qui s'adresse au prolétariat en Allemagne et au-delà international.

Il apparaît juste cependant que l’on souhaite rechercher auprès d’eux des éléments d’analyse et de « solution », car nous sommes toujours dans un monde impérialiste qui opprime et exploite, aliène et ne connaît comme solution que la guerre et toujours la guerre. Même si les protagonistes et les formes ont aujourd'hui  changé.

 

Pour ce qui précède l’agression du pouvoir russe aujourd’hui, notre responsabilité d’hier est engagée dans chacun de nos pays. Pour nous, dans les pays occidentaux, du fait  :

  • De l’abandon d’une analyse et d’une pratique de classe, de l’invisibilisation systématique des prolétaires
  • De l’inexistence d’un mouvement fort et de classe contre l’OTAN, comme il a pu en exister, même minoritaire, dans les années 70, et contre ses agissements et ceux de l’Union européenne depuis 1989
  • De l’absence de prise de conscience et de dénonciation de ce que l’action des Occidentaux pouvait faire naître de nationalisme, allant jusqu’au fascisme, dans les pays « vaincus », comme ce fut le cas il y a plus de 100 ans après Versailles en Allemagne.

 

Maintenant que la guerre est là, notre impuissance paraît tout aussi grande que celle de Liebknecht ou Luxemburg. Comme l’indiquait Liebknecht dans la déclaration motivant son refus de voter les crédits de guerre en décembre 1914 :

« La libération du peuple russe comme du peuple allemand doit être l'œuvre de ces peuples eux-mêmes. »

« Seule, une paix basée sur la solidarité internationale de la classe ouvrière et sur la liberté de tous les peuples peut être une paix durable.

Quatre ans de guerre et une révolution auront été nécessaires, et des millions de morts. La révolution mit fin à la guerre, mais son assassinat par les forces dites "démocratiques" fit naître et prospérer le nazisme.

 

Aussi aujourd'hui,  nous ne pouvons être partie de cette libération

- qu'en montrant le développement d'un pouvoir russe de plus en plus nationaliste, quelles que soient les raisons de son action

- qu’en soutenant la volonté des forces progressistes qui luttent sur des bases de classe en Russie

- qu'en dénonçant le repartage impérialiste du monde qui a de nouveau conduit et qui de nouveau conduira au pire

- qu'en menant encore et toujours un combat contre toutes les guerres impérialistes, et en luttant pour un monde libéré de l'oppression, de la répression, de l'aliénation créées par le capitalisme.

 

Rappelons pour cela que, dans certains pays de l'Europe, être marxiste est un crime, qu'en Pologne par exemple, Rosa Luxemburg est mise à l'index et la plaque sur sa maison natale arrachée par le pouvoir.

 

Il est difficile de parler en temps de guerre alors que les populations souffrent. On peut dire cependant que seule une action de classe, anti-impérialiste pourra permettre dans l'avenir de combattre les guerres.

 

La déclaration de Karl Liebknecht s’adresse au prolétariat, pour qu'il se lève et résiste, tout comme celle de Rosa Luxemburg qui déclarait dans la brochure de Junius :

 

« Cette folie cessera le jour où les ouvriers d'Allemagne et de France, d'Angleterre et de Russie se réveilleront enfin de leur ivresse et se tendront une main fraternelle couvrant à la fois le choeur bestial des fauteurs de guerre impérialistes et le rauque hurlement des hyènes capitalistes, en poussant le vieux et puissant cri de guerre du Travail : Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! »

 

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1 mars 2022 2 01 /03 /mars /2022 00:47

"De nouveau, les impérialismes s'affrontent. De nouveau la guerre et de nouveau les morts. Dans chaque pays,  la conscience de classe est trop absente. Comme le dit Rosa Luxemburg dans ce texte : Attendre de la Triplice, donc d’une politique d’alliance capitaliste conçue pour préparer la guerre, qu’elle agisse en faveur de la paix, c’est comme vouloir cueillir des figues sur un buisson de chardons. " DVP.

Lire sur mediapart : https://blogs.mediapart.fr/jean-marc-b/blog/020322/non-la-guerre-en-ukraine-collectif

 

 

Lecture en allemand et extrait traduit du discours "Zur weltpolitischen Lage", 1913

Vu aujourd'hui sur le net. Traduction DVP

 

La tactique de la social-démocratie allemande, en désespoir de cause, est de se situer sur le terrain de la Triplice, c’est-à-dire de soutenir l’alliance des diplomaties allemande, autrichienne et italienne.

Il est profondément regrettable qu'il y a quelques semaines à peine, alors que le nouveau projet de loi militaire était débattu au Reichstag, le camarade David ait indiqué publiquement au gouvernement au nom du groupe parlementaire, que nous, sociaux-démocrates,  nous nous rangions aux côtés de la Triplice, en émettant une seule réserve : que la Triplice se comporte en « brave petit » et agisse en faveur de la paix. Malheureusement, nous ne sommes pas restés les seuls sur cette position. Car presque le même jour, le camarade Renner a fait une déclaration similaire au Parlement de Vienne au nom de la social-démocratie autrichienne.

Attendre de la Triplice, donc d’une politique d’alliance capitaliste conçue pour préparer la guerre, qu’elle agisse en faveur de la paix, c’est comme vouloir cueillir des figues sur un buisson de chardons. Il suffit de voir les résultats de la Triplice. La première fut littéralement de pousser la France à conclure cette alliance honteuse avec la Russie et d’entraîner l’Angleterre à une relation à trois avec la France et la Russie. Une autre conséquence est le développement colossal de la course aux armements de l’Allemagne contre la France et la Russie, ainsi que de l’Autriche. Et où était donc la Triplice quand il s’agissait de préserver la paix, lorsqu’une puissance de la Triplice envahissait Tripoli ou quand l’Autriche annexait la Bosnie et l’Herzégovine ?

Constater que quand deux ou trois États capitalistes agissent de conserve, il s’agit toujours pour eux d’avoir la peau d’un quatrième État capitaliste, est une lapalissade bien connue. Quelle naïveté que d’attendre de cette alliance qu’elle soit une garantie pour la paix !

Il n’y a qu’une seule alliance internationale qui s’est révélée être la garantie pour la paix. La seule alliance sur laquelle nous puissions compter, c’est l’alliance de tous les prolétaires révolutionnaires du monde.

Le texte en allemand :

Die weltpolitische Lage. Rede am 27. Mai 1913 in Leipzig-Plagwitz. Nach einem Zeitungsbericht.

Leipziger Volkszeitung, Nr. 121 vom 29. Mai 1913. Rosa Luxemburg, Gesammelte Werke, Bd. 3, S. 212–219. Transkription: Oliver Fleig und Sozialistische Klassiker. HTML-Markierung: Einde O’Callaghan für das Marxists’ Internet Archive.


Wir leben in einer merkwürdigen Zeit, in der die Aufmerksamkeit der Arbeiterklasse durch ein ganz spezielles Gebiet des öffentlichen Lebens in steigendem Maße in Anspruch genommen wird; dies Gebiet ist die auswärtige Politik. Für den Begriff und geistigen Horizont des Durchschnittsspießers gehört die auswärtige Politik zu jenem Abteil der Morgenzeitung, das er beim Morgenkaffee liest zur Zerstreuung seiner Sorgen oder von dem Gekeife seiner besseren Hälfte. Für die Arbeiterklasse dagegen ist die auswärtige Politik tief ernst und äußerst wichtig. Es ist nicht immer so gewesen. Wenn man das geistige Leben der Arbeiterschaft in den letzten Jahrzehnten verfolgt, so kann man förmlich den Puls dieses geistigen Lebens fühlen und beobachten, wie von Jahr zu Jahr bei der Arbeiterschaft die Aufmerksamkeit für die auswärtige Politik wächst. Trotzdem ist es noch immer nicht genug, es muss dahin gebracht werden, dass jede Arbeiterin und jeder Arbeiter verstehen lernt, dass es gilt, mit derselben Energie, Aufmerksamkeit und Leidenschaft wie die Fragen der inneren Politik alle Geschehnisse der Weltpolitik zu verfolgen. Jede Proletarierfrau und jeder Proletarier müssen sich heute sagen, es geschieht nichts in der auswärtigen Politik, was nicht die eigensten Interessen des Proletariats berührt. Wenn in Afrika von den deutschen Militärs die Neger unterdrückt werden [1], wenn auf dem Balkan die Serben und Bulgaren die türkischen Soldaten und Bauern niedermorden [2], wenn in Kanada bei den Wahlen die konservative Partei plötzlich die Oberhand gewinnt und die liberale Herrschaft zertrümmert [3], in allen Fällen müssen sich die Arbeiterinnen und die Arbeiter sagen, um eure Sache handelt es sich, eure Interessen stehen dort auf dem Spiel. Es ist Karl Marx gewesen, der uns schon viele Jahrzehnte, bevor diese Entwicklung so ausgeprägt zu erkennen war, Fingerzeige für die Erkenntnis dieser Erscheinung gegeben hat. In seiner berühmten Inauguraladresse sagte er unter anderem: Kämpfe um die auswärtige Politik bilden einen Teil des allgemeinen Kampfes für die Emanzipation des Proletariats, sie sind also ein Teil des Klassenkampfes. [4]

Gerade wenn wir die jetzige weltpolitische Lage vergleichen mit der Zeit, in der die Inauguraladresse erschien, können wir den Wandel der Zeiten ermessen. In den 60er Jahren noch waren der Drehzapf der weltpolitischen Lage die Nachwehen und Folgen der Teilung Polens durch Preußen, Österreich und Russland. [5] Die gegenseitige Reibungsfläche der Mitschuldigen an dem Raube war es, um die sich die weltpolitische Läge drehte. Wenn heute jemand fragt, was der Mittelpunkt der weltpolitischen Ereignisse ist, so würde selbst ein ernsthafter Politiker über diese Frage in große Verlegenheit kommen. Heute haben wir in der Nordsee einen solchen Punkt, in der Rivalität zwischen England und Deutschland. Im Mittelmeer besteht ein ganzer Knäuel von Gegensätzen und Widersprüchen. Der Frieden am Balkan [6] bedeutet die Zerreißung der europäischen Türkei und gleichzeitig die sichere Gewähr für den nächsten Krieg um die asiatische Türkei. Aber darin erschöpfen sich die internationalen Gegensätze nicht. Auf dem Leibe des unglücklichen Persiens wird der Kampf zwischen Russland und England ausgefochten. [7] Im vollsten Frieden wird ein Land und ein Volk zerstückelt. Ein Stück weiter nach Osten liegt der gewaltige Herd der Revolution in China. Von Asien führt der Weg über den Stillen Ozean nach Amerika. Hier erleben wir in den letzten Jahrzehnten immer neue Überraschungen. Seit die Vereinigten Staaten 1898 ihren ersten Kolonialkrieg mit Spanien um die Philippinen ausfochten, sehen die amerikanischen Kapitalisten begehrlich nach Asien. Daraus ist der Gegensatz zwischen Japan und den Vereinigten Staaten und England entstanden.

Auch wenn wir die Kriege der letzten 10 bis 15 Jahre betrachten, erkennen wir, wie sich der politische Horizont nach und nach erweitert hat. Man kann, grob gehauen, den Beginn dieser Umwälzung mit dem japanisch-chinesischen Kriege im Jahre 1895 beginnen. Der Krieg zeigte ein Land, das zum erstenmal zur Selbständigkeit erwachte. 1898 folgte der Krieg zwischen Amerika und Spanien, bei dem die Vereinigten Staaten zum erstenmal außerhalb ihres Landes kämpften. Der Burenkrieg von 1899 krönte eine Anzahl stiller Eroberungen, die England dort unten gemacht hatte. Dann kam der Hunnenfeldzug nach China, bei dem Wilhelm II. den Soldaten die Parole mit auf den Weg gab: Pardon wird nicht gegeben, Gefangene werden nicht gemacht. Die Soldaten sollten hausen wie die Hunnen, so dass nach tausend Jahren kein Chinese wagt, einen Deutschen scheel anzusehen. [8] 1904 brach der Krieg zwischen Russland und Japan aus, dem die russische Revolution folgte, an die sich die Revolution in Persien, in der Türkei und zum Teil in Indien anschloss. Wir haben dann in den letzten paar Jahren eine Reihe zuckender Blitze und Gewitter in China gehabt. Der Streit zwischen Frankreich und Deutschland um Marokko hat den Raubzug Italiens nach Tripolis und dieser wieder den Balkankrieg zur Folge gehabt. Die Triebkraft dieser Kriege ist das Bestreben, die noch nicht vom Kapitalismus erreichten Gebiete aufzuteilen.

Bis vor kurzer Zeit gab es in der Sozialdemokratie ein ganz einfaches Mittel, um zu entscheiden, wie wir uns zu einem Kriege zu stellen haben. Der Angriffskrieg wurde abgelehnt und verdammt, dagegen müsse auch die Sozialdemokratie für den Verteidigungskrieg eintreten. Genosse Bebel, der so viel Ausgezeichnetes, manchmal aber auch, wie jeder Mensch, weniger Ausgezeichnetes gesagt hat, hat ja einmal im Reichstage erklärt, er wolle bei einem Verteidigungskriege trotz seiner alten Tage noch die Flinte auf den Buckel nehmen. [9] Diese Weisung ist schon deshalb nicht brauchbar, weil die Unterscheidung zwischen Angriffs- und Verteidigungskrieg unter den Händen zerrinnt oder wie eine Seifenblase zerplatzt. In den Kriegen der französischen Revolution gab die französische Regierung die Kriegserklärungen ab, und doch waren es Verteidigungskriege, die das Werk der Revolution gegen die Reaktion schützten. Der Krieg auf dem Balkan ist formal genommen ein Angriffskrieg gegen die Türkei. Aber die Machthaber der angreifenden Nationen zerfließen in Beteuerungen über die Verteidigung der heiligsten nationalen Rechte und des christlichen Glaubens gegen die Türken, und auch sie haben recht. Daraus haben wir den Schluss zu ziehen, wir als Proletarier haben uns gegen jeden Krieg zu wenden, gleichviel ob Angriffs- oder Verteidigungskrieg. Wir erkennen in ihm eine Folge des Imperialismus, und wie den Imperialismus als Ganzes, so bekämpfen wir auch jede seiner Teilerscheinungen.

Ein Notbehelf in unsrer Taktik ist, dass sich die deutsche Sozialdemokratie auf den Boden des Dreibunds stellt, das heißt, dass sie die Vereinigung der deutschen, österreichischen und italienischen Diplomatie unterstützt. Es ist tief bedauerlich, dass erst vor einigen Wochen, als die neue Militärvorlage im Reichstage verhandelt wurde [10], Genosse David der Regierung im Auftrage der Fraktion öffentlich erklärte, wir Sozialdemokraten stehen auf dem Boden des Dreibunds, wobei nur der Vorbehalt gemacht wurde, der Dreibund müsse ein braver Knabe sein und für den Frieden wirken. [11] Leider sind wir nicht allein damit geblieben, denn fast am gleichen Tage hat im Wiener Parlament Genosse Renner eine ähnliche Erklärung für die österreichische Sozialdemokratie abgegeben. Vom Dreibund, von einer kapitalistischen Bündnispolitik, die den Krieg vorbereiten soll, erwarten, sie solle für den Frieden wirken, das ist das Beginnen eines Menschen, der vom Distelstrauch Feigen pflücken will Man muss nur einmal die Resultate des Dreibunds betrachten. Seine erste Folge war, dass Frankreich zu der schmachvollen Allianz mit Russland förmlich getrieben wurde und dass England mit Frankreich und Russland zu jenem dreieckigen Verhältnis gebracht wurde. [12] Eine andre Folge des Dreibunds sind die ungeheueren Rüstungen Deutschlands gegen Frankreich und Russland und ebenso die Rüstungen Österreichs. Wo war denn auch der Dreibund, als es galt, den Frieden zu erhalten, als eine Dreibundmacht Tripolis überfiel oder als Österreich Bosnien und die Herzegowina annektierte? Es ist eine alte Binsenwahrheit, dass, wo zwei oder drei kapitalistische Staaten die Köpfe zusammenstecken, es sich immer um die Haut eines vierten kapitalistischen Staates handelt. Welche Naivität gehört dazu, von diesem Bündnis zu erwarten, es sollte eine Gewähr sein für den Frieden. Es gibt ein internationales Bündnis, das sich als einzige Gewähr für den Frieden herausgestellt hat. Das einzige Bündnis, auf das zu rechnen ist, das ist das Bündnis aller revolutionären Proletarier der Welt!

Wir haben auch noch mit einer andern Illusion, die Verwirrung anrichten kann, reinen Tisch zu machen, nämlich mit der Illusion von der Abrüstung. Vor einigen Jahren gefiel es dem englischen Minister Grey, eine schöne Rede zu halten, in der er für eine Verständigung über die Rüstungen eintrat. [13] Kaum hatte man dies bei uns gehört, so sagten einige Genossen unsrer Reichstagsfraktion: Bravo, der Mann spricht wie ein Buch. Sie glaubten, auf diese Weise könnten wir von dem Krieg nach rückwärts zu dem Frieden kommen. Als aber Grey so sprach, hatte er schon eine neue Flottenvorlage in der Tasche und statt der Abrüstungen kamen ungeheuere neue Rüstungen. Auch in Deutschland war es ja ähnlich. In der Budgetkommission redete der Kriegsminister einer Verständigung mit England das Wort. [14] Das gab ein großes Hallo! Ein deutscher Kriegsminister, der wie eine Taube den Ölzweig des Friedens im Schnabel hielt; das war in Wirklichkeit das Vorspiel zu der ungeheueren Militärvorlage. Man muss doch geradezu die Augen schließen, um nicht zu sehen, dass die Rüstungen eine naturnotwendige Konsequenz der ganzen ökonomischen Entwicklung sind. Solange das Kapital herrscht, werden Rüstungen und Krieg nicht aufhören. Alle großen und kleinen kapitalistischen Staaten sind jetzt in den Strudel der Wettrüstungen gerissen. Es war immer das Vorrecht der Sozialdemokratie, dass sie mit ihren Bestrebungen nicht im Wolkenkuckucksheim wurzelte, sondern mit festen Füßen auf dem realen Boden stand. Wir haben bei allen Erscheinungen in der Politik immer gefragt, wie sich diese Erscheinungen mit der kapitalistischen Entwicklung vereinbaren. Wie haben wir doch über die bürgerlichen Friedenspolitiker gelacht, diese guten Leute und schlechten Musikanten. Es ist eine hoffnungslose Utopie, zu erwarten, dass durch unsre Propaganda für die Abrüstung die kapitalistischen Staaten aufhören werden zu rüsten. Die Rüstungen sind eine fatale Konsequenz der kapitalistischen Entwicklung, und dieser Weg führt in den Abgrund.

Wir haben ein ganz anderes Ziel zu verfolgen, das uns klar und deutlich unsre historische Aufgabe stellt, das Milizsystem, die Bewaffnung des Volkes, wie sie unser Programm verlangt. Wir haben die Pflicht, dem Volke zu sagen, dass es aufhören muss, Kadavergehorsam zu zeigen, dass es seine eignen Interessen wahrnehmen muss. Allerdings, die Forderung der Miliz ist etwas ganz anderes als die Abrüstung der herrschenden Klasse; das Milizsystem kann einzig und allein nur aus der Tatkraft des Proletariats hervorgehen. Wir täuschen uns nicht, wir glauben nicht, dass wir von heute auf morgen die Miliz einführen können. Eine Heeresorganisation, bei der das Volk in Waffen entscheidet, ob es in den Krieg ziehen will oder nicht, lässt sich nicht vereinbaren mit der Herrschaft der Krupps und der Rüstungskartelle. Um die Miliz einzuführen, müssen wir die herrschenden Klassen stürzen, das bedeutet eine Revolution, ein gewaltiges Stück historischer Arbeit. Aber soll das ein Anlass sein, unsre Forderung wie ein Familienheiligtum sorgfältig im Schrank aufzubewahren, um es immer bei besonders feierlichen Gelegenheiten hervorzuholen?

Nein! Wir müssen die Miliz fordern im täglichen Aktionsprogramme; das Volk muss wissen, dass die Durchführung der Forderung den Sturz der Junkerherrschaft voraussetzt. In Frankreich erleben wir jetzt den stürmischen Protest gegen die dreijährige Dienstzeit, dort beginnt schon die Opposition gegen den militärischen Kadavergehorsam. Sollte der deutsche Arbeiter dümmer und schlechter und feiger sein? Ich glaube, dass wir nicht umsonst vier Millionen sozialdemokratische Stimmen zählen und nicht umsonst 50 Jahre sozialistischer Geschichte hinter uns haben. Auch die Zeit wird kommen, wo die deutsche Arbeiterschaft sich nicht mehr kommandieren lässt, wo Sie sich wie ein Mann erhebt und sagt: Ich will es nicht, ich tue es nicht! (Lebhafter Beifall)

Eine Folge der Rüstungsdelirien ist der schmachvolle Niedergang des Parlamentarismus. In Deutschland ist jede bürgerliche Opposition aus dem Parlament verschwunden, es gibt keine Rüstungsvorlage, die nicht von den getreuen Regierungsmamelucken bewilligt würde. Die Regierung braucht nur zu pfeifen, und die Parlamente springen wie die Pudel. Wir arbeiten bei Reichstagswahlen im Schweiße unseres Angesichts, um soviel Vertreter als möglich in den Reichstag zu schicken, wenn es aber einen Arbeiter gibt, der da meint, es genüge, einen Stimmzettel abzugeben, so kann er mir nur leid tun. Im gleichen Maße, in dem mehr Sozialdemokraten in die Parlamente geschickt werden, sinken diese Parlamente immer mehr zu einem Feigenblatt des Absolutismus herab. Als die Chinaexpedition [15] ausgerüstet wurde, waren die Abgeordneten bei Muttern, nachher gewährten die Vertreter des Bürgertums für die schon verausgabten Mittel mit hündischer Beflissenheit Indemnität. In England, wo das Zeremoniell des parlamentarischen Hokuspokus besonders ausgebildet ist, liegen die Verhältnisse genauso, schrieb doch ein englisches Blatt, der dreimal heilige Parlamentarismus ist auf dem besten Wege, den Laden zu schließen. Wie in Deutschland und England ist es auch in Österreich und in andern Staaten: Der Parlamentarismus gerät immer tiefer in den Sumpf. Was wären wir Sozialdemokraten wert, wenn wir unsre Hoffnungen auf den Parlamentarismus setzen wollten? Die Schwerkraft der sozialdemokratischen Politik muss in die Massen verlegt werden, das Parlament bleibt nur noch eine – allerdings bedeutende – Rednertribüne, von der aus die sozialistische Aufklärung erfolgen und die Masse aufgepeitscht werden soll. Dass die Masse handeln kann, wenn es nötig ist, dafür haben wir in der letzten Zeit genug Beweise gehabt. Man sagt uns oft mit den Kassen- und Mitgliedsbüchern in der Hand, wir haben noch nicht genug Mitglieder, die Kassen sind noch zu schwach, um große Aktionen durchführen zu können. O über diese kleinen Rechenmeister! Ich unterschätze nicht den Wert der Organisationen, man kann sie nicht hoch genug schätzen, Aber es wäre höchst falsch, wenn man annehmen wollte, erst müsste der letzte Arbeiter und die letzte Arbeiterin eingeschriebenes Mitglied der Partei sein, ehe der große Marsch gegen den Kapitalismus angetreten werden könne. In Belgien haben erst jetzt 400.000 Mann 10 Tage lang mit verschränkten Armen dagestanden, um politische Rechte zu erobern, wenn ich auch der Meinung bin, dass man sie nicht zur rechten Zeit ins Feuer geführt hat. [16] Dabei hat die belgische Arbeiterschaft bei weitem nicht so gute Organisationen wie die deutsche. Auch das Beispiel der russischen Revolution hat ja bewiesen, was die Masse kann. 1906 hatte das russische Proletariat keine gewerkschaftlichen und keine politischen Organisationen, und wenige Jahre darauf waren im Feuer der Revolution feste proletarische Organisationen geschmiedet.

1. Im Jahre 1904 hatten sich in Südwestafrika die Völker der Hereros und der Hottentotten gegen die Kolonialherrschaft des deutschen Imperialismus erhoben. Der Aufstand, der den Charakter eines Freiheitskrieges trug, endete mit einer verlustreichen Niederlage dieser Völker, nachdem die deutschen Kolonialtruppen drei Jahre lang mit äußerster Grausamkeit gegen sie vorgegangen waren.

2. Von Oktober 1912 bis Mai 1913 führten Bulgarien, Serbien, Griechenland und Montenegro Krieg gegen das türkische Reich, der mit einer Niederlage der Türkei endete. Dieser Krieg war in seiner Haupttendenz ein nationaler Krieg gegen die türkische Fremdherrschaft auf dem Balkan. Infolge der Einmischung der imperialistischen Großmächte gefährdete er den Frieden in Europa.

3. Mit dem Sieg der konservativen Partei bei den Wahlen zum Unterhaus in Kanada im September 1911 war eine fünfzehnjährige Herrschaft der liberalen Majorität beseitigt worden.

4. Siehe Karl Marx, Inauguraladresse der Internationalen Arbeiter-Association, in Karl Marx u. Friedrich Engels, Werke, Bd. 16, Berlin 1971, S. 13.

5. Im Ergebnis der die Teilungen Polens in den Jahren 1772, 1793 und 1795 wurden die Westgebiete von Preußen, Galizien von Österreich und die Ostgebiete von Russland annektiert. 1815 wurde vom Wiener Kongress das Königreich Polen (Kongresspolen) geschaffen, das in Personalunion mit Russland verbunden wurde.

6. Im Friedensvertrag von London, der am 30. Mai zwischen den Balkanstaaten und der Türkei abgeschlossen wurde, musste die Türkei fast alle Gebiete auf der Balkanhalbinsel an die Balkanstaaten abtreten.

7. Unter dem Einfluss der Revolution in Russland von 1905 bis 1907 hatte sich in Persien eine bürgerlich-demokratische Massenbewegung entwickelt, die zur Einschränkung des Absolutismus und zur Einführung der konstitutionellen Regierungsform geführt hatte. Mit aktiver Unterstützung Großbritanniens und des zaristischen Russlands, die im Süden bzw. Norden Persiens die revolutionären Kräfte mit Waffengewalt unterdrückten, gelang es den reaktionären Kräften in Persien, Ende 1911 die Revolution niederzuschlagen.

8. Am 27. Juli 1900 hatte Wilhelm II. in Bremerhaven die Truppen der Chinaexpedition mit einer chauvinistischen Hetzrede, berüchtigt geworden als Hunnenrede, verabschiedet und zu äußerster Brutalität gegenüber den chinesischen Freiheitskämpfer aufgefordert.

9. August Bebel hatte am 7. März 1904 im Reichstag zur Haltung der Sozialdemokratie im Falle eines Angriffskrieges ausländischer Mächte gegen Deutschland gesprochen. Dabei war er von der von Karl Marx und Friedrich Engels wie auch von ihm selbst oft betonten, für das 19. Jahrhundert richtigen Erkenntnis ausgegangen, dass ein nationaler Verteidigungskrieg gegen den Zarismus und mit ihm verbündete Mächte im Interesse der Entwicklung der Arbeiterbewegung möglich und notwendig hätte sein können. Bebel hatte nicht gesehen, dass diese Auffassung durch die Veränderung des nationalen und internationalen Kräfteverhältnisses im Imperialismus überholt war.

10. Ende 1913 war im Reichstag ein Militär- und Deckungsvorlage eingebracht worden, die die größte Heeresverstärkung seit Bestehen des Deutschen Reiches vorsah. Ein Teil der zusätzlichen finanziellen Mittel sollte durch einen außerordentlichen Wehrbeitrag und durch Besteuerung aller Vermögen über 10.000 Mark aufgebracht, der übrige teil auf die Schulter der werktätigen Bevölkerung abgewälzt werden. Die sozialdemokratische Fraktion lehnte die Militär- und Deckungsvorlage ab, stimmte aber einer einmaligen Vermögensabgabe (dem sogenannten Wehrbeitrag) und einer Vermögenszuwachssteuer zur Finanzierung der Heeresvorlage zu. Der Abstimmung waren scharfe in der Fraktion vorausgegangen, die damit endeten, dass die Revisionisten unter Missbrauch der Fraktionsdisziplin den Widerstand von 37 abgeordneten unterdrückten. Diese Zustimmung zu den Gesetzen bedeutete das Aufgeben des Grundsatzes „Diesem System keinen Mann und keinen Groschen!“

11. Diese Erklärung hatte der Opportunist Eduard David bereits am 3. Dezember 1912 im Namen der sozialdemokratischen Fraktion abgegeben. Er befürwortete die imperialistische Außenpolitik und erklärte die deutsche Sozialdemokratie zu einer Stütze des Dreibundes, sofern dieser ein „Defensivbündnis“ darstellte.

12. Nachdem Frankreich und Russland sowie Großbritannien und Frankreich bereits verbündet waren, hatten sich Großbritannien und Russland im August 1907 über die Abgrenzung ihrer Interessensphären geeinigt. Damit war die Triple-Entente als imperialistischer Machtblock entstanden.

13. Am 13. März 1911 hatte der Außenminister Sir Edward Grey anlässlich der Vorlage des neuen Marineetats im britischen unterhaus über Möglichkeiten der Rüstungseinschränkung, speziell eines Vertrages mit Deutschland gesprochen, da die Rüstungsausgaben ein „Verbluten in Friedenszeiten“ bedeuten würden. Der Marineetat wurde angenommen und brachte gegenüber dem Vorjahr eine Erhöhung der Ausgaben um vier Millionen Pfund Sterling.

14. Nicht der Kriegsminister, sondern der Staatssekretär im Reichsmarineamt Alfred von Tirpitz hatte am 6. Februar 1913 in der Budgetkommission des Reichstags ausgeführt, dass er eine Verständigung mit Großbritannien begrüßen würde und dass Verhandlungen möglich seien, sobald Großbritannien damit beginnen wolle und Vorschläge unterbreite.

15. Im Jahre 1900 hatte die deutschen Imperialisten die Ermordung des deutschen Gesandten in Peking während des Aufstandes der Ihotuan zum Anlass genommen, um durch die Entsendung eines Expeditionskorps nach China ihr Vordringen in Ostasien zu sichern. Zusammen mit den Truppen anderer Imperialistischen Mächte schlugen die deutschen Interventionstruppen die chinesische Befreiungsbewegung grausam nieder.

16. Am 14. April 1913 begann in Belgien ein politischer Massenstreik für das allgemeine Wahlrecht, der seit Juni 1912 durch ein spezielles Komitee organisatorisch, finanziell und ideologisch im ganzen Land sorgfältig vorbereitet worden war. Am Streik beteiligten sich etwa 450.000 Arbeiter. Am 24. April 1913 beschloss der Parteitag der belgischen Arbeiterpartei den Abbruch des Streiks, nachdem sich das belgische Parlament dafür ausgesprochen hatte, die Reform des Wahlrechts in einer Kommission erörtern zu lassen.

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30 avril 2020 4 30 /04 /avril /2020 16:06
Photo Uraz Aydın

Photo Uraz Aydın

ACTUALITÉ DU MARXISME - UN SEUL MARXISME – 5 - Contretemps

 

http://www.contretemps.eu/wp-content/uploads/CT-Pages-128-139.pdf CT Pages 128/139 01/01/70 01:58 Page128

 

...

 

Contre le révisionnisme

 

La Pologne lui étant interdite, elle passa de Suisse en France. À en juger par sa correspondance avec Leo Jogiches, elle ne semble pas y avoir eu de contacts très serrés, ni avec Jules Guesde ni avec Paul Lafargue (notant la platitude d’un discours de ce dernier, et reprochant aux deux de ne pas se soucier de modifier le programme du parti français). Le seul dirigeant français avec lequel elle évoque une rencontre – et c’est au congrès de Londres de l’Internationale, en juillet 1896 –, c’est Vaillant, duquel elle obtint seulement que ne soit pas plus adoptée la résolution social-patriote du Parti socialiste polonais que la sienne, celle du SDKP. Son séjour à Paris, dans la fatigue et la souffrance, fut donc consacré et à l’achèvement de sa thèse de doctorat sur Le Développement industriel de la Pologne (qu’elle soutint l’année suivante à l’Université de Zurich), et aux problèmes polonais, dont le plus important fut la rédaction et la publication du journal de son parti, La Cause ouvrière, dont son départ marqua la fin.

 

Après son retour en Suisse, un mariage blanc lui permit, en 1897, d’entrer en Allemagne, alors centre à la fois théorique et pratique de l’Internationale.

 

Ce fut là d’abord la rencontre des grands anciens, les plus radicaux : Bebel, Mehring, cette Clara Zedkin qui avait fondé l’Internationale des femmes prolétariennes, et naturellement Kautsky, alors autorité suprême incontestée en fait de marxisme. C’était se trouver dans le plus grand parti de l'Internationale avec ses nombreux députés, les 300 000 membres de ses syndicats, son prolétariat sans cesse croissant et combatif qui était parvenu à obtenir des augmentations de salaires, combattait pour les huit heures de travail, et en même temps en plein cœur de la crise de cette social-démocratie triomphante.

 

Le réformisme parlementariste de la IIe Internationale, de pratique était en train de devenir théorique avec ce Bernstein qu’Engels avait compté parmi ses disciples les plus sûrs et qui, fort de ce parrainage, travaillait à enterrer le marxisme. Le point de départ de ce révisionnisme tenait à ce que les limites et les défaites des révolutions semblaient en supprimer la perspective, tandis que le développement du capitalisme promettait au contraire de croire à une crise finale qu’il n’y avait qu’à préparer par les coups des réformes et la conquête du pouvoir par l’obtention de majorités parlementaires, grâce au suffrage universel.

 

Cette illusion (dont on connaît la récurrence, et jusqu’à nos jours) et qui s’exprimait par le fameux « Le but final n’est rien, c’est le mouvement qui est tout », trouvait sa force dans l’orthodoxie «marxiste» de Kautsky qui, sans tirer les mêmes conclusions, était lui-même en attente de cette inévitable « crise finale » qui ferait tomber le socialisme comme un fruit mûr de l’arbre foudroyé du Capital. C’était ainsi que ce dernier interprétait le programme d’Erfurt, comme séparation du « programme immédiat » et de la perspective révolutionnaire, soit un double programme, sans comprendre ce qu’Engels n’avait pas cru nécessaire de préciser parce que pour lui cela allait de soi, à savoir que les programmes immédiats, nécessairement modifiables, devaient être, non la réponse à des étapes historiquement séparées, mais des échelons successifs à poursuivre sans répit vers la révolution (ce que Trotsky dut finalement définir comme des « programmes de transition »). Rosa allait le préciser dès 1898 dans son premier ouvrage : « Si notre programme ne pouvait être applicable à toutes les éventualités et à tous les moments de la lutte, il ne serait qu'un vil chiffon de papier. Formulation globale de l'évolution historique du capitalisme, notre programme doit également décrire dans leurs traits fondamentaux toutes les phases transitoires [nous soulignons l’adjectif] de ce développement, et donc orienter à chaque instant l'attitude du prolétariat dans le sens d'une marche vers le socialisme. »

 

La supériorité intellectuelle de Rosa avait fait d’elle immédiatement une rédactrice influente de la revue théorique de Kautsky, la Neue Zeit, et du journal socialiste de Leipzig, la Leipziger Volkszeitung, où elle imposa son marxisme intransigeant, et allait y publier en feuilleton, en septembre 1898, son premier grand texte, Réforme sociale ou révolution ? Cette jeune étrangère allait s'y permettre de crever l'abcès de la crise en donnant une leçon de marxisme à Bernstein, ce dirigeant de premier plan auréolé du parrainage d'Engels, en une riposte à ses articles parus – soulignons-le –, dans la Neue Zeit, et à son livre Les Fondements du socialisme et les Tâches de la social-démocratie.

 

La hardiesse du révisionnisme de Bernstein consistait à dire clairement ce qui n'était que sous-entendu dans la politique social-démocrate, à savoir que les perspectives politiques de Marx ne s'étaient pas réalisées et étaient devenues irréalisables, et qu'il ne s'agissait plus de s'emparer du pouvoir politique pour transformer l'économie, mais de parvenir, de réforme en réforme, obtenues par la voie parlementaire, et par l'extension des coopératives, au contrôle total de cette économie.

 

La critique de Rosa est impitoyable. À partir de la mise à nu des « évidences »sociales et économiques dont Bernstein faisait la base de son révisionnisme, elle va, alternativement, opposer une mise au point des derniers travaux de Marx et une démonstration de l'inanité des solutions bernsteiniennes. Que les prétendus constats des « erreurs » de Marx relevaient de la myopie, elle le démontre point par point.

 

Pour Bernstein, il n'y avait pas de signes d'effondrement du système capitaliste, mais résolution des contradictions par expansion du petit capital, par la constitution de cartels, du crédit et de la communication, toutes adaptations qui abolissaient l'antagonisme entre production et échange, et ainsi accentuaient le caractère social de la production. À cela Rosa oppose longuement l'analyse de ces adaptations du capitalisme en face de ses contradictions fondamentales, à partir de la dialectique de la théorie et de la pratique, en un véritable travail de complément des travaux de Marx à partir du point où il les avait laissés, et distinguant ce qui chez lui est fondamental, structurel, et ce qui est susceptible de développements dont le rythme et la durée sont aléatoires, telle la périodicité des crises. Non fondamental aussi, mais appartenant à ce que nous connaissons maintenant comme « histoire événementielle », le fait nouveau de ces organisations patronales et de ces systèmes de communications, par lesquels les capitalistes s'efforçaient alors de penser globalement le fonctionnement du Capital. Quant au crédit qui fluidifie la production, aux cartels qui sont bien une des formes de concentration du capital, et enfin à l'extension des marchés qui se poursuit ainsi que la colonisation, ce n'en est pas moins dans une violente concurrence, laquelle, à l'époque, était encore largement nationale et armée de droits de douanes. Dans toutes les mesures, aussi astucieuses soient-elles, prises par le capitalisme pour poursuivre son développement dans une course contre son issue fatale, Rosa voit bien que les nouvelles contradictions s'ajoutent aux anciennes à un niveau plus élevé.

 

Il en est une cependant dont elle n'a pas vu le péril. Bernstein s'émerveillait de voir la multiplication des actionnaires comme une dispersion sociale prometteuse. Rosa dénie à ceux-ci le caractère de capitalistes (contre la définition des classes de Marx), mais comme des éléments d'un capital unique, ce qui valait pour la capitalisation des entreprises du temps. Mais elle ignorait, n'ayant sans doute pas encore lu les manuscrits du Livre 3 du Capital, que Marx avait prévu la dynamique qui amènerait ces actionnaires à devenir un immense capital financier (dont nous connaissons maintenant l'hydre infernale).

 

Ce qu'elle avait sous les yeux lui suffisait cependant à voir à terme l'inévitabilité de l'effondrement, seulement éloigné par ces pseudo-solutions. Ce n'était donc pas une raison pour l'attendre, comme le faisaient Kautsky et les « orthodoxes », et encore moins pour considérer le programme réformiste, syndicaliste et parlementaire de Bernstein comme sans conséquences pour la cause prolétarienne. Là, ce fut en les ridiculisant qu'elle traita l'objectif de conquête d'augmentations de salaires qui réduiraient le profit à un juste partage des richesses, les coopératives comme capables de concurrencer le Capital, et la conquête du pouvoir grâce au suffrage universel. Elle montra qu'on arrivait là, non à la réalisation de l'ordre socialiste, mais à la réforme de l'ordre capitaliste, non à abolir le système du salariat, mais à doser ou atténuer l'exploitation, donc à « supprimer les abus de capitalisme et non le capitalisme moi-même ».

 

Quant à la saisie graduelle de l'État par la voie parlementaire, après avoir rappelé l'analyse marxiste de l'État, elle démontre comment toutes ses transformations sont dictées par les seuls intérêts de la classe dominante et, par l'étude de l'évolution du militarisme, en rappelant qu'une des fonctions des armées, autonomes par rapport au développement économique, est d'assurer la domination de la classe capitaliste sur le peuple travailleur. « Les rapports de production de la société capitaliste se rapprochent de plus en plus des rapports de production de la société socialiste. En revanche, ses rapports politiques et juridiques élèvent entre la société capitaliste et la société socialiste un mur de plus en plus haut. Ce mur, non seulement ni les réformes sociales ni la démocratie ne le battront en brèche, mais au contraire l'affermissent et le consolident. Ce qui pourra l'abattre, c'est uniquement le coup de marteau de la révolution, c'est-à-dire la conquête du pouvoir par le prolétariat. » Cette prise du pouvoir, elle précise – contre les accusations de blanquisme dont on ne va pas cesser de l'accuser – qu'à l'exception de situations, telle celle de la Commune de Paris, où il est tombé dans les mains du prolétariat, elle « implique une situation politique et économique parvenue à un certain degré de maturité. [...] Une telle conquête ne peut être que le produit de la décomposition de la société bourgeoise ; elle porte donc en elle-même la justification économique et politique de son opportunité.»

 

Autre argument de Bernstein, et en général de tous les révisionnistes : maintenir dans un programme l'actualité de la conquête révolutionnaire du pouvoir, n'est-ce pas tendre à provoquer une révolution prématurée ? Rosa répond en réaliste : « Tout d'abord un bouleversement aussi formidable que le passage de la société capitaliste à la société socialiste ne peut se produire d'un bond, par un coup de main heureux du prolétariat. [...] La révolution socialiste implique une lutte longue et opiniâtre au cours de laquelle, selon toute probabilité, le prolétariat aura le dessous plus d'une fois ; si l'on regarde le résultat final de la lutte globale, sa première attaque aura donc été prématurée :il sera parvenu trop tôt au pouvoir. Or – et c'est le deuxième point – cette conquête "prématurée" du pouvoir politique est inévitable, parce que ces attaques prématurées du prolétariat constituent un facteur, et même un facteur très important, créant les conditions de la victoire définitive. »

 

Mais Bernstein, entraîné par la logique de son révisionnisme, en arrivait à nier la perspective d'un effondrement final du capitalisme, abandonnant toute l'analyse du Capital, puis de la lutte de classes, et l'existence même de la classe prolétarienne, donc. Il était aisé à Rosa de montrer qu'on avait là l'arsenal théorique complet des « courants opportunistes de la social-démocratie », base de leur « socialisme d'État », justifiant leur alignement politique sur les libéraux, et ainsi désarmant le prolétariat et sapant sa conscience de classe. La conséquence en était la nécessité de rejeter du parti, lors du prochain congrès, Bernstein et son courant « progressiste démocrate petit-bourgeois ». Si cette œuvre allait être reconnue avec enthousiasme par le vieux Bebel comme d'une force comparable aux écrits des deux maîtres, et fut, semble-t-il, bien accueillie par les prolétaires, il n'en alla pas de même pour la bureaucratie du parti et sa base petite-bourgeoise. Lors du congrès de Stuttgart, les « orthodoxes » feignirent de ne pas voir l'ampleur de la divergence avec Bernstein et, affirmant leur accord avec la liaison réformes/but final, attaquèrent Rosa à la fois comme novice (elle n'avait qu'un an de parti) prétendant donner des leçons aux vétérans, et comme « blanquiste », partisan de la violence. Elle y répondit en se rangeant (sous les protestations) dans une aile gauche, pas encore formalisée, celle « où l'on veut lutter contre l'ennemi », et contre l'aile droite « où l'on veut conclure des compromis avec lui », et en affirmant « que la seule violence qui nous mènera à la victoire est l'éducation socialiste de la classe ouvrière dans la lutte quotidienne. » Sa belle conclusion fut : « Le mouvement, en tant que tel, sans rapport avec le but final, n'est rien ; le mouvement comme fin en soi, n'est rien, c'est le but final qui est tout. »

 

Ses adversaires, non seulement ne désarmèrent pas mais crurent pouvoir démontrer la validité de leurs conceptions dans l'exemple du trade-unionisme anglais. Dans un article titré « Les lunettes anglaises », qui parut le 9 mai1899 dans la Leipziger Volkszeitung, Rosa les ridiculisa par une admirable histoire du syndicalisme anglais, conduite selon la méthode du matérialisme historique, montrant comment c'étaient les conditions de domination mondiale du capitalisme britannique qui lui avaient permis les concessions d'embourgeoisement d'un sommet de son prolétariat, et comment la régression de ce capitalisme dans la concurrence mondiale en cours ramenait invinciblement son prolétariat dans une situation semblable à celui du Continent. C'était en même temps montrer que ce que les « lunettes anglaises » de Bernstein lui montraient comme l'avenir du prolétariat allemand n'était que le passé anglais.

 

Contre l'appel sans ambages à l’exclusion de ces ennemis du prolétariat, que Bebel soutint de toute son autorité, disant : « Une telle tactique signifierait pour notre parti exactement la même chose que si l'on brisait l'épine dorsale à un organisme vivant tout en lui demandant d'accomplir le même effort qu'auparavant. Je ne tolérerais pas qu'on brise la colonne vertébrale de la social-démocratie, qu'on remplace son principe : la lutte de classe contre les classes possédantes, et contre le pouvoir d'État, par une tactique boiteuse et par la poursuite exclusive de buts soi-disant pratiques », les révisionnistes invoquèrent l'indépendance de la pensée et la « liberté de critique et de la science ».

 

C'est de celle-ci que Rosa fit le titre de sa réponse, toujours dans la Leipziger Volkszeitung où elle s'était imposée. Cette exigence était particulièrement perfide, puisqu'elle la mettait en situation de censure du droit de critique et de recherche de « gens qui peuvent se tromper, mais qui n'ont en vue que le salut de notre Parti. [Et que] c'est avec joie qu'on devrait accueillir des idées nouvelles puisqu'elles rafraîchissent un peu le répertoire suranné, routinier de notre propagande. » Ces derniers mots révélaient bien, sous le droit à la pensée vivante, le droit au révisionnisme. Derrière la «propagande » n'étaient-ce pas le patrimoine théorique, les principes fondamentaux « peu nombreux et très généraux, justement parce qu'ils sont la condition préalable de toute activité dans le Parti » qui étaient en question ? Quant au droit à la critique et à l'autocritique, Rosa le défendait comme une condition même d'existence du Parti. Mais elle distinguait les types de critiques : « Toute critique contribuant à rendre plus vigoureuse et consciente notre lutte de classe pour la réalisation de notre but final mérite notre gratitude. Mais une critique tendant à faire rétrograder notre mouvement, à lui faire abandonner la lutte de classe et le but final, une telle critique, loin d'être un facteur de progrès, ne serait qu'un ferment de décomposition. »À de telles critiques, il n'y avait qu'une liberté à accorder: « celle d'appartenir ou de ne pas appartenir à notre Parti. »Une autre ruse de l'argumentation révisionniste était que les problèmes soumis à la discussion du congrès touchaient à des questions scientifiques, compliquées et difficiles, qui échappaient nécessairement à la masse militante. Déjà Bernstein avait remis en cause la théorie de la valeur, des crises, et la conception matérialiste de l'histoire. Rosa montra que l'argument aristocratique et méprisant consistait à cacher, sous les problèmes théoriques ou scientifiques qui, de toute façon n'étaient pas à l'ordre du jour du congrès, des questions très pratiques, telle celle du militarisme (qui allait recevoir l'appui de révisionnistes) opposé à la revendication ancienne, et restée sur le programme, d'armée de milice sous le contrôle du peuple, enfin de la politique coloniale. De même, l'un de ces révisionnistes, Stegmuller, avait voté des fonds pour la construction d'une église. Pour Rosa, toutes ces questions appartenaient de droit et de devoir à la décision du Parti. « Celui qui lui contesterait ce droit prétendrait par là-même lui assigner le rôle humiliant d'un troupeau inconscient.» Comparant la manière dont des militants de base avaient été exclus «pour des manquements dont ils ne se sont rendus coupables qu'en raison de leur éducation insuffisante », avec le laxisme dont Bernstein et les siens étaient l'objet, elle renouvelait son affirmation : « L'heure a sonné pour le Parti, en tant que corps politique, de prendre position devant les résultats de cette critique et de déclarer : cette critique est une théorie d'enlisement, pour laquelle il n'y a pas de place dans nos rangs.»

 

Elle ne fut pas plus entendue en cette fin de 1899 que l'année précédente, et le parti allemand continua son cheminement de dégénérescence. Sans les théorisations de Bernstein, la pratique réformiste était déjà celle de la majorité « orthodoxe » du Parti, et sa bureaucratisation était parallèle à celle de ssyndicats, dont Rosa décrira le mouvement propre d'autonomisation, en 1906, dans le dernier chapitre de son Grève de masses, partis et syndicats, avec l'écart pris avec la social-démocratie par la bureaucratie syndicale, bloquant les masses prolétariennes au niveau des objectifs quotidiens et proclamant grandes victoires les petites augmentations de salaires vite dépassées par les augmentations des prix. Nous voyons dans les positions et les pratiques révisionnistes combattues par elle, celles qui expliqueront la faillite honteuse de1914.

 

En 1900, enfin, éclata la grande crise cyclique, dont le retard avait été pour Bernstein une preuve centrale des « erreurs » de Marx dans sa critique de l'économie capitaliste. Mais au point où en étaient les révisionnistes, une telle preuve de leurs réelles erreurs n'avait plus guère d'importance.

 

En effet, le bernsteinisme s'étendait sur toute l'Internationale. En France, pays de peu de pensée théorique, il s'installait pratiquement en parlementarisme réformiste sans que cela trouble les radicaux du type Guesde.

 

Et à l'autre bout de l'Europe, en Russie, un « marxisme légal » s'était d'abord installé sans inquiéter le tsarisme qui avait vu ces sages intellectuels combattre théoriquement le terrorisme, puis s'installer dans leur enseignement académique. Les démocrates bourgeois se faisaient «marxistes» sans danger. De là, il n'y avait qu'un pas jusqu'à l'engagement sous le drapeau de Bernstein dont l'ouvrage connut trois éditions avant la fin du siècle. Le « marxisme » commençait en Russie sous sa forme révisée parla « liberté de critique » où il en était arrivé en Europe occidentale à son point dernier de dégénérescence. C'est ce qu'allait remarquer, pour le combattre, un jeune marxiste révolutionnaire (l'adjectif pléonastique étant dès ce temps devenu nécessaire pour en marquer l'authenticité), qui surgit de l'obscurité de la lutte illégale de l'empire tsariste : Vladimir Oulianov. Il était le cadet d'à peine plus d'un mois de Rosa et était entré dans la lutte révolutionnaire en même temps qu'elle, et bien que dans des conditions toutes différentes, leur jeunesse militante avait été étrangement parallèle, et jusqu'àce voyage rapide que Vladimir Illich fit en 1895 à Berlin puis en Suisse, où il rencontra lui aussi Plekhanov, Axelrod et Vera Zassoulitch, avec lesquels il allait avoir d’abord le même type de rapport que Rosa.

 

La double nationalité de celle-ci lui avait permis de participer, sans y appartenir formellement. à l'activité de la SDKPiL (Social-Démocratie du Royaume de Pologne et de Lituanie), dont Leo Jogiches était un des dirigeants et sera, en 1902, le rédacteur en chef de l'organe théorique, Przeglad Socjademokratyczny. La partie la plus importante de la Pologne ainsi que la Lituanie étant intégrées à l'Empire russe, le problème de la liaison avec le POSDR qui venait de se constituer se posait : totale autonomie ou fusion avec autonomie limitée ? L'année même où Rosa était entrée en Allemagne, Vladimir Oulianov arrivait à Zurich. Si elle n'allait le rencontrer que des années plus tard, dès la fin de 1898 elle put connaître le nom de Lénine dans le premier numéro de l'Iskra.

 

Dès 1902, ces deux géants de la pensée marxiste authentique vont se trouver liés dans des polémiques de mises au point théoriques, de tactiques et de stratégie révolutionnaires, ainsi que de problèmes d’organisation.

Rosa Luxemburg continuatrice de Marx et Engels, Michel Lequenne. Son combat contre le réformisme ...

Début de l'article :

Née juive, libérée de la religion, elle ne s’en trouve pas moins en situation de double oppression : nationale et ethnico-religieuse.

 

L’enfant prodige qu’elle est (elle sait lire et écrire à cinq ans et ne cessera de devancer ses contemporains), est frappée de cette double injustice. Mais c’est une double base solide pour devenir révolutionnaire. Que la situation bourgeoise de sa famille lui permette de tourner l’interdit d’accès aux études supérieures fait aux Juifs, mais probablement non sans qu’elle ressente les effets psychiques de cette quasi exception dans un tel milieu, lui donne à la fois le premier armement et le coup d’envoi vers l’action. Car elle a tout de même un terrain d’entente avec ses condisciples: la haine de l’oppression russe, qui commence avec l’obligation de la langue de l’oppresseur et l’interdiction du polonais. Elle sera donc de l’opposition universitaire.

 

À sa sortie du lycée, à dix-sept ans, c’est immédiatement le saut d’entrée dans le Parti socialiste révolutionnaire, alors, en Pologne comme en Russie, le plus important parti révolutionnaire. À Varsovie, il est dirigé par un ouvrier, Martin Kasprzak (qui sera pendu en 1905). Il lui suffit de deux ans d’activité pour être repérée par la police et menacée d’arrestation. Deux ans suffisants aussi pour avoir été jugée par ses camarades une intelligence telle qu’elle devait être protégée du trou noir de la déportation afin de continuer les études nécessaires à l’action.

 

Ce fut sans doute aussi parce qu’en 1888 ce parti avait rompu avec son organisation-mère russe, Narodnaja Volja, ses pratiques d’action terroriste et sa confusion programmatique, que ses camarades mirent en elle leur espoir d’armement théorique. Ils organisèrent son passage clandestin de la frontière allemande, et ainsi, à 19 ans, en 1889, elle arriva à Zurich, le foyer brûlant de formation politique et théorique des exilés de l’intelligentsia révolutionnaire de l’empire russe. C’était un chaos intellectuel, mais fructueux, sur lequel Rosa surfa avec une maîtrise intellectuelle étonnante, et y manifestant ses qualités féminines de réalisme sensible, de sens du concret et du pratique dans un milieu où abondaient rêveurs et bohèmes, phraseurs et exaltés. Elle, alla droit à l’essentiel.

 

Étudiante sérieuse, à l’université elle absorba l’histoire naturelle qui allait nourrir son profond amour de la vie à tous ses niveaux – sans lequel il n’y a sans doute pas de véritable humanisme matérialiste –, et plus tard l’aiderait à supporter la prison. En même temps, sous un professeur éclectique, elle absorbe l’enseignement de l’économie politique de Smith et Ricardo à Marx. Pour sa part, elle s’arrêtera à ce dernier.

 

À l’extérieur, elle distinguera vite les esprits qui dominaient par la culture politique et l’intelligence : Plekhanov, son disciple Paul Axelrod, et la grande Vera Zassoulitch. Plekhanov la fascina tout d’abord. N’était-il pas le « père du marxisme russe », auteur d’une œuvre déjà importante, un égal de Kautsky ? Pourtant, là encore, son instinct la conduisit à s’éloigner de lui : trop savant, ayant réponse à tout, ne laissant pas de place à une pensée libre et vivante.

 

Beaucoup plus importante pour elle fut, en 1890, l’arrivée à Zurich de son compatriote Leo Jogiches, son aîné de trois ans, et comme elle un révolutionnaire intransigeant. De l’amitié à l’amour qui les unit seize ans, il va y avoir passage d’un échange entre l'expérience de l’organisation et de la lutte de son compagnon et sa propre supériorité culturelle et intellectuelle, qui finalement déséquilibrera le couple, d’autant plus facilement qu’ils seront souvent éloignés physiquement l’un de l’autre dans une vie d'exilés aux illégalités périodiques. Leur unité fondamentale d’esprit et de combat les réunira finalement dans la mort. Leur rencontre entérina sa rupture avec Plekhanov qui avait rejeté avec mépris la proposition de Jogiches de la co-direction d’une revue socialiste que ce dernier voulait créer, et l’avait traité, dans une lettre à Engels du 16 mai 1894, de « petit Netchaïev ». Le nom du terroriste marquait bien la distance que le grand homme mettait entre théorie et action révolutionnaire d'un militant gagné au marxisme, et qui n’avait rien d’un terroriste.

 

En 1893 avait eu lieu le congrès de Zurich de l’Internationale. Engels n’y était passé que pour un discours de clôture. Pour lui, il ne s’agissait pas d’une Internationale « marxiste », mais d'un grand corps hétérogène où le marxisme avait à s’imposer. Ne parlait-il pas à Sorge, le 13 février 1894, de « notre étrange fraction socialiste à la Chambre française » ? Il y avait compté seulement, au moment du Congrès, 12 marxistes et blanquistes sur 19 socialistes, et quelques indépendants. Rosa y représenta la DSKP (Social-démocratie du Royaume de Pologne) qui venait d’être créée, avec un mandat qui ne sera pas validé, l’Internationale ne reconnaissant que l’à peine plus ancien Parti socialiste polonais, auquel Rosa s’opposa comme à une formation réformiste social-patriote.

 

Ainsi, d’emblée, elle entrait dans la lutte qui allait être centrale au sein de la IIe Internationale jusqu’à son effondrement de 1914. Sa position était claire. Dans son rapport, elle disait : « Un parti socialiste qui s’appuie sur les masses doit défendre, certes, leurs conditions d’existence, mais il ne doit pas perdre de vue dans la lutte quotidienne le but révolutionnaire à atteindre. Les réformes ne sont que des étapes et des points d’appui dans la voie qui conduit à la révolution sociale, c’est-à-dire d’abord, à la conquête politique de l’État. »

 

Avant même la mort d’Engels, et sans qu’il l’ait su, Marx et lui avaient trouvé une continuatrice aussi inflexible qu’eux en cette jeune femme surgie hors du mouvement ouvrier le plus avancé. Mais c’est précisément parce qu’elle venait du dehors de la zone du plus grand développement du capitalisme, lequel était alors capable d’accorder au prolétariat des réformes qui le chloroformaient et corrompaient ses dirigeants par le parlementarisme, qu’elle est cette première à échapper à la dérive pratico-théorique et à y voir le plus grand péril pour la cause prolétarienne, là où Engels n’avait vu qu’un accident de parcours qui allait être dépassé par le développement même du prolétariat, tandis que Labriola n’y voyait qu’un trouble que résoudrait le débat théorique, et tournant sa lutte contre l’adversaire extérieur qui y intervenait en se réjouissant de la « crise du parti ».

 

C’est pour fonder théoriquement la perspective révolutionnaire qu’elle devra reprendre le travail de Marx sur l’accumulation du capital pour résoudre les apparentes contradictions laissées dans la grande œuvre inachevée.

 

Dans le même temps, et du fait qu’elle sortait de cette Pologne, nation divisée, et la partie dont elle venait dominée par l’Empire de Russie, elle allait devoir affronter le problème de la « question nationale » des peuples opprimés. L’ensemble de ces problèmes théorico-politiques abordés dans la perspective de la révolution prolétarienne posait la difficile question de la dialectique de l’action spontanée de masse et de l’organisation révolutionnaire. Toute la vie politique de Rosa allait se passer à reprendre, préciser et corriger ces questions aussi délicates que décisives, dont elle ne sortirait qu’en trouvant la mort au combat.

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1 août 2014 5 01 /08 /août /2014 19:52

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A lire et à discuter

1914, le naufrage de l’internationalisme

paru dans CQFD n°124 (juillet-aout-septembre 2014), rubrique , par Mathieu Léonard. mis en ligne le 31/07/2014 

 

On commémore le centenaire de la mort de Jaurès. Une occasion pour les politiciens de tout bord de cannibaliser la mémoire du tribun du Tarn. Comparés à cet « athlète de l’idée », on se dit alors que Valls – qui s’inspire plus volontiers du briseur de grève Clemenceau –, ou Sarkozy qui se sentait l’« héritier de Jaurès » en 2007, ou encore Marine Le Pen, qui ose affirmer que « Jaurès aurait voté Front national », font figures de cloportes de la gamelle. Pourtant, la récupération de Jaurès n’est pas chose nouvelle : dès le 1er août 1914, au lendemain de son assassinat par un puceau nationaliste dénommé Villain, Jaurès faisait l’unanimité autour de son cadavre. Tandis que L’Humanité célébrait le « martyr sublime de la paix », Le Temps ne faisait aucun doute sur le fait que « son éloquence allait devenir instrument de défense nationale » et qu’il allait incarner « le clairon de la patrie ». Le communiqué de la présidence du conseil saluait même « celui qui a soutenu de son autorité l’action patriotique du gouvernement ».


Jaurès a eu le mérite et l’ultime avantage de mourir pacifiste, à la veille de la mobilisation générale et cinq jours avant le vote par les députés socialistes des crédits de guerre.


Qu’aurait fait Jaurès lui-même ? Sans se livrer à un exercice périlleux d’histoire fiction, rappelons que les dix jours d’escalade vers la guerre – du 26 juillet, date de l’ultimatum autrichien, à ce fameux 4 août 1914 –, ont été ceux de tous les revirements.

Plusieurs livres nous éclairent sur ce moment qui solde l’échec du refus de la guerre et le naufrage de l’internationalisme. Jean-Claude Lamoureux nous livre une chronique de ces 10 derniers jours avec un livre au titre éponyme, sous-titré Du refus de la guerre à l’exaltation patriotique [1],où l’on suit de manière très vivante le girouettisme des meneurs syndicaux et socialistes à Paris comme à Berlin. On peut aussi se reporter au classique sur le sujet de l’internationaliste Alfred Rosmer, Le Mouvement ouvrier pendant la guerre, dont le premier tome, De l’Union sacrée à Zimmerwald [2], paraissait en 1936. Acteur, témoin et historien de la période, Rosmer détaillait de l’intérieur les résistances au raz-de-marée guerrier. Enfin dans un ouvrage à paraître en novembre, coédité par nos amis de Libertalia et de l’Insomniaque, intitulé Trop jeunes pour mourir – Ouvriers et révolutionnaires face à la guerre (1909-1914) [3], Guillaume Davranche revient sur cette période où l’opposition ouvrière à la guerre est rognée par des renoncements successifs et la montée en puissance du nationalisme.


L’exemple de La Guerre sociale est à ce titre édifiant. Partisan tapageur de l’insurrection et du « drapeau dans le fumier » jusqu’en 1912, Gustave Hervé, le rédacteur du journal, change son fusil d’épaule et devient le « réformiste des réformistes » (Rosmer) puis un ultra-patriote. Son lieutenant, Miguel Almereyda, et père du cinéaste Jean Vigo, jouera un rôle assez trouble à la veille du conflit en négociant avec le président du Conseil, René Viviani, la non-application du carnet B [4] « en échange » du calme des anarchistes individualistes.


Chez les vieux internationalistes, la rancune est tenace. James Guillaume, le vétéran de la Première Internationale, exclu avec Bakounine au congrès de La Haye en 1872, trouve dans la course à la guerre une occasion de vilipender le « socialisme allemand », en rappelant que durant la guerre de 1870, Marx avait soutenu l’Allemagne – en réalité et pour faire court, seulement jusqu’à la chute de Napoléon III – et Bakounine la France, « patrie de la liberté universelle ». Mais la lame de fond cocardière n’épargne pas non plus les vieux socialistes de parti, tel l’ancien blanquiste Édouard Vaillant ou le marxiste Jules Guesde.

 

Chez les syndicalistes révolutionnaires français, les appels à la grève générale révolutionnaire et à la désertion laissent place à l’attentisme puis au renoncement, non sans conflit avec la base. Dans le même temps, leurs homologues allemands du journal Der Pioner, plus conséquents, s’opposent encore à la guerre et dénoncent la trahison de la social-démocratie, ce qui leur vaut d’être pourchassés et interdits.


Pour revenir au cas de l’irréprochable Jaurès, ce dernier annonce la catastrophe le 26 juillet, dans L’Humanité, Jaurès annonce qui verra le continent jeté dans « le plus terrible conflit qu’aient jamais vu les hommes ». Le jeudi 30 juillet, sortant d’une entrevue avec Viviani, il se laisse convaincre que la crise européenne finirait dans les dix jours et persuade à son tour les cégétistes de reporter leur grande mobilisation populaire… On a aussi beaucoup fait de suppositions sur l’article décisif, dénonçant le bellicisme des dirigeants européens, que comptait écrire Jaurès au soir de sa mort… Là encore, les socialistes vraiment exemplaires, comme Rosa Luxemburg ou Karl Liebknecht en Allemagne, furent l’exception. Sans doute, personne ne pouvait prévoir ni la durée ni l’effroyable coût humain de ce conflit entre cousins des grands empires et classes dominantes démocratiques, sauf peut-être à anticiper l’entrée en scène des industriels de la mort dont parlait Anatole France [5]. 1914 restera toutefois un moment emblématique dans la longue tradition de la social-trahison.

ERRATUM

Dans la version papier du CQFD n° 124, j’avais écrit que Jaurès « s’était d’abord opposé au principe de grève générale contre la guerre au sein de l’Internationale ouvrière ». Grossière erreur et impardonnable confusion due à une écriture trop pressée et à la forme trop concise du Vieux dossier. C’est bien Jules Guesde qui s’oppose à la grève générale lors du congrès du Parti socialiste unifié du 14-16 juillet à destination du prochain congrès international (qui n’aura pas le temps de se tenir), tandis que Jaurès, au contraire, pousse à la grève générale contre la guerre et à l’agitation populaire.


Pour autant, il n’est pas faux que les socialistes de parti ont toujours eu les plus grandes réserves vis-à-vis de la grève générale. D’ailleurs, Jaurès lui-même, en 1901, mettait en garde la classe ouvrière contre cette « illusion funeste » et cette « obsession maladive » qui lui ferait prendre « ce qui ne peut être qu’une tactique de désespoir pour une méthode de révolution »(cf. Miguel Chueca, « Introduction à la "Réponse à Jaurès" », revue Agone, 33, 2005). Mais, dès 1907, il est déjà convaincu que les ouvriers seront amenés à « retenir le fusil dont les gouvernements d’aventure auront armé le peuple et de s’en servir, non pas pour aller fusiller de l’autre côté de la frontière des ouvriers, mais pour abattre révolutionnairement le gouvernement de crime ».

Notes

[1Jean-Claude Lamoureux, Les 10 derniers jours, Les nuits rouges, 2013, 152 pages.

[2Alfred Rosmer, Le Mouvement ouvrier pendant la guerre, De l’Union sacré à Zimmerwald, Librairie du travail,1936.

[3Livre en souscription.

[4Créé par le général Boulanger en 1886, il s’agissait d’un outil de fichage et de surveillance des « suspects au point de vue national » (anarchistes, antimilitaristes, espions étrangers), qui prévoyait leur arrestation immédiate en cas de conflit.

[5« On croit mourir pour la patrie, on meurt pour les industriels ! »

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28 avril 2012 6 28 /04 /avril /2012 10:26

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W moim odczuciu, Komuna Paryska była wydarzeniem pozytywnym:

http://www.historycy.org/index.php?showtopic=25288&st=15


1. Komuna Paryska miała charakter patriotyczny - sprzeciwiała się okupacji prusko-niemieckiej, zwalczała kapitulanctwo stronnictw monarchistycznych i umiarkowanych republikanów. Patriotyczny charakter Komuny po latach podkreślali nawet francuscy faszyści (vide Robert Brasillach).


2. Komuna Paryska miała charakter demokratyczny - odbyły się wybory powszechne, ludzie wybrali członków Komuny, cenzura istniała w nieznacznym stopniu (blokowano przede wszystkim propagandę wersalczyków).


3. Komuna Paryska była robotnicza. Engels w przedmowie do Marksowskiej "Wojny domowej we Francji" określił jej ustrój jako dyktaturę proletariatu. Wiele przedsiębiorstw znacjonalizowano, wprowadzono prorobotnicze zarządzenia, natomiast zawalono sprawę Banku Francuskiego i nie zajęto kolei w ręce Komuny. Wadą Komuny był też brak silnej władzy centralnej i partii rewolucyjnej, która by tym wszystkim kierowała. Zamiast tego panowała walka stronnictw: marksistów, blankistów, proudhonistów, anarchistów, itp.



4. Wielkim błędem Komuny było nieprzebicie się na prowincję (bo utworzenie komun w Lyonie czy Saint Etienne, czy Narbonne trudno uznać za przebicie się).



5. Co do książek na rzeczony temat, to z autopsji polecam:

Irena Grajewska, "Komuna Paryska 1871 r.";

Irena Koberdowa, "Komuna Paryska i Polacy";

Lissagaray, "Historia Komuny";

Eligiusz Kozłowski, „Na barykadach Paryża 1871”;


"Pamiętniki o Komunie Paryskiej" (książka ta przedstawia racje przeciwników i zwolenników Komuny);


Stanisław Strumph Wojtkiewicz, „Generał Jarosław Dąbrowski 1836-1871”;
Wiesław Solecki, „Generał Walery Wróblewski 1836-1908”;
Karol Marks, „Wojna domowa we Francji” [w:] Karol Marks, Fryderyk Engels, „Dzieła wybrane”, t. 1, Warszawa 1949, str. 444-513.


Z artykułów i dokumentów:



Bakunin Michał, „Komuna paryska i idea państwa”:
http://ibw.rdl.pl/?q=node/9


Chih-Szu Cheng, „The great lessons of the Paris Commune – in commemoration of its 95th anniversary”:


http://www.wengewang.org/read.php?tid=15910


„Documents of the Paris Commune”:

http://www.marxists.org/history/france/par...ments/index.htm

Dorn Paul, „Two Months of Red Splendor. The Paris Commune and Marx’ Theory of Revolution”:
http://www.runmuki.com/paul/writing/marx.html


Dubacki Leonard, „Walery Wróblewski”:
http://lewicowo.pl/walery-wroblewski/


James C.L.R., „Karl Marx and the Paris Commune”:
http://libcom.org/library/marx-paris-commune-james-clr


Luxemburg Rosa, „La Commune de Paris. Extrait d’une lettre de 1894:
http://comprendre-avec-rosa-luxemburg.over...4-78863638.html


„The Paris Commune Archive”:

http://dwardmac.pitzer.edu/ANARCHIST_ARCHI...unearchive.html

„The Paris Commune, Marxism and Anarchism”:

http://anarchism.pageabode.com/anarcho/the...m-and-anarchism

Trznadel Jacek, „Wielka i straszna (o Wielkiej Rewolucji Francuskiej)”:

http://www.jacektrznadel.pl/index.php?option=c

Warski Adolf, „Komuna Paryska, dyktatura proletariatu i jej „uczeni” pogromcy w Polsce”:
http://skfm.dyktatura.info/download/warski03.pdf
 

om_content&task=view&id=60&Itemid=31

 

 

post20/03/2012, 20:11 - Samuel Łaszcz

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8 août 2011 1 08 /08 /août /2011 10:34

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A lire sur matière et révolution. Les sous-ttires sont de c.a.r.l. ainsi que la plupart des retours à la ligne pour en faciliter la lecture. On trouve dans ce texte deux analyses très enrichissantes: de "Réforme sociale ou Révolution?" et du texte "Grève de masse, Parti et syndicat.

 


 Qui était Rosa Luxemburg et quels sont ses textes?

lundi 3 novembre 2008, par Robert Paris

 

Hommage à Rosa Luxemburg et Karl Liebnecht - Irène Petit.

 

Eléments biographique

 

Rosa Luxemburg est née le 5 mars 1871 dans une petite ville de Pologne russe, à Zamosc. Après des études au lycée de Varsovie, elle entra dans la lutte politique avec le “Parti Révolutionnaire Socialiste Prolétariat”, qui devint ensuite le “Prolétariat”.

En 1889 craignant des poursuites policières elle s’enfuit de Varsovie pour Zurich où elle fit des études d’économie politique. Elle y contracta un mariage blanc avec Gustav Lübeck, afin d’obtenir un passeport.

Après la fin de ses études, docteur en économie politique, elle alla s’installer en Allemagne où elle occupa très vite une place importante dans la social-démocratie. Elle collabora à la presse socialiste, dirigeant quelque temps la Sächsische Arbeiterzeitung, puis écrivant régulièrement à la Leipziger Volkszeitung et à la revue théorique dirigée par Kautsky, Die Neue Zeit. Elle s’engagea à fond dans la lutte contre le révisionnisme.

Quelques mois après qu’eut éclaté la première révolution russe, en décembre 1905, elle partit illégalement pour la Pologne où elle se livra à un intense travail de propagande et d’explication politique. Elle fut arrêtée en même temps que son compagnon Leo Jogiches. Libérée sous caution, elle revint en Allemagne après un court séjour en Finlande.

Après 1906 et l’échec de la révolution, elle fut surtout absorbée par son activité de professeur à l’école du Parti nouvellement créée. Ses cours d’économie politique lui inspirèrent son ouvrage théorique le plus important : l’Accumulation du capital, paru en 1913.

Le jour même où le groupe parlementaire socialiste votait, à la stupéfaction générale, les crédits de guerre, le 4 août 1914, un groupe de militants se réunissait chez Rosa Luxemburg : le noyau qui deviendrait en 1916 la Ligue Spartakus était constitué. Dès le mois d’août 1915 paraissaient les Lettres politiques (ou Lettres de Spartakus) rédigées surtout par Rosa Luxemburg, Liebknecht et Mehring. La lutte clandestine contre le militarisme et la guerre devait se poursuivre jusqu’en 1918. Mais dès le 18 février 1915, Rosa Luxemburg était incarcérée. Libérée en février 1916, elle retournait en prison en juillet de la même année et ne devait en sortir que le 9 novembre 1918, au moment où éclatait la révolution.

C’est en prison qu’elle écrivit la brochure Junius et les Lettres de Spartakus, qu’elle travaillait à son Introduction à l’économie politique. Dès sa sortie de prison Rosa Luxemburg se jeta dans l’action révolutionnaire. Avec Liebknecht elle créa le journal Die rote Fahne. De toutes ses forces elle s’opposait à la ligne suivie par les majoritaires (Ebert-Scheidemann). Elle contribua à la fondation du Parti Communiste Allemand (Ligue Spartakus) en décembre 1918. La contre-révolution battait son plein. La première semaine de janvier, les spartakistes lançaient une insurrection armée à Berlin : bien qu’elle fût opposée à cette offensive, une fois la décision prise, Rosa Luxemburg se lança dans la bataille. Ce fut la fameuse semaine sanglante de Berlin ; le soulèvement spartakiste fut sauvagement écrasé.  

Rosa Luxemburg et Liebknecht furent arrêtés le 15 janvier par les troupes gouvernementales et assassinés (“abattus au cours d’une tentative de fuite”). Le corps de Rosa Luxemburg fut retrouvé plusieurs mois après dans le Landwehrkanal. Ses assassins furent acquittés.

 

Réforme ou révolution ?


Le premier texte politique de Rosa Luxemburg publié dans ce volume, Réforme ou révolution ? est une réponse à une série d’écrits de Bernstein : aux articles publiés par Bernstein dans la Neue Zeit en 1897-1898 sous le titre Probleme des Sozialismus, Rosa Luxemburg réplique par des articles parus dans la Leipziger Volkszeitung du 21 au 28 septembre 1898 : ce sont des articles qu’elle réunit dans la première partie de la brochure Réforme ou révolution ? La deuxième partie est une critique du livre de Bernstein : Die Voraussetzungen des Sozialismus und die Aufgabe der Sozialdemokratie (Les fondements du socialisme et les tâches de la social-démocratie) paru en 1899.

En 1890, après l’abolition de la loi d’exception contre les socialistes le Parti connut un essor foudroyant : ses succès électoraux étaient éclatants, à tel point que les socialistes se demandaient après chaque élection si l’on n’allait pas abolir ou restreindre le suffrage universel pour les élections au Reichstag. Le nombre de ses adhérents croissait également de manière vertigineuse, et encore plus celui des adhérents aux syndicats (qui étaient passés de 300 000 en 1890 à 2 500 000 en 1914). Cette croissance du Parti coïncidait avec une période d’essor économique. Après le krach de 1873 le développement industriel de l’Allemagne fit un nouveau bond ; il fut accéléré par la poussée colonialiste et impérialiste qui débuta en Allemagne dans les années 80. La concentration du capital prit des dimensions jusqu’alors inconnues en Europe. Le niveau de vie des ouvriers allemands s’éleva parallèlement. Pendant la période même de la loi d’exception Bismarck avait pour faire échec à la propagande socialiste, fondé le premier système européen d’assurances sociales. Quand le Parti ne fut plus persécuté naquirent des sortes d’”îlots” socialistes : les coopératives. Le mouvement ouvrier conscient de sa force et de son organisation visait non seulement dans sa pratique quotidienne à la poursuite des conquêtes sociales, telles que la journée de huit heures, mais surtout à l’instauration d’une démocratie politique de type libéral : l’échec de la révolution de 1848 avait restauré un ordre où les anciennes puissances féodales détenaient une bonne partie du pouvoir : les hobereaux prussiens, les grands propriétaires terriens, les militaires. Les plus fortes attaques des social-démocrates étaient dirigées contre ces puissances. En revanche ils appuyaient et parfois surestimaient tout ce qui pouvait préfigurer un ordre démocratique bourgeois. C’est ainsi que dans le Sud de l’Allemagne où contrairement à la Prusse les élections au Parlement local (ou Landtag) se faisaient au suffrage universel, la participation socialiste à la politique de gestion du Land était beaucoup plus “positive” que dans le Nord ; on allait même jusqu’à voter régulièrement le budget, ce qui était contraire à la tradition socialiste et suscita de vives critiques.

Cette pratique opportuniste dans le Parti et les syndicats n’avait pas, avant Bernstein, trouvé d’expression théorique. Au contraire, on voyait coexister dans le Parti une politique réformiste - à propos de laquelle on ne se posait pas de questions - et une théorie marxiste “orthodoxe” dont le gardien le plus jaloux était Kautsky et qui s’exprimait par une opposition absolue de principes contre la politique gouvernementale et le système capitaliste, ainsi qu’une croyance en la révolution socialiste, dont la date et les circonstances restaient très vagues dans les esprits. Ainsi le mouvement ouvrier allemand vivait à l’écart du reste de la nation dans une sorte de ghetto idéologique, tandis que la pratique quotidienne du Parti et des syndicats se préoccupait surtout de la conquête progressive d’avantages matériels.

Bernstein, par les thèses contenues dans ses articles et dans son livre, fit éclater la contradiction. Sa théorie était la suivante : Marx avait prédit l’effondrement inévitable du capitalisme et la révolution socialiste dans un avenir proche. Or sa prédiction semblait infirmée par les faits. Non seulement le cycle décennal des crises était rompu, mais la prospérité économique s’affirmait. Après la grande crise de 1873 le capitalisme avait manifesté une vigueur et une élasticité étonnantes. Marx avait analysé une tendance à la concentration croissante du capital. Bernstein affirme au contraire que les petites entreprises non seulement survivent mais encore s’accroissent en nombre. Comme facteur d’adaptation du capitalisme, Bernstein souligne le rôle du crédit. Puisque, selon lui, on ne peut s’attendre à une crise catastrophique du capitalisme, le parti socialiste doit se donner pour tâche le passage insensible et pacifique au socialisme (das Hineinwachsen in den Sozialismus). L’essentiel à ses yeux n’est plus le but du socialisme : la prise du pouvoir politique par le prolétariat, mais le mouvement par lequel le Parti avance pas à pas dans la voie des conquêtes sociales. Comme exemple de ces conquêtes pacifiques et progressives du socialisme, Bernstein cite les coopératives ouvrières. Comparant l’action concrète réformiste du Parti avec ses principes révolutionnaires, Bernstein estime que le Parti doit mettre en accord la théorie et la praxis, et procéder à une révision des thèses marxistes : le Parti doit avoir “le courage de paraître ce qu’il est aujourd’hui en réalité : un parti réformiste, démocrate socialiste” (Voraussetzungen, p. 162).

Le livre de Bernstein eut un grand retentissement et souleva de vives protestations. On cite souvent le passage d’une lettre d’Ignace Auer à Bernstein : “Ede, tu es un âne, on n’écrit pas ces choses, on les pratique.” Le premier, Belford Bax vit le danger, suivi par Kautsky et Parvus. Ce dernier attaqua Bernstein dans la Sächsische Arbeiter-Zeitung.

Mais c’est Rosa Luxemburg qui alla le plus loin dans l’analyse et la critique des thèses bernsteiniennes. Elle ne se contenta pas d’en appeler aux sacro-saints principes du marxisme orthodoxe contre l’hérésie bernsteinienne : elle montra le lien vivant et dialectique qui unit la théorie et la pratique. Dans la première partie de l’ouvrage, elle analyse, pour la réfuter, toute l’argumentation de Bernstein concernant la souplesse d’adaptation du capitalisme. En particulier elle montre très bien que le crédit, loin d’être un facteur d’adaptation en temps de crise, ne fait que rendre celle-ci plus aiguë et précipite la chute du capitalisme. Elle se moque de l’importance attribuée par Bernstein aux coopératives : il n’est pas vrai que le système coopératif, s’étende peu à peu pour envahir toute l’économie capitaliste ; au contraire il se réduit aux modestes coopératives de consommation.

Mais c’est dans la seconde partie de sa brochure que Rosa Luxemburg va le plus loin dans son analyse. Elle établit le lien entre la pratique opportuniste - qui a toujours existé de manière empirique dans le Parti - et la théorie bernsteinienne ; elle montre que l’opportunisme se caractérise par une méfiance générale à l’égard de la théorie et par la volonté de séparer nettement la pratique quotidienne d’une théorie dont on sait - ou veut - qu’elle reste sans conséquence sur le plan de la lutte. Pour elle, le marxisme n’est pas un assemblage de dogmes sans vie, mais une doctrine vivante ayant des applications pratiques dans tous les domaines. Ici sans doute sa critique est plus pénétrante que celle de Kautsky qui foudroie l’hérétique au nom des grands principes intangibles du marxisme.

Pour Rosa Luxemburg les principes du marxisme ne sont pas figés ; elle y discerne surtout une méthode et une doctrine inspirées de l’histoire, elle en use comme d’une arme toujours actuelle. Même si Marx a pu se tromper quant à l’estimation de la date et des circonstances de l’effondrement du capitalisme, quant à la périodicité et à la fréquence des crises, cela n’implique pas que cet effondrement ne se produira pas. Abandonner le but du socialisme, c’est, en bonne dialectique, abandonner aussi les moyens de lutte, car détournés de leur fin ceux-ci perdent tout caractère révolutionnaire. Enfin, pour elle, Bernstein abandonne complètement le terrain de la lutte des classes, sous-estimant ou niant la résistance de la bourgeoisie aux conquêtes pratiques du mouvement ouvrier. Certes Rosa Luxemburg ne veut pas renoncer à la lutte pour les réformes sociales ; mais cette lutte ne vise pas seulement à conquérir des avantages pratiques ; si elle n’est pas orientée vers la prise du pouvoir politique par le prolétariat, elle perd tout caractère révolutionnaire. De cette querelle qui passionna le socialisme européen au tournant du siècle, le marxisme “orthodoxe” sortit vainqueur. Mais Rosa Luxemburg avait espéré que la condamnation officielle de Bernstein et de ses amis aboutirait à leur exclusion du Parti. La première édition de sa brochure contenait un certain nombre d’allusions à cet espoir qui ne fut jamais exaucé. Malgré la condamnation des thèses révisionnistes, la pratique opportuniste ne cessa de se développer dans le Parti et surtout dans les syndicats, dont le rôle allait être de plus en plus considérable. Il y aura un glissement inavoué du Parti vers la droite qui ira en s’accentuant jusqu’en 1914.

 

Grève de masse, Parti et Syndicat


Cependant en 1905 un sursaut secouait toute l’Europe : la Révolution russe, remplissant d’espoir les masses prolétariennes de tous les pays. Elle débuta, on le sait, le 22 janvier 1905, le dimanche rouge. Rosa Luxemburg décrit assez les événements et le climat politique de la Russie pour qu’il soit inutile d’y revenir ici.

Elle-même, après quelques mois où, malade, elle dut se contenter d’un travail de propagande et d’explication en Allemagne même, partit en 1905 sous un faux nom pour Varsovie ; elle jugeait que sa place était là où l’on se battait. En Pologne, son activité illégale de propagande fut bientôt stoppée ; elle fut arrêtée le 4 mars 1906 et incarcérée à Varsovie. Mais sa mauvaise santé lui permit d’être libérée sous caution et, citoyenne allemande, elle put quitter la Pologne le 31 juillet suivant.

Elle se rendit en Finlande à Knokkala : c’est là qu’en quelques semaines elle écrivit Grève de masse, Parti et Syndicat. La brochure était écrite à l’intention du parti allemand et devait paraître avant le congrès de Mannheim en septembre 1906. Rosa Luxemburg tirait les leçons des événements russes pour la classe ouvrière allemande. Elle entendait se démarquer des analyses très superficielles faites dans la presse socialiste allemande (en particulier dans le Vorwärts) où l’enthousiasme soulevé par la Révolution russe s’accompagnait de considérations sur le caractère spécifiquement russe des événements : le S. P. D. avait conscience, étant par le nombre, la force et l’organisation le premier parti socialiste européen, de n’avoir à recevoir de leçons de personne. Or, pour Rosa Luxemburg, les leçons à tirer de la Révolution sont nombreuses. Et d’abord les masses ont expérimenté une arme nouvelle qui a démontré son efficacité : la grève de masse.

Certes, les discussions sur la grève de masse politique n’étaient nouvelles ni en Allemagne ni dans l’Internationale. Tout d’abord, il faut remarquer que l’on a employé ce terme pour prendre des distances à l’égard du concept anarchiste de la grève générale. Rosa Luxemburg s’en explique au début de sa brochure à propos des attaques d’Engels contre le bakounisme. Les idées anarchistes, moins répandues dans le parti allemand que dans les partis des pays latins, avaient été défendues par le groupe des “jeunes” (devenus plus tard les “indépendants”). Sous l’influence d’Engels et de Wilhelm Liebknecht ils avaient été rapidement réduits au silence. La lutte contre le révisionnisme avait pris la relève de la lutte contre l’anarchisme.

Dès 1893, au Congrès international de Zurich, Kautsky avait proposé que l’on fît une distinction entre la grève générale anarchiste et la grève de masse à caractère politique, recommandant sinon l’emploi, du moins la discussion de cette tactique éventuelle du mouvement ouvrier. Cette idée lui était inspirée par les récents événements de Belgique où le parti socialiste avait obtenu des concessions importantes dans le domaine du suffrage universel, grâce à un mouvement massif de grèves.

Dans les pays d’Europe occidentale, ce fut précisément, jusqu’en 1905, à propos du suffrage universel que furent déclenchées les grèves de masse de caractère politique : en Belgique encore, en 1902 - cette fois le mouvement se solda par un échec - en France à Carmaux, pour des élections municipales, en Italie et en Autriche enfin, pour le suffrage universel égalitaire. Si bien que dans les différents partis socialistes l’idée de la grève de masse était liée à l’idée de la conquête ou de la défense du suffrage universel. Le parti allemand était resté extrêmement réservé dans la discussion, craignant une résurgence des idées anarchistes. L’un des premiers, Parvus avait défendu l’idée de la grève de masse politique comme arme possible du prolétariat.

En 1902 Rosa Luxemburg avait fait paraître dans la Neue Zeit une série d’articles intitulés Das belgische Experiment (L’expérience belge) où seule dans le parti allemand elle donnait pour cause principale de la défaite belge l’alliance avec les libéraux. En 1904, au Congrès d’Amsterdam, fut adoptée une résolution admettant la grève de masse comme le dernier recours du prolétariat pour la défense des droits électoraux, comme une arme purement défensive. C’est cette doctrine qui prévalut à l’intérieur du Parti allemand. Personne n’imaginait une grève de masse offensive et révolutionnaire jusqu’au moment où les événements russes vinrent renverser toutes les conceptions reçues.

Ce sont ces conceptions reçues que Rosa Luxemburg veut ébranler par son analyse de la Révolution russe. Son livre, s’adressant au parti allemand, ne tire des événements que les leçons qui peuvent s’appliquer directement au mouvement ouvrier allemand : c’est ainsi qu’elle laisse de côté tout ce qui touche à l’insurrection armée (problème qu’elle avait traité dans ses écrits polonais). Elle propose non pas un modèle de révolution mais l’emploi tactique d’une arme révolutionnaire qui a fait ses preuves. Ce qui a frappé non seulement ses contemporains, mais la postérité, c’est un certain nombre d’idées nouvelles contenues dans son livre.

Soulignons d’abord l’importance accordée au fait que des masses jusqu’alors inorganisées se joignent à un mouvement révolutionnaire et en assurent le succès. Contrairement à l’idée adoptée en Allemagne où l’on accordait une importance de plus en plus considérable à l’organisation et à la discipline du Parti, Rosa Luxemburg montre qu’en Russie ce n’est pas l’organisation qui a créé la Révolution, mais la Révolution qui a produit l’organisation en de nombreux endroits : en pleine bataille de rues se créaient des syndicats et tout un réseau d’organisations ouvrières. Loin de penser avec les syndicalistes allemands que pour entreprendre une action révolutionnaire de masse il fallait attendre que la classe ouvrière fût, sinon entièrement, du moins assez puissamment organisée, elle estime au contraire que c’est d’une action spontanée de la masse que naît l’organisation. Il a été beaucoup écrit à propos de l’idée luxemburgienne de la spontanéité et il a surgi un certain nombre de malentendus. Rosa Luxemburg part il est vrai du postulat implicite que les masses prolétariennes sont spontanément révolutionnaires et qu’il suffit d’un incident mineur pour déclencher une action révolutionnaire d’envergure. Cette thèse sous-tend tout son livre.

Mais son optimisme ne s’accompagne pas a priori d’une méfiance quant au rôle du Parti dans la Révolution ; du moins dans cet écrit et à cette date Rosa Luxemburg n’oppose pas la masse révolutionnaire au Parti ; ses attaques sont dirigées non contre le Parti allemand mais contre les syndicats, dont elle juge l’influence néfaste et le rôle le plus souvent démobilisateur. Quant au Parti, sa fonction doit consister non pas à déclencher l’action révolutionnaire : ceci est une thèse commune, écrit-elle, à Bernstein et aux anarchistes - qu’ils se fassent les champions ou les détracteurs de la grève de masse. On ne décide pas par une résolution de Congrès la grève de masse à tel jour, à telle heure. De même on ne décrète pas artificiellement que la grève sera limitée à tel objectif, par exemple la défense des droits parlementaires : cette conception est dérisoire et sans cesse démentie par les faits. Le Parti doit - si l’on ose employer ce terme - coller au mouvement de masse ; une fois la grève spontanément déclenchée il a pour tâche de lui donner un contenu politique et des mots d’ordre justes. S’il n’en a pas l’initiative, il en a la direction et l’orientation politique. C’est seulement ainsi qu’il empêchera l’action de se perdre ou de refluer dans le chaos.

2° Une autre idée originale qui parcourt l’ouvrage, c’est celle d’un lien vivant et dialectique entre la grève économique et la grève politique. Dans une période révolutionnaire, il est impossible de tracer une frontière rigide entre les grèves revendicatives et les grèves purement politiques : tantôt les grèves économiques prennent un certain moment une dimension politique, tantôt c’est une grève politique puissante qui se disperse en une infinité de mouvements revendicatifs partiels. Elle va plus loin : la révolution, c’est précisément la synthèse vivante des luttes politiques et des luttes revendicatives. Loin d’imaginer la révolution sous la forme d’un acte unique et bref, d’une sorte de putsch de caractère blanquiste, Rosa Luxemburg pense que le processus révolutionnaire est un mouvement continu caractérisé précisément par une série d’actions à la fois politiques et économiques. C’est pourquoi elle pose en termes absolument nouveaux la question du succès ou de l’échec de la révolution : si la révolution n’est pas un acte unique, mais une série d’actions s’étendant sur une période plus ou moins longue, un échec momentané ne met pas tout le mouvement en cause. Bien plus, de son point de vue, la révolution ne se produit jamais prématurément : ce n’est qu’après un certain nombre de victoires et de reculs que le prolétariat s’emparera du pouvoir politique et le conservera.

Certes l’on peut objecter que Rosa Luxemburg écrivit son livre à l’apogée du mouvement révolutionnaire russe et que son optimisme a été démenti par les faits ultérieurs. Cependant il reste l’idée importante que c’est l’action révolutionnaire elle-même qui est la meilleure école du prolétariat. Ce n’est pas la théorie ni l’organisation classique qui forment et éduquent le milieu et la classe ouvrière, c’est la lutte. Dans la lutte seule le prolétariat prendra conscience de ses problèmes et de sa force. Rosa Luxemburg conclut par ce qui peut sembler un paradoxe : ce n’est pas la révolution qui crée la grève de masse, mais la grève de masse qui produit la révolution. Mieux : révolution et grève de masse sont identiques. Quelques mots sur l’édition de ces textes : nous avons traduit d’après la deuxième édition des deux écrits, éditions revues par Rosa Luxemburg elle-même. Elle avait jugé anachroniques certains points de vue exprimés dans l’une et l’autre brochure. Nous n’avons donné en note qu’un seul passage de la première édition qui nous paraissait particulièrement significatif.

 

Irène PETIT.

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3 juillet 2011 7 03 /07 /juillet /2011 17:49

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A lire, à discuter


(Pour citer ce texte  : M. Rampazzo Bazzan et A. Cavazzini, « Les enjeux de la conjoncture 1917-1921 en Allemagne : Plaidoyer pour le dépoussiérage de nos bibliothèques », Cahiers du GRM, n° 1 : Penser (dans) la conjoncture, hiver 2010-2011, Toulouse, EuroPhilosophie Editions).

 

A lire en entier sur  http://www.europhilosophie-editions.eu/fr/spip.php?article56

 

 

La conjoncture allemande révèle l’impensé et l’impasse de la suture à l’Etat qui a dominé la politique du mouvement ouvrier après 1871. Les options connaissent une bifurcation décisive lors des affrontements théoriques et pratiques entre les sociaux-démocrates Majoritaires, Kautsky, R. Luxemburg et Lénine. L’enjeu est la détermination de la forme politique de la dictature du prolétariat, mais aussi le statut de la théorie marxiste.

Les enjeux de la conjoncture 1917-1921 en Allemagne.
Plaidoyer pour le dépoussiérage de nos bibliothèques

Le communisme et l’État


Le premier point que nous indiquent les discours théoriques qui seront analysés ici est le contenu essentiel de la conjoncture 1917-1921 en tant qu’elle marque un tournant décisif dans l’histoire du mouvement communiste et socialiste (MCS) – en entendant par là le mouvement né de la fusion entre la théorie de Marx et les organisations du mouvement ouvrier [1]. La conjoncture dont nous parlons scelle la conclusion (catastrophique) de la première phase de l’époque post-Commune du MCS, une phase qui a été marquée de façon décisive par la fonction de guide et de modèle à la fois sur le plan théorique et pratique exercée par la Social-démocratie allemande. D’où la portée extraordinaire des événements qui se déclenchent en Allemagne suite à l’éclatement de la guerre mondiale : la guerre jette une lumière on ne peut plus crue et impitoyable, non seulement ni principalement sur la « trahison » des sociaux-démocrates convertis au nationalisme, mais surtout sur la faillite de la forme d’existence que le MCS dans ses tendances majoritaires s’était donné après l’échec de 1871 – la forme du Parti politique moderne en tant qu’organe de la machine parlementaire et éventuellement gouvernementale, et par conséquent en tant qu’appareil d’État.La question de l’État est évidemment décisive dans toute la séquence qui nous occupera ici. La Commune avait été déclarée par Marx « la forme politique » de la dictature du prolétariat elle-même. En élevant au statut de paradigme la Commune, Marx critiquait par-là même l’État bourgeois en tant qu’appareil séparé, et l’idée de la politique comme fonction spécialisée d’une strate sociale de professionnels de l’agir politique, voire « politicien ». De ce point de vue, la « généralisabilité » de la Commune était affirmée sans équivoque. À ceci près que la Commune avait été écrasée par l’appareil étatique bourgeois : la Commune est donc un paradigme, mais un paradigme dont la valeur reste problématique. À vouloir généraliser la Commune telle quelle, on risque de généraliser les conditions d’un échec permanent. D’où l’exigence que le paradigme incorpore des réquisits supplémentaires par rapport à la simple exemplarité vis-à-vis de l’hypothèse communiste. Autrement dit, le destin de la Commune montre qu’il faut que l’axiomatique régissant les pratiques politiques du MCS incorpore la question du pouvoir, mieux : la question des conditions auxquelles il devient possible de faire face victorieusement au pouvoir d’État. Dès lors, le pouvoir étatique, et par conséquent l’État en tant que forme politique, devient après la Commune une sorte de référentiel extérieur, mais obligé et incontournable, de toute détermination des pratiques politiques du MCS. Que faire avec l’État ? Comment s’y rapporter ?On connaît la réponse de Lénine, qui va devenir celle du Mouvement communiste proprement dit : il faut briser la machine de l’État bourgeois, et lui substituer un non-État, l’État de dictature du prolétariat, dont il faudra par la suite veiller à ce qu’il dépérisse. Tout le problème étant le suivant : comment faire dépérir un pouvoir étatique qui, du fait de s’être mis en place par une prise de pouvoir, a dû développer un appareil au moins comparable à celui qui a été brisé ? Que faire alors si cet État post-révolutionnaire n’arrive pas à dépérir ? Le problème est justement que l’État post-révolutionnaire persiste à exister tout en incorporant comme la trace de l’échec que cette persistance implique, la trace d’une tendance inconsciente à vouloir dépérir. Car il faut bien que la dictature du prolétariat s’instaure et qu’elle résiste aux ennemis ; mais à quoi bon l’instaurer si ce n’est pas pour déclencher la dynamique du dépérissement ? Comme cette contradiction est intrinsèque à la détermination léninienne de la forme d’existence de l’hypothèse communiste – en tant que référée à la confrontation au pouvoir étatique – personne n’a jamais réussi à la maîtriser : y compris les groupes sociaux qui en ont profité. Elle est inscrite dans les dispositifs organisationnels que le MCS s’est donné, dans les concepts et les discours par lesquels il a cherché à (se) rendre intelligibles ses propres pratiques, et finalement dans les formes de subjectivation correspondant à ces dispositifs, concepts et discours : le MCS sous condition de la détermination léninienne interpelle les individus en sujets clivés par la contradiction entre la persistance et le dépérissement du pouvoir d’État [2].Mais avant la solution léninienne au dilemme légué par la Commune – solution qui, théorisée en 1902, ne deviendra opérante qu’en 1917 – la Social-démocratie en avait fourni une autre. Il s’agissait, dans ce cas-là, de renoncer à la confrontation avec l’État bourgeois pour devenir un de ses appareils, en l’acceptant comme terrain exclusif de l’action politique du MCS. L’émancipation des travailleurs et de toute l’humanité passerait alors par l’élargissement de l’influence de cet appareil au sein de l’État, mais toujours dans le cadre établi par celui-ci. Cette stratégie présuppose évidemment l’existence de l’État, qui devient littéralement la raison d’être des organisations du MCS qui sont devenues ses appareils. Là aussi, le dépérissement devient impossible : la nécessité de sauvegarder l’existence de l’État en tant que cadre obligé de toute politique du MCS entraîne une identification croissante des organisations à l’État, dans la mesure où celles-là voient en celui-ci la seule condition de leur existence comme organisations.L’identification à l’État implique logiquement l’incapacité de s’en démarquer lors de l’éclatement de la guerre mondiale. Mais c’est justement cette guerre qui va mettre en crise la solution sociale-démocratique au problème de l’État : non seulement parce qu’elle va devenir l’appareil d’un État impérialiste et agressif, et non plus celui d’un État intégrant progressivement les classes laborieuses dans son système de droits politiques ; mais surtout parce que la militarisation de l’État (qui, en Allemagne, va devenir une véritable dictature militaire au cours de la guerre), le dévoilement de sa nature impérialiste, l’essor du discours nationaliste, et finalement les craquements de la machine étatique à cause de l’effort militaire, vont jeter une lumière beaucoup plus crue qu’auparavant sur le système étatique du Reich, en (re)mettant par là à l’ordre du jour l’option de « briser » cette même machine étatique – mise à l’ordre du jour à laquelle contribue bien entendu une autre composante de cette conjoncture : la Révolution d’Octobre.La Social-démocratie allemande sera le paradigme de cette solution, s’opposant à l’option léniniste, face au problème de l’État. Dès la fondation de la Seconde Internationale jusqu’au vote des crédits de guerre, la Social-démocratie allemande verra son pouvoir au sein du Reich croître de plus en plus, justement en tant qu’appareil de l’État, progressivement intégré au système parlementaire, aux gouvernements locaux, et finalement, lors de la conjoncture de la guerre mondiale et de la défaite allemande, aux responsabilités gouvernementales. Lorsque les Junkers et les chefs de l’Armée permettent enfin à Friedrich Ebert et à Philipp Scheidemann d’accéder aux fonctions gouvernementales – essentiellement pour décharger sur la social-démocratie la responsabilité de l’armistice – le Parti Social-démocrate « majoritaire » est déjà un appareil politique très puissant, contrôlant des nombreux moyens de communication, des entreprises coopératives, et dirigé par une classe politique professionnelle habile et sans scrupules. Son identification à l’État sera alors complète.

L’actualité du socialisme et la marche de l’histoire

Pour mieux comprendre le clivage qui va se produire au sein du MCS, et le devenir de l’option sociale-démocrate, il faut partir d’un constat qui domine les discours de tous les acteurs théoriques de la séquence : entre la Grande Guerre et la Révolution d’octobre, la conjoncture fixe au prolétariat international, à ses dirigeants et aux théoriciens marxistes, la tâche de la réalisation du socialisme. Comme le remarque Karl Kautsky en 1918, « Der Sozialismus ist als praktische Frage auf die Tagesordnung der Gegenwart gesetzt », à savoir : « le socialisme est posé à lʼordre du jour du présent comme un problème pratique » [3]. Cela tient essentiellement à deux raisons. La première est celle apportée par Kautsky lui-même, le constat que « la guerre a conduit le monde entier sur la voie du socialisme », à savoir : la guerre a obligé les nations qui sont à la tête du développement du capitalisme à soumettre au contrôle public (voire à nationaliser) les plus importants secteurs économiques. Dit autrement : sous la forme du socialisme de guerre, le socialisme comme forme d’organisation sociale de la production s’est imposé comme tendance. La seconde est la prise du pouvoir par les Bolcheviks en Russie, qui fonctionne dans cette conjoncture comme événement dans la mesure où elle fixe aux responsables socialistes allemands la tâche d’affronter la question de la révolution sociale, donne un nouvel horizon de lutte aux masses, les excite, les pousse à l’agitation spontanée, provoque des questions à propos de « Que faire ? ». On pourrait dire à propos des textes qu’on va analyser qu’il s’agit d’établir au sein de cette tendance une stratégie pour conduire le prolétariat au pouvoir, ce qui implique en même temps de poser au sein du parti le problème de constituer le prolétariat comme sujet révolutionnaire et de maîtriser ou d’organiser cette spontanéité. La question devient ainsi : comment doit-on penser, organiser, lutter pour bâtir une société socialiste en Allemagne et en Europe ? Question, de toute évidence, qui est décisive pour le destin politique de tout le Continent. Sur le plan pratique, il s’agit de saisir les éléments de la conjoncture, de penser les modalités adéquates pour donner une forme à une République qui comblerait le vide laissé par un Reich soudainement dissout, malgré l’annonce – et cela encore pendant les derniers mois de guerre – d’une victoire proche, vis-à-vis d’une bourgeoisie terrorisée par la Révolution d’Octobre, des Junkers qui guident l’État-major d’une armée bâtissant, déjà avant la fin de la guerre, le mythe de n’avoir jamais perdu sur le champ de bataille, des corps francs à la solde des forces de l’Entente, des masses prolétariennes mobilisées dans les grandes villes et des conseils d’ouvriers et de soldats constitués suivant l’exemple des Soviets. Dans la théorie marxiste, la tâche qui s’impose consiste à répondre à la question qui porte sur la forme politique la plus apte à constituer la transition révolutionnaire pour la construction de la société communiste, ce qui remet en cause directement le rapport entre le MCS et l’État. En citant le titre de l’opuscule de Kautsky d’où l’on tirait la citation de tout à l’heure à propos de la tendance socialiste de la conjoncture, on pourrait dire que dans la lutte des classes – à la fois théorique et pratique puisque ces deux aspects coïncident dans toute conjoncture insurrectionnelle – la question qui se pose en 1918 est l’alternative suivante : « Démocratie ou Dictature ? ». On sait bien que, selon Althusser, la fonction maîtresse de la pratique philosophique, donc théorique, dans la lutte des classes est de tracer une ligne de démarcation entre les idées vraies et les idées fausses, c’est-à-dire entre l’idéologique et le scientifique. L’analyse du corpus des textes de cette conjoncture nous permet de repérer certains aspects qui éclaircissent la généalogie de cette position. Plus précisément, elle nous permet de saisir le geste théorique léniniste à partir duquel Althusser forge sa théorie de l’intervention théorique dans la pratique politique. Au sein du cadre problématique qu’on vient d’indiquer, la confrontation entre les dirigeants et théoriciens marxistes se produit dans l’élaboration de la stratégie qui doit conduire au socialisme en prenant en compte les éléments de la conjoncture nationale et internationale. Une révolution socialiste en Allemagne peut déclencher une révolution sociale au niveau européen. De cet enjeu sont conscients à la fois les socialistes et le bloc conservateur, tout comme la jeune république soviétique et la puissance qui aspire à devenir « empereur » du monde par le biais de la Société des nations. La conjoncture se présente comme l’ouverture d’un espace constituant qui implique une décision sur la forme politique de la lutte, sur la forme constitutionnelle du pays, ce qui renvoie au problème de la constitution du prolétariat comme sujet révolutionnaire, et au problème de l’expression de la volonté du peuple.Pour les socialistes, cela implique plus précisément une interprétation du corpus marxien, de l’évolution de la pensée des pères du socialisme scientifique à l’égard des conjonctures révolutionnaires dont ils furent les témoins et en partie les acteurs (notamment en 1848) et de leur mémoire, car la question de l’État investit tout d’un coup, dans le vide dʼune décision à prendre, le patrimoine des luttes réalisées, le parcours du mouvement socialiste dans son procès d’émancipation au cours des décennies précédentes. La décision à propos dudit enjeu est destinée à prouver dans les faits leur fidélité ou leur trahison à l’égard de ce mouvement, et doit tenir compte du fait que toute intervention théorique ou pratique (comme également toute non-intervention) implique et produit surtout une conscience révolutionnaire ou contre-révolutionnaire, et quʼune politique conséquente est l’indice le plus fiable de l’union de la théorie et de la pratique. Dit autrement : le problème qui se pose ici est la question de la fidélité au marxisme et au communisme dans le contexte constituant, et imprévisible, de l’après-guerre.En articulant les deux enjeux que la conjoncture met à l’ordre du jour – le rapport à l’État du MCS et le lien au corpus théorique marxien –, il faut essayer de repérer ce qui, dans le discours théorique de Marx (et en général des « classiques »), a pu légitimer et soutenir ces effets d’étatisation qui feront en sorte que la Social-démocratie se décide pour l’État et contre la Révolution (ou, selon ses propres termes : pour la Démocratie et contre la Dictature). Dans le cas de la Social-démocratie allemande, c’est bien le présupposé d’un certain discours « progressiste », présent dans les textes de Marx, qui permet la construction évolutionniste que l’on retrouvera dans les discours « démocratiques » de Kautsky et des Ebert-Scheidemann. Le mythe du Progrès, donc, et l’idée que la politique du MCS puisse et doive s’orienter sur la base des « lois » de l’histoire, du sens de sa marche. D’où une difficulté à penser le MCS (à se penser) comme pris dans un conflit dont il est une partie non-totale : le MCS se pense volontiers comme pars totalis, comme ce en quoi la marche de l’histoire s’exprime en totalité. Les actes et les décisions politiques perdent leur nature essentiellement conjoncturelle, parfois hasardeuse, souvent expérimentale, toujours non-garantie : ils prétendraient plutôt s’autoriser d’un Savoir qui serait au-delà des divisions en quoi l’histoire consiste. D’où l’ambiguïté de la thèse du Manifeste selon laquelle les communistes ne seraient pas un parti parmi d’autres, mais la couche la plus avancée des mouvements qui luttent pour l’émancipation. Si, d’un côté, cette thèse indique l’universalité de la politique communiste, sa différence par rapport à toute revendication au nom d’intérêts particuliers, de l’autre elle suggère que les communistes ne sont pas partie prenante des conflits historiques, mais tout simplement les titulaires d’un savoir qui leur garantirait un regard en surplomb vis-à-vis de ces conflits.L’universalité est rabattue sur le fait de savoir se placer « du bon côté », c’est-à-dire là où il n’y a plus de division ni de partialité. Le MCS serait alors à l’abri des contradictions, et toute tentative d’y porter l’esprit de scission se ramènerait à l’aveuglement coupable des gens restés « du mauvais côté » – discours de la Social-démocratie, avant d’être celui du stalinisme ; mais aussi discours qui peut se construire sur la base de ce qui reste chez Marx de la dialectique hégélienne de l’Histoire. Chez Hegel, en effet, la marche de l’Histoire aboutit à l’universalité de l’État, qui délégitime en tant que particularité inessentielle toute position – fût-elle uniquement une position dans la pensée – anti- ou extra-étatique. Or, l’universalité du MCS – qui n’est pas « un parti », mais uniquement la prise d’acte de la marche de l’histoire – semble être une caricature de l’universalité étatique, elle aussi prétendant être littéralement im-partiale et im-partielle, et à ce titre critiquée par le jeune Marx (mais justement afin d’établir la vraie universalité, promise pour l’étape suivante du processus dialectique). Bref, si le MCS est le résultat de la rencontre entre la théorie marxienne et le mouvement ouvrier, il faut conclure que l’étatisation de la Social-démocratie relève d’une articulation (rendue possible par la période de l’après-1871) entre des effets d’appareils spécifiques et des effets discursifs internes à l’efficacité de la philosophie hégélienne de l’histoire au sein de la pensée marxienne (ou marx-engelsienne) [4].

Le progrès, l’État et l’appareil

Il importe au plus haut degré de lire dans les textes le discours que l’appareil d’État, qu’est devenue la Social-démocratie, tient sur ses propres pratiques – un discours qui n’est plus, bien entendu, marxiste, mais qui représente sans doute un destin parmi d’autres tant du mouvement socialiste que de la formation théorique d’origine marxiste dont il s’autorise ; et ce discours n’a jamais été plus limpide que dans les semaines précédant la révolution de novembre 1918, lors de l’entrée de Fr. Ebert et Ph. Scheidemann dans le gouvernement : « En peu de jours la situation politique intérieure du Reich a subi un bouleversement profond, dont de larges couches du peuple ne mesurent pas encore pleinement toute l’importance. L’Allemagne s’est engagée sur la voie qui mène de l’État autocratique (Obrigkeitstaat) à l’État populaire (Volksstaat). En Prusse, le suffrage égal est assuré et ceci représente le premier pas, un pas décisif vers l’abolition de la domination des Junkers. Dans les autres États du Reich aussi, les masses populaires bougent ; elles veulent éliminer les obstacles qui entravent la libre et authentique manifestation de la volonté populaire. La loi suprême, c’est la volonté du peuple, tel est le mot d’ordre qui doit très vite devenir et demeurer le leitmotiv de l’action gouvernementale ». [5] Le langage tenu est d’une très grande clarté : le principe fondamental de l’orientation politique sociale-démocrate est la « volonté libre du peuple » ; cette volonté s’exprime par le suffrage égal ; l’avènement du suffrage égal est (ou sera) l’aboutissement de la marche de l’histoire, voire il existe une tendance qui pousse en direction de l’épanouissement de la libre volonté du peuple ; la domination politique des Junkers, qui justement entrave l’établissement du suffrage égal, n’est qu’un obstacle à la tendance essentielle du processus historique, voire une déplorable survivance d’institutions anachroniques et arriérées. D’où un refus d’autant plus radical et net de toute tentative de « briser l’appareil d’État » : « La rénovation intérieure de l’Allemagne ne saurait être le résultat (…) de la guerre civile : celle-ci ne ferait qu’ajouter aux flots de sang qui coulent sur le front, au malheur qui s’est abattu sur l’Allemagne, de nouveaux flots de sang et un malheur nouveau. Elle ne ferait qu’accroître la misère et la faim et exciter la rapacité conquérante de nos ennemis. Non ! Comme l’ont toujours déclaré les représentants autorisés du parti social-démocrate, c’est par le canal d’une transformation pacifique que nous voulons conduire progressivement notre système étatique à la démocratie et notre économie au socialisme. Nous sommes engagés sur la voie de la paix et de la démocratie. Toutes les manœuvres tendant à fomenter des putsches contrecarrent cette évolution et servent la contre-révolution. Au moment où l’on voit poindre l’aube de la paix et de la liberté, la classe ouvrière consciente, au front et à l’arrière, ne se laissera pas aller à des actes irréfléchis qui ne profitent, en dernière analyse, qu’aux ennemis du peuple ». [6] Dans ces lignes tout est dit : l’histoire marche du bon côté, et elle a presque atteint le but de sa marche ; le socialisme (considéré comme une série de mesures économiques « sociales », voire étatiques, dont le cadre politique ne serait que la démocratie électorale) est le résultat d’une évolution dont on commence à percevoir l’aboutissement. En passant, on ne se privera pas de rappeler que telle est la position des « représentants autorisés » du parti : la volonté du peuple c’est bien, mais seuls ont droit d’établir la bonne ligne politique les « représentants autorisés ». Autorisés – à quoi ? Et par qui ? Eh bien, évidemment ils sont autorisés à dicter la ligne en se fondant sur un diagnostic de la conjoncture (diagnostic simple : tout est bien, à l’exception près de quelques obstacles…), donc implicitement à émettre un jugement sur la situation. En même temps, ils sont autorisés par la situation elle-même  : comme elle est définie par un progrès considérable, elle autorise les représentants du parti à la juger comme définie par un progrès considérable… Le constat que le progrès est en marche vient autoriser… l’autorité de ceux qui le déclarent, comme par hasard, en marche ! Logique circulaire (et inexpugnable) qui est celle de tout discours fondé sur la « tendance de l’histoire », sur sa marche triomphale qui autoriserait tel ou tel positionnement politique. Le geste même de s’autoriser, de soutenir ses propres actes par référence à un grand Autre incarnant le sens (le signifié et la direction) du processus historique, est le geste stalinien par excellence ; ses effets catastrophiques sont déjà visibles dans la Social-démocratie (d’où ils migreront vers la troisième Internationale), lorsque – après les tueries des insurgés en 1919 – elle laissera la voie ouverte d’abord à la réaction puis au nazisme. Mais ce geste et cette logique sont aussi l’indice d’une fétichisation de l’appareil de parti, de sa division entre direction et exécution, de sa monopolisation du pouvoir décisionnel par les dirigeants, tous ces traits faisant du parti lui-même une structure à l’image et à la ressemblance de l’État.Gilbert Badia a analysé quelques-uns des caractères du parti social-démocrate lorsqu’il accède au pouvoir gouvernemental – notamment le « mythe du suffrage universel » partagé par les sociaux-démocrates : « Le suffrage universel ne leur apportera-t-il pas la victoire, ne suffira-t-il pas à transformer l’Allemagne impériale en une Allemagne socialiste, telle qu’ils l’imaginent ? La plupart en sont persuadés. Sans doute faudrait-il remonter jusqu’aux premiers pas du mouvement ouvrier allemand, pour s’expliquer ces caractères de la Social-démocratie allemande. Ferdinand Lassalle déjà mettait tous espoirs dans le suffrage universel. Déjà aussi, comme Ebert téléphonait au Grand État-Major, il rendait en secret visite à Bismarck et supputait la possibilité d’un socialisme prussien, d’un socialisme instauré par décrets impériaux. L’État est déjà le primat, le socialisme une de ses réalisations ». [7] Cet étatisme du mouvement ouvrier allemand ne deviendra pourtant la ligne majoritaire du MCS qu’à la fin du XIXe siècle, c’est-à-dire au cours de la période de calme et de réorganisation (tant pour le MCS que pour les États et le capitalisme européen) qui suit l’écrasement de la Commune. Au début du XXe siècle, et lors de l’éclatement de la Grande Guerre, ce sont les marxistes orthodoxes qui ont épousé un étatisme au vrai beaucoup moins velléitaire que celui de Lassalle : « Lorsque en 1918, Kautsky fera le procès du bolchevisme, il fera porter l’essentiel de ses attaques sur le concept de dictature du prolétariat en lui opposant la notion de démocratie et de suffrage universel. Le jeu du suffrage universel n’avait-il pas assuré avant la guerre, à chaque élection nouvelle, les progrès du parti ? N’était-on pas fondé à penser que son extension à la Prusse, si longtemps revendiquée et enfin obtenue, de pair avec la réalisation par la social-démocratie, parvenue au pouvoir, de réformes démocratiques (droit de vote aux femmes, journée de huit heures, reconnaissance du rôle des syndicats, abolition des séquelles des droits féodaux à la campagne) assureraient au parti, sans violence, grâce à la libre expression de la volonté populaire, la majorité absolue, donc légalement, la totalité du pouvoir ? » [8].Ce qui démontre encore une fois que la Social-démocratie ne conçoit et le pouvoir et la politique que dans les termes établis par la forme étatique. Il n’y a de politique possible que la politique définie et délimitée par l’instance étatique, se déroulant à l’intérieur des formes propres aux appareils de l’État. La marche de l’histoire donc ne fait que marquer les progrès de la social-démocratie dans son accès aux appareils d’État (ce qui représente davantage l’étatisation de la social-démocratie que la démocratisation de l’État) : elle marque surtout les progrès dans l’étatisation de la politique, la réduction progressive de tout agir politique au référentiel étatique.Un dernier aspect de ce processus se fait jour : l’étatisme et le mythe du progrès convergent dans l’adhésion au nationalisme allemand, voire aux visées impérialistes : « Les convictions d’un Ebert paraissent établies : il semble parfois faire passer les intérêts de l’État allemand avant tout programme social démocrate. Plus exactement, il pense que le programme social-démocrate, réduit à des réformes sociales et à l’introduction du suffrage universel, est réalisable sans ruptures violentes (…). Ces Majoritaires souhaitent une Allemagne démocratique, un Empire démocratisé, où soit aboli l’ostracisme qui frappait tout ce qui était socialiste. Ils ne sont pas imperméables à une certaine forme de nationalisme : l’Allemagne, grande nation démocratique, ne pourrait-elle être appelée à civiliser non seulement les Zoulous ou les Hereros, mais aussi à assurer la tutelle des populations polonaises ou baltes, considérées, à bien des égards, comme sous-développées ? Les accents de Noske au Reichstag, en 1917, ne trompent pas : « L’Allemagne n’est-elle pas depuis des décennies le pays du suffrage universel, égal et secret, le pays qui abrite la plus grande organisation ouvrière du monde, le pays où existent des coopératives ouvrières florissantes ? L’Allemagne a réalisé une politique sociale, grandement améliorable, certes, mais à laquelle nous ne saurions renoncer » (…). Ces hommes veulent améliorer ce que l’Empire a fait pour la plus grande gloire de l’Allemagne ». [9]Si la marche de l’histoire conduit à l’État démocratique-socialisant, l’Allemagne, pays où cette forme étatique est à deux pas de sa pleine réalisation, est à la tête de la marche de l’histoire – hégélianisme vulgaire à la sauce évolutionniste. Mais, justement, l’État allemand est loin d’être un modèle de démocratie sociale : le petit schéma évolutionniste est perturbé par les transformations de l’État dans les conditions de l’impérialisme, de la guerre, des conflits déclenchés par la crise mondiale et la défaite militaire. L’identification de la social-démocratie à la politique étatique signifie par conséquent une caution sans réserves à l’égard de la répression brutale et des agressions impérialistes : les sociaux-démocrates, si soucieux de ne pas perturber par des éclats de violence l’évolution de l’Allemagne, « auront recours à la force pourtant, sans scrupule, impitoyablement, mais c’est pour maintenir l’ordre. Car le respect de l’autorité, c’est le premier devoir du citoyen » [10]. D’ailleurs, ils n’ont pas attendu la « semaine sanglante » de 1919 pour développer les virtualités autoritaires de l’appareil du parti :« Convaincus de la toute-puissance de l’organisation, les dirigeants majoritaires ont toujours veillé à tenir bien en main l’appareil du parti. Systématiquement, mais en prenant toujours bien soin de respecter les formes, d’appliquer la lettre, sinon l’esprit, des statuts, ils ont, par exemple, tout au long de la guerre, évincé de leurs journaux les rédacteurs opposés à l’union sacrée et suspects de sympathie avec la gauche du parti. En effet, les sociaux-démocrates ne font qu’utiliser les moyens mis à leur disposition par l’étatisation du parti : à savoir, les pratiques de pouvoir intrinsèques à la structure d’un “appareil séparé” ». [11] La conjoncture que nous examinons scelle la fin du consensus autour de ces présupposés. Mieux : elle scelle le moment où une certaine neutralité, même critique, à l’égard de cette étatisation de l’appareil du parti devient impossible et une décision s’impose qui va cliver irrémédiablement les différents courants du MCS allemand. Après l’abdication de l’empereur, pratiquement imposée au prince héritier Max de Bade par l’État-major de l’armée, cet ensemble de questions produit deux réponses différentes à propos de la forme politique à donner à l’Allemagne, qui correspondent aux deux proclamations de la République le 9 novembre 1918. Comme l’a souligné G. Badia, la révolution allemande est une révolution dont l’image est double. À un balcon du Reichstag, on retrouve Scheidemann, ministre du dernier gouvernement impérial et du premier gouvernement républicain qui crie : « Vive la république allemande ! » ; et à un kilomètre de distance, au balcon du Palais impérial abandonné par les Hohenzollern, on retrouve Karl Liebkneckt, sorti de prison depuis quinze jours, suite à une incarcération due à son opposition à la guerre, qui crie : « Vive la république allemande socialiste ! », à côté du drapeau rouge, c’est à dire die rote Fahne, futur titre du journal spartakiste. L’enjeu du socialisme, qui est aussi celui de sa forme politique et de sa position vis-à-vis de l’État, a produit une scission dont le débouché ultime sera un affrontement mortel dans les rues de Berlin.

Les positions de Kautsky

G. Badia parle d’un « procès du bolchevisme » mené par Kautsky. Celui-ci n’est pas un membre des Majoritaires, appartenant plutôt au courant orthodoxe. Autorité idéologique de la Seconde Internationale, Kautsky incarne à la fois l’appareil parlementaire de la Social-démocratie, son étatisation, et la référence stratégique à l’esprit et à la lettre de Marx et Engels. Ses positions articulent donc la tendance étatiste et l’incorporation de la théorie au mouvement ouvrier, ce qui implique un recours décisif à l’autorité de Marx afin de justifier la ligne sociale-démocrate. Dans La Dictature du prolétariat (Vienne, 1918), Kautsky se propose de critiquer la méthode bolchevique et implicitement les thèses de L’État et la Révolution. La polémique avec Lénine s’organise autour des problèmes à l’ordre du jour dans les différents pays, d’abord la Russie puis l’Allemagne, ce qui permet de vérifier, dans le déroulement pratique des événements, les thèses proposées. L’objectif des interventions de Kautsky est de modérer lʼenthousiasme des militants plus radicaux et de désarmer sur le plan théorique la perspective d’une action révolutionnaire violente. C’est de ce point de vue qu’il présente l’opposition irréductible entre deux méthodes de lutte : la démocratie et la dictature du prolétariat. Kautsky déploie une analyse érudite et presque chirurgicale des textes de Marx et Engels qui suscitera l’indignation et provoquera l’intervention théorique de Lénine. Sa réflexion part elle aussi, comme celle de Lénine, de l’expérience de la Commune. On a vu que, malgré son échec, elle est devenue dans le discours du MCS la forme politique paradigmatique de la réalisation du communisme. Kautsky en revendique la nature démocratique. Il affirme que dans cette expérience toutes les âmes du socialisme étaient représentées sans exclusion ou censure imposée par une partie aux autres. Dans la Commune tous les courants pouvaient s’exprimer librement, si bien que toute séparation aurait représenté l’auto-exclusion d’une minorité. Il est évident que son éloge de la Commune vise à critiquer les bolcheviks. Il revendique le principe démocratique qui gouverne le parti social-démocrate allemand en soulignant qu’il ne s’agit pas seulement d’un droit mais aussi d’un devoir vis-à-vis de ses membres : dans le parti règne la démocratie, et elle doit devenir la modalité de fonctionnement de l’État. C’est un point qu’il faut retenir parce qu’il a partie liée avec l’étatisation du parti, avec la structure spéculaire du lien parti-État.Kautsky présente comme le but de sa brochure la recherche de la signification de la démocratie pour le prolétariat, de la signification de la dictature du prolétariat et des conditions qu’elle peut fournir à la lutte d’émancipation de celui-ci. Au sujet des rapports entre socialisme et démocratie, Kautsky soutient leur complémentarité : il n’y a pas de vrai socialisme sans démocratie, ni une vraie démocratie sans socialisme [12] – ce qui signifie que lʼon ne doit pas interpréter l’une comme le moyen de l’autre. Le socialisme est simplement impensable sans démocratie, et la démocratie socialiste représente la forme authentique de la démocratie. Le socialisme ne signifierait pas seulement l’organisation sociale de la production, mais impliquerait aussi l’organisation démocratique de la société. En ce sens, il engage la tradition du parti social-démocrate allemand, le parti de Lassalle dont Kautsky est lui-même l’héritier. Dans cet espace constituant de l’après-guerre, tant les Majoritaires que Kautsky voient l’occasion d’atteindre par voie légale, c’est-à-dire par le biais d’une Assemblée constituante, certains objectifs fixés dans leur programme d’Erfurt – dont, en premier lieu, le suffrage universel – en les inscrivant dans une Charte constitutionnelle. Mais quelle place faut-il donner alors à la dictature du prolétariat théorisée par Marx ? L’effort herméneutique de Kautsky consiste à montrer du point de vue théorique que la dictature du prolétariat ne peut être rien d’autre que la véritable démocratie, c’est-à-dire la démocratie socialiste ; il déclare qu’« on ne peut penser la dictature du prolétariat que comme prise du pouvoir (Herrschaft) du prolétariat sur la base d’un système démocratique » [13]. S’interrogeant sur la signification juridique du mot « dictature », Kautsky en donne une formulation proche de celle que Carl Schmitt appellera « dictature commissariale ». Dans tout état d’exception, le pouvoir constitué peut décider dʼattribuer des pouvoirs spéciaux à une personne et de suspendre certains droits pendant une période limitée, par décret, afin de résoudre le problème dʼordre public qui menace la démocratie dans son ensemble, pour la protéger ou la renforcer. Bref, il s’agit de la suspension provisoire de l’État de droit pour le rétablir. C’est par son caractère temporaire que la dictature se distingue du despotisme. Si, comme c’est le cas pour le despote, dans la réalisation de son mandat, le commissaire n’a pas l’obligation de respecter les normes constitutionnelles, son pouvoir absolu lui est cependant confié par la Constitution et précisément avec le but de rétablir celle-ci. Il s’agit d’une situation dʼexception prévue et définie comme telle par la Constitution. La dictature est une mesure constitutionnelle, ce qu’on appelle dans le langage juridique « une exception concrète ». Mais, selon Kautsky, on ne peut pas penser la dictature du prolétariat théorisée par Marx et Engels sous la forme de la dictature d’un homme seul ou d’une minorité. À vrai dire il ne s’agit pas d’une dictature véritable, notion qu’il tend à réduire à celle de despotisme. De quoi s’agit-il alors ? Elle est la dictature d’une classe. Qu’est-ce que cela veut dire ? Elle est à penser comme la domination démocratique dʼune classe, le prolétariat, sur une autre, la bourgeoisie, au moyen d’élections libres, c’est-à-dire par décision populaire. Les intérêts des classes doivent trouver leur médiation dans le parlement à travers la confrontation de leurs représentants. La voie bolchevique constitue en revanche la suppression de la démocratie. Or, cette déclaration vise à établir une ligne politique pour la situation révolutionnaire, mais on devrait plutôt dire, à ce niveau du discours, pour la situation constituante de l’Allemagne en 1918. Les Majoritaires et Kautsky fixent leur tactique sur l’Assemblée constituante : il faut établir avant tout une démocratie parlementaire qui sera le moyen de bâtir dans la durée, petit à petit, la démocratie socialiste. Nous disons : « petit à petit » parce que Kautsky considère que les rapports de force ne sont pas encore mûrs pour la réalisation d’une vraie société socialiste. La tendance au socialisme qui s’exprime par une volonté pour le socialisme (Der Wille zum Sozialismus) est bien une condition de sa réalisation, mais elle ne suffit pas. Il faut aussi considérer le degré de maturation de la matière première (Rohstoff), le prolétariat. Bref, selon Kautsky on n’a pas encore atteint la configuration des rapports de force qui permettrait de prendre le pouvoir de la façon dont Marx l’avait envisagé. Dit autrement : le prolétariat n’a pas atteint l’état de majorité pour dominer – on devrait dire : démocratiquement – la bourgeoisie. Il a besoin d’une tutelle, celle des dirigeants qui décideront ce qui est bien ou mal pour le peuple ; qui l’éduqueront. Ce sont les conditions économiques qui ne permettent pas la formation d’un prolétariat capable de renverser les rapports de force, parce que la société dans son ensemble n’a pas atteint le degré de développement économique nécessaire. Le prolétariat n’est pas prêt. C’est par ces deux raisons qu’à l’ordre du jour n’est pas la révolution sociale, mais une révolution nationale-libérale. La chute des empires doit ouvrir en Europe la saison des démocraties nationales. Ici réside la différence avec la révolution russe, et la raison de la condamnation de l’action des bolcheviks comme une fuite en avant dangereuse et velléitaire. Ceux-ci ont brisé l’unité avec les mencheviks – que, en passant, Kautsky appelle « socialistes ». Ils ont boycottée l’Assemblée constituante et ont instauré une dictature qui ne correspond pas à la structure économique de la Russie : « Les bolcheviques ont été le premier parti socialiste dans l’histoire mondiale qui a réussi à prendre le pouvoir dans un grand empire et qui tente d’y réaliser le socialisme. Là repose leur grandeur et de là vient l’admiration de beaucoup de prolétaires envers eux. Mais les rapports étaient les plus défavorables possibles pour atteindre leur but parce que à cause de la situation arriérée du pays manquent les pré-conditions nécessaires à sa réalisation ». [14] Il sʼagit pour lui d’une erreur tactique majeure que l’Allemagne ne doit pas répéter. L’analyse économique fixe le cadre de la lutte politique : primat de l’économique sur le politique. La révolution allemande ne constitue alors qu’une étape vers le socialisme, visant à mettre en place les conditions matérielles de sa réalisation : cela se produira par le développement de la grande industrie et la conséquente formation d’un prolétariat industriel. Il s’agira ensuite de mettre progressivement l’appareil d’État au service du prolétariat. L’après-guerre n’est que l’occasion d’établir un système de garanties légales, voire constitutionnelles, afin de permettre d’abord la maturation du prolétariat comme classe, ce qui permettra ensuite sa prise pacifique du pouvoir. Kautsky s’appuie sur certaines indications de Marx, qui avait laissé entendre que dans des démocraties comme les États-Unis, on aurait pu atteindre une société socialiste par voie pacifique. La société socialiste devient le but de l’histoire dont la marche progressive et progressiste est confirmée par le nouveau pas en avant accompli par l’Allemagne ; en vue de cela, il faut passer par l’étape historique de la démocratie libérale. Le socialisme est la tendance de l’Histoire. C’est ici que l’on voit la jonction entre, d’une part, marxisme et philosophie de l’Histoire, et, de l’autre, le positivisme évolutionniste : l’idéal d’un progrès inéluctable, d’une téléologie prédéterminée qui aboutirait nécessairement à la société socialiste et démocratique. C’est cette jonction qui est le lieu d’une littérale et flagrante déviation.

L’appareil, les masses et la Révolution

Mais cette jonction est insuffisante pour comprendre la dialectique complexe de la Social-démocratie. L’évolution sociale-démocratique du MCS pose un problème ultérieur : celui de son rapport aux masses prolétariennes. Ce problème a partie liée avec la question concernant la capacité constituante réelle du prolétariat, toute l’argumentation de Kautsky consistant justement à nier la possibilité d’une forme politique dont les masses seraient porteuses et qui serait différente de la démocratie socialisante-libérale. Franz Mehring, dans une lettre du 3 juin 1918 adressée aux bolcheviks, l’avoue : « Le plus triste, c’est que les masses témoignent au socialisme gouvernemental une faveur qui lui a permis de battre les sociaux-démocrates indépendants (…) dans trois consultations électorales ». [15]Gilbert Badia confirme que ce constat ne vaut pas que pour la conjoncture de la guerre : « Ce parti (…) a réussi à conserver le contact avec les masses (…). Les Majoritaires sont bien un parti de la classe ouvrière. Pour la majorité des ouvriers allemands, ils demeurent, même en novembre 1918, après quatre ans de politique d’union sacrée, un, voire le parti socialiste. On le voit bien lorsque Noske est envoyé à Kiel par le gouvernement du prince Max de Bade ; il réussit à se faire accepter par les marins révoltés et les ouvriers des chantiers navals. Il exerce en même temps le pouvoir d’État : il se substitue au gouverneur militaire de la ville. Cette double fonction est caractéristique, symbole de l’attitude des dirigeants sociaux-démocrates ». [16]Voilà donc la dernière question soulevée par le trajet de la Social-démocratie : le soutien dont elle continue à jouir de la part des ouvriers. En fait, le consensus auprès des classes travailleuses ne commencera à s’affaiblir qu’après la semaine sanglante : avant les tueries de Berlin, ni l’union sacrée, ni l’étatisation, ni le nationalisme affiché, ne semblent avoir éloigné les masses populaires du parti socialiste. Un nouveau problème est alors ouvert : si l’appareil du parti a « trahi » la révolution, s’il s’engage sur la voie de l’étatisation en renonçant au socialisme et à l’internationalisme, on aurait pourtant quelques difficultés à lui opposer la vigilance, la droiture, voire le simple mécontentement des masses, de la classe ouvrière, en somme de la « base ».Ces problèmes jumeaux – l’évolution de l’appareil du parti et la conduite des masses – sont abordés par les textes de ceux qui deviendront les Spartakistes dès 1916, lors de la parution des Spartakus-Briefe  : manifestement, la critique à l’égard du parlementarisme et du nationalisme est beaucoup plus élaborée et efficace que la confrontation – de toute évidence douloureuse – avec l’insuffisance politique des masses. Néanmoins, les conséquences à l’égard de la Social-démocratie que Rosa Luxemburg (dont il va être question dans les lignes qui suivent) tirera de la conjoncture ouverte par la guerre mondiale sont loin d’être évidentes : elles constituent un bilan du trajet de la Social-démocratie qui aboutit à une mise en cause de toutes les tendances qui ont été jusqu’ici mises en évidence. Dans les Lettres de Spartacus, R. Luxemburg prône une rupture radicale par rapport à la parlementarisation du parti, « qui ronge notre parti comme un cancer depuis des années » [17], et par là elle appelle de ses vœux « une politique dont le centre de gravité se trouve hors du parlement, c’est-à-dire dans l’action des masses (…). Le rôle de l’autodétermination de l’opposition contre le courant du 4 août est au contraire de déplacer le lieu des décisions politiques, des chapelles parlementaires et autres “instances” vers la volonté lucide des masses et leur capacité d’action indépendante ». [18] C’est bien là l’enjeu de toute cette conjoncture : il s’agit de savoir si une pratique politique non-parlementaire et non-étatique serait encore possible pour le MCS, et, par conséquent, si une forme politique cohérente avec cette pratique pourrait représenter le débouché d’un processus constituant dans la situation ouverte par l’effondrement du Reich. D’où l’urgence de mettre à l’épreuve la capacité politique autonome des masses – capacité sans laquelle, en effet, la voie sociale-démocratique est la seule envisageable. Le pari d’une politique des masses en dehors des pratiques de l’appareil devient alors le pivot de l’action spartakiste, et de la critique de la Social-démocratie – cette politique des masses vient soutenir les critiques à l’égard de l’appareil séparé qu’est devenu le parti : « Rien n’a encore été prévu pour une politique et une action qui soient réellement celles des masses. Les travailleurs ne doivent plus applaudir en chœur l’action d’une poignée de parlementaires, ils doivent se risquer maintenant sur la scène politique. On devra toujours et toujours répéter aux camarades : n’attendez le salut que de vous-mêmes. Ce n’est que lorsque vous oserez enfin déployer toute votre force dans des actions de masses hardies avec une énergie croissante, sans craindre les dangers ni les victimes, que vous réussirez à sauver le parti des Ebert-Scheidemann et à remporter de haute lutte la paix et la liberté sur le chaos de la bestialité impérialiste. Le sort en est jeté. Il faut franchir le Rubicon ». [19] Ce ne sont pas que des exigences de rhétorique qui motivent cette conclusion lapidaire, cet appel à une décision irrévocable : il s’agit, pour R. Luxemburg, d’opérer une rupture définitive, sur les principes, avec la Social-démocratie, ce qui implique une tâche titanique, consistant à renverser les valeurs politiques qui ont dominé le MCS pendant plus d’une trentaine d’années. Il s’agit d’apprendre ou de réapprendre la capacité de penser la politique selon d’autres critères que ceux qui semblent avoir conduit la Social-démocratie de victoire en victoire ; d’accepter que ces victoires ne soient pas des victoires du prolétariat ni de la révolution ; de se convaincre que les succès électoraux, l’accès au gouvernement, la puissance de l’appareil, ne sont pas autant de synonymes de « socialisme » ; finalement, il faut mettre en question tout le système d’interpellations et d’identifications construit autour des effets d’appareil et des effets discursifs liés au mythe du progrès et de l’effacement pseudo-universaliste des contradictions – un système qui est profondément ancré dans les formes de subjectivation des militants du MCS, et qui soutient, malgré tout, les espoirs et les représentations des masses elles-mêmes.La portée de cette rupture – rendue inévitable par la « trahison » de 1914 – est bien exprimée par ce tract de 1916, intitulé Soit l’un… soit l’autre  : « Le 4 août a sonné le glas de la social-démocratie allemande officielle et avec elle l’Internationale s’est lamentablement effondrée. Tout ce que depuis cinquante ans nous avions prêché au peuple, tout ce que nous avions déclaré être nos principes les plus sacrés, tout ce que nous avions sans fin répandu en discours, brochures, en journaux et en tracts, tout s’est révélé brusquement n’être que du vent. Le parti du combat de la classe prolétarienne internationale est devenu (…) un parti national-libéral, notre puissante organisation, dont nous étions fiers, s’est montrée complètement impuissante et les ennemis mortels et respectés de la société bourgeoise sont devenus l’instrument passif et à juste titre méprisé de notre ennemi mortel, la bourgeoisie impérialiste. Dans tous les pays la même chute du socialisme s’est à peu de chose près produite (…). Jamais l’histoire universelle n’a vu un parti politique faire aussi lamentablement banqueroute. Jamais un idéal aussi élevé n’a été honteusement trahi et ainsi traîné dans la boue ! Des milliers de prolétaires pourraient pleurer des larmes de sang, de honte et de fureur : tout ce qui leur était saint et cher est devenu la risée du monde entier. Des milliers de camarades brûlent de combler la brèche, de laver le parti de sa honte pour pouvoir porter sans rougir et le front haut le nom de social-démocrate. Mais chaque militant doit pour ce faire garder une chose présente à l’esprit : seule une politique unie, claire et décidée peut sauver le parti d’une chute aussi grande (…). Chacun doit maintenant se dire : soit l’un… soit l’autre ». [20]

L’impuissance des masses et l’in-existance du communisme

R. Luxemburg est consciente du fait que, si aujourd’hui les pratiques politiques de la Social-démocratie sont devenues critiquables ouvertement, si une scission est envisageable, ce n’est qu’à cause de la guerre, et non pas parce que les masses auraient décidé de se libérer du joug de l’appareil du parti ; ce n’est que la guerre qui a pu remettre en cause les formes traditionnelles de la politique du MCS : « L’action parlementaire de quelques douzaines de parlementaires est donc toujours la base de l’action, la politique, l’axe de la vie, le nombril du monde ; les masses n’en sont que le chœur qui dit oui – et plus rarement encore non. Comme si le destin de la guerre et de la paix pouvait aujourd’hui encore être tranché au parlement ! Comme si l’action des parlementaires sociaux-démocrates pouvait avoir un autre sens, un autre but que d’éclairer les masses sur le fait qu’elles n’ont rien à attendre du parlement et tout d’elles-mêmes ! Les parlementaires devraient les secouer et les galvaniser dans ce sens par le mot et l’exemple ! » [21].On voit très clairement dans ces lignes l’aporie à laquelle se trouve confrontée la gauche révolutionnaire dans la conjoncture allemande. D’un côté, R. Luxemburg affirme l’autonomie politique absolue des masses par rapport aux médiations du parti et du parlement, et critique l’appareil du parti à cause de l’expropriation de cette autonomie ; d’un autre côté, elle reconnaît que les masses sont passives face aux actions des parlementaires, qu’elles se laissent exproprier de leur auto-détermination politique sans trop bouger, même face au vote des crédits de guerre. Donc, « les masses » – à la différence de l’appareil du parti – n’existent pas réellement en tant que porteuses d’une politique en acte. Elles ne sont qu’un référentiel, le site d’identification virtuelle d’une politique possible, non-étatique et non-représentative : une politique « à venir », si l’on veut, vers laquelle tendent les efforts des dissidents de gauche de la Social-démocratie, vers laquelle doivent tendre les efforts de tout révolutionnaire internationaliste, mais qui n’existe pas ici et maintenant. La politique des masses qualifie les masses « en droit » ; mais les masses « en fait » restent soumises à leurs représentants. Par conséquent, la rupture radicale dont parle « Spartakus » a lieu beaucoup plus entre deux systèmes d’axiomes définissant chacun une orientation politique qu’entre deux tendances réelles et constatables. L’autonomie des masses in-existe dans cette phase de la conjoncture – phase qu’on pourra définir comme un monde gouverné par les axiomes de la social-démocratie, et où, par conséquent, une politique non-étatique a un degré minimal d’existence [22]. Mais ce degré minimal est néanmoins en mesure de fonctionner comme site d’identification de l’ensemble des pratiques orientées vers l

a mise en place de cette politique in-existante.Une dialectique tout à fait analogue concerne l’appel à l’Internationale. R. Luxemburg stigmatise les positions des sociaux-démocrates, majoritaires et indépendants, affirmant :« Il serait déplacé de faire de l’Internationale socialiste le centre du mouvement ouvrier tout entier. Il serait déplacé de limiter la liberté des instances régionales du parti quant à leurs libres décisions sur le problème de la guerre, il serait déplacé et irréalisable de placer l’Internationale au-dessus du parti allemand et des autres partis. L’Internationale ne devrait être qu’un lien fédératif lâche qui laisserait aux partis ouvriers nationaux complètements indépendants une liberté de tactique en temps de paix comme en temps de guerre (…). Camarades ! C’est ici qu’est le nœud de toute la situation, la question vitale du mouvement ouvrier. Notre parti a reculé le 4 août comme les partis des autres pays parce que l’Internationale s’est révélée n’être que des mots vides et les décisions des congrès internationaux des mots d’ordre creux et impuissants ». [23] Mais les mesures pratiques proposées à cette fin semblent bien dérisoires : « Il faut éduquer les Allemands, les Français et tous les autres prolétaires qui ont un sens de classe dans l’idée que : La fraternisation mondiale des ouvriers est mon devoir le plus saint et le plus haut sur cette terre, elle est mon étoile, mon idéal, ma patrie ; je préfère mourir plutôt qu’être infidèle à cet idéal  ». [24] Difficile d’exprimer avec plus de clarté la profonde impuissance de la gauche internationaliste face à une réalité empirique qui ne laisse aucune prise à l’instanciation dans le réel de son propre positionnement. Les masses, la classe ouvrière, se plient au chauvinisme et au parlementarisme, elles confirment leur soutien au socialisme gouvernemental et impérialiste ; du même coup, les principes d’orientation deviennent de plus en plus radicaux, formulés dans la pureté tranchante des déclarations axiomatiques : mais cette pureté n’est pas une démonstration de force – elle exhibe le vide dans lequel ces déclarations ont lieu. C’est pourquoi les formulations se multiplient s’adressant à une classe ouvrière presque entièrement virtualisée – une classe ouvrière qui est réduite au pur nom d’une politique non-étatique et internationaliste, voire la Classe Ouvrière telle qu’elle devrait être pour être en mesure d’incarner dans la réalité les principes dont elle est le site pur d’identification : « La lutte de classes à l’intérieur de l’État bourgeois contre les classes dominantes et la solidarité internationale des prolétaires de tous les pays sont deux règles essentielles et inséparables de la classe ouvrière dans son combat historique et mondial de libération. Il n’y a pas de socialisme hors de la solidarité internationale du prolétariat ni hors de la lutte de classes. Le prolétariat socialiste ne peut, ni en temps de paix, ni en temps de guerre renoncer à la lutte de classes et à la solidarité internationale sans aller au suicide. (…) L’action parlementaire, l’action syndicale et la totalité des activités du mouvement ouvrier doivent être subordonnées à la lutte du prolétariat dans chaque pays contre la bourgeoisie nationale (…) et pousser au premier plan et renforcer la communauté internationale d’intérêts des prolétaires (…). C’est dans l’Internationale que réside le centre de gravité de l’organisation de classe du prolétariat ». [25]Une logique presque identique est à l’œuvre dans le rapport entre les Spartakistes et les Conseils. Les Conseils – leur existence et même leur nom – sont la démonstration que la base ouvrière de la Social-démocratie n’est pas immédiatement homogène aux visées de sa direction politique et syndicale. Si les Majoritaires « ne tarderont pas (…) à voir dans le bolchevisme “un nouveau tsarisme” (…) “asiatique”, “réactionnaire” et “impérialiste” » [26], et si Kautsky affirme que « à part une poignée de fanatiques sectaires, l’ensemble du prolétariat allemand comme l’ensemble du prolétariat international est attaché au principe de la démocratie universelle » [27], il n’y a guère que les Spartakistes qui « s’efforcent de populariser la révolution russe et préconisent d’imiter en Allemagne l’exemple des Soviets » [28], et les masses ouvrières, quant à elles, « semblent avoir eu moins de prévention que la plupart de leurs dirigeants politiques contre l’expérience soviétique. Sinon, on ne s’expliquerait pas comment a pu se répandre en Allemagne l’idée de constituer, à l’exemple des Russes, des Soviets, ces Räte, ces Conseils d’ouvriers et de soldats qui se formeront partout, dans les usines et les unités militaires, pendant les dernières semaines de l’Empire et les premiers jours de la Révolution. Il est vrai que le rôle de ces Conseils différera souvent de celui des Soviets. Il n’en reste pas moins qu’A. Rosenberg a raison de noter qu’aux premiers jours de la Révolution de novembre (1918) “Les soldats et les marins rebelles suivaient le modèle de révolution russe vue de l’extérieur : en chassant leurs officiers et l’Empereur, en proclamant la toute-puissance des Conseils d’ouvriers et de soldats, ils faisaient un peu de bolchevisme” ». [29]

« Tout le pouvoir aux Conseils »

D’où le clivage majeur qui va diviser les sociaux-démocrates des Spartakistes, un clivage concernant le statut politique des Soviets, de leur pouvoir. Novembre 1918 et la formation des Conseils dans tout l’Empire allemand marquent un tournant dans le rapport des déclarations spartakistes à la réalité des masses : « En août, les tracts spartakistes sont pleins d’amertume contre la passivité des ouvriers et surtout des soldats allemands qui “pataugent dans le sang des peuples” » [30]. Quelques mois après, l’Allemagne est en révolution : les masses semblent bien s’être réveillées et avoir dépassé de loin les limites que les socialistes gouvernementaux voulaient poser à la crise politique. Dès les premiers signes de craquements des structures impériales, les Spartakistes appellent immédiatement à l’insurrection et à la substitution des pouvoirs traditionnels par les Conseils : « Pour la classe ouvrière allemande le problème est clair et son action lui est tracée sans équivoque. Nous devons utiliser le moment favorable. Il s’agit de mettre à profit les difficultés extérieures de nos exploiteurs et de nos oppresseurs pour renverser les classes dominantes et leur substituer la domination de la classe ouvrière allemande. Il n’y a pas d’autre moyen de sortir de cette mer de sang et de misère où nous pataugeons (…). Il faut s’organiser dans les entreprises et les unités militaires, au front comme à l’arrière. Il s’agit d’appuyer par tous les moyens, les mutineries spontanées qui éclatent dans les rangs des soldats, de les faire aboutir à une révolte armée, d’élargir cette révolte en une lutte qui assure la totalité du pouvoir aux ouvriers et aux soldats ». [31] Dans la Rote Fahne (le journal spartakiste dont le premier numéro paraît le 9 novembre 1918), la question du pouvoir des Conseils est ouvertement indiquée comme le point de division maximale entre les socialistes gouvernementaux et les Spartakistes : « Le drapeau rouge flotte sur Berlin. Cette fois-ci, ce ne sont pas les ouvriers de Berlin qui ont déclenché les premiers la révolution. Mais ils font la promesse d’aller jusqu’au bout dans la réalisation du programme communiste-révolutionnaire. L’abdication d’un ou deux Hohenzollern ne signifie rien. Et la présence de deux ou trois socialistes gouvernementaux signifie moins que rien ! »Parmi les revendications avancées par ce texte, de toute première importance, sont les suivantes : « Prise en charge de tous les pouvoirs civils et militaires par des hommes de confiance du Conseil d’ouvriers et de soldats (…). Remise aux délégués des Conseils d’ouvriers et de soldats de tous les bâtiments militaires et des usine d’armement (…). Remise également de tous les moyens de transport, des usines et des banques (…). Dissolution du Reichstag et de toutes les diètes (…). Mise à pied du Chancelier, de tous les ministres et secrétaires d’État, ainsi que de tous les fonctionnaires qui ne se mettent au service du peuple socialiste. Leur remplacement par des représentants des ouvriers (…). Election, dans toute l’Allemagne, de Conseils d’ouvriers et de soldats, sur lesquels reposera exclusivement le pouvoir législatif, exécutif, l’administration de toutes les installations sociales, des banques et tous autres biens publics. À l’élection de ces Conseils prend part tout le peuple travailleur adulte, à la ville comme à la campagne, sans distinction de sexe (…). Prise de contact immédiate avec les partis frères socialistes des autres pays (…). Camarades ! La réalisation de ces revendications marquera notre entrée dans un monde neuf. Soutenez-les ! Le pouvoir est entre vos mains ! » [32].Le point qui divise définitivement la Social-démocratie est bien la question des Conseils : organes du pouvoir révolutionnaire, donc entité politique à part entière, pour les Spartakistes, ils doivent uniquement mener à l’élection d’une Assemblée Constituante pour les majoritaires et, avec les oscillations habituelles, pour les Indépendants. Ceux-ci s’accorderont avec les Majoritaires sur la convocation d’un Congrès national des conseils qui devra discuter de l’Assemblée Constituante et du destin des Conseils eux-mêmes. G. Badia expose avec une grande précision le processus au cours duquel les Conseils, en fait dominés par les Majoritaires (auxquels les Indépendants ne seront pas capables de s’opposer réellement), se suicideront politiquement en refusant d’assumer le pouvoir et en acceptant d’être remplacés par une Assemblée nationale : « En novembre et décembre (1918) on discute ferme de la structure des nouveaux pouvoirs. En fait, le litige majeur porte dès le début sur la place et le rôle de ces Conseils qui sont, en fin de compte, une des créations les plus marquantes de la révolution. Faut-il donner tout le pouvoir aux Conseils, faut-il au contraire les considérer comme des organismes provisoires, transitoires ? Dès le 16 novembre (…) Däumig a posé le problème en des termes d’une netteté parfaite : “Le 9. 11. l’ancien système gouvernemental s’est effondré, qui se composait de la monarchie et des assemblées législatives (…). À sa place doit être instauré le système des Conseils d’ouvriers et de soldats (…). Le pouvoir exécutif et législatif doit être exercé par les Conseils. Le gouvernement doit nous être subordonné (…). Il faut bien comprendre ce que cela signifie. Si notre Comité se prononce pour la convocation d’une Assemblée nationale, alors c’est signer notre arrêt de mort. L’activité des Conseils ne sera que provisoire (…). La République prolétarienne ne saurait l’emporter. La bourgeoisie entrerait en force dans le nouveau gouvernement (…). La République démocratique bourgeoise s’attacherait à maintenir l’économie capitaliste”. Il est difficile de ne pas être frappé par la clairvoyance de ces paroles de Däumig. Pourtant il ne fut pas suivi. Lorsqu’on passa au vote sur la proposition Däumig, qui écartait l’idée de l’Assemblée constituante et prévoyait de faire des Conseils la base du nouveau régime, elle fut repoussée ». [33]D’une très grande clarté est aussi la position des Majoritaires face aux Conseils : « Pour l’auteur de l’article (du Vorwärts du 16 décembre 1918) les Conseils ne méritent pas de survivre. Ils n’ont bien fonctionné que lorsqu’il étaient dirigés par des militants expérimentés (entendez des Majoritaires) : “Ces organismes auxiliaires, ces organismes de transition de la révolution, composés d’ouvriers et de soldats, ont sans doute une fonction irremplaçable, mais l’image qu’ils nous donnent n’est pas sans comporter des taches. Sans vouloir flatter quelque parti que ce soit, on peut dire que les Conseils ont parfaitement travaillé, là où ils étaient composés de praticiens expérimentés du mouvement ouvrier et que de vilains dégâts n’ont été commis que là où une masse inorganisée a jeté par-dessus bord les chefs éprouvés” ». [34]Cette apologie du primat de l’appareil de parti se soutient également d’une apologie du suffrage universel et du parlementarisme : « Les élections dont (le Congrès des Conseils) est issu n’ont malheureusement pas eu lieu au suffrage universel, égal, direct (…). Le peuple, qu’emplit le sentiment de la démocratie, ne souhaite pas que de telles élections se reproduisent (…). Le problème (…) : Assemblée nationale ou Système de Conseils aura déjà été éclairci avant même que d’être discuté. Pour la social-démocratie, l’alternative ne se pose pas : elle considère qu’il y va de son devoir le plus sacré de donner au peuple tout entier (…) le droit démocratique à l’auto-détermination, donc de procéder à l’élection de l’Assemblée nationale (…). Mais jusqu’à cette date, la direction du Reich, qui jouit de la confiance populaire, doit avoir les coudées franches. On ne peut pas tolérer que des para-gouvernements discréditent la cause du socialisme ». [35]On voit très bien que les trois axes de division entre Majoritaires et Spartakistes (action des masses vs. parlementarisme, Internationale vs. nationalisme, Conseils vs. appareil de parti et État bourgeois) constituent autant de points – pour reprendre le mot d’A. Badiou – dont le traitement ne tolère aucun compromis, sur lesquels il ne faut à aucun prix céder si l’on veut sauvegarder l’orientation communiste (raison pour laquelle les Indépendants se scinderont après des innombrables oscillations, faute d’être capables de tenir un point jusqu’à ses conséquences nécessaires). Tous ces points concernent un seul clivage majeur : qui est le porteur de l’initiative politique ? Mieux : qui doit être tenu pour le porteur de cette initiative – ou encore : quel lieu doit être considéré comme site politique exclusif et éminent – afin que cette politique corresponde à l’hypothèse communiste ? Les Spartakistes (et, du côté opposé, les sociaux-démocrates majoritaires) tirent les nécessaires conséquences de leurs façons respectives de traiter ce point. Mais il semblerait qu’ils le fassent en se disjoignant, en tant qu’avant-garde porteuse de cette décision politique, des organisations des masses, qui, elles, s’avèrent beaucoup moins à la hauteur du point à traiter. Sans vouloir atténuer la nature démesurément méprisable des propos sociaux-démocrates, force est de constater que l’argument concernant le manque d’autonomie politique des Conseils semblerait bien correspondre à la réalité : « Le 18 décembre le Congrès adopta sans débat le texte suivant qui anticipait la solution du problème (…) : “Le Congrès national des Conseils d’Ouvriers et Soldats d’Allemagne, qui représente la totalité du pouvoir politique, transfère le pouvoir législatif et exécutif au Conseil des Commissaires du Peuple, en attendant que l’Assemblée nationale décide d’une nouvelle réglementation” ». [36] Les Commissaires du peuple étant sous le contrôle des hommes d’appareil sociaux-démocrates, on peut bien dire que les Conseils acceptent par cette déclaration de se nier comme site de détermination politique en faveur à la fois de l’appareil de parti et de l’État bourgeois : la Révolution se suicide en rentrant dans le rang, c’est-à-dire en supprimant l’invention d’une instance politique nouvelle, externe à l’État et aux pratiques du parlementarisme. Du même coup, l’affirmation des principes à la base de cette invention se trouve rabattue au statut d’une pure déclaration, privée de ce lien entre l’orientation et la réalité en acte constituée par les Conseils. Les masses ne sont pas insensibles aux mots d’ordre de l’agitation spartakiste, et leurs positions ne sont pas réductibles à une pure passivité face aux routiers cyniques du parti social-démocrate. Néanmoins, elles n’arriveront jamais à franchir le seuil qui les aurait constituées en pôle politique opposé à l’État et aux dirigeants Majoritaires, qui aurait fait d’elles une instance politique à part entière, autonome et extra-étatique.

Les masses introuvables

Lorsque les provocations gouvernementales entraîneront les révolutionnaires dans une lutte perdue à l’avance, et que les Freikorps, déchaînés par une Social-démocratie pour une fois fort peu soucieuse des règles, auront écrasé les insurgés par un bain de sang, Rosa Luxemburg esquissera un bilan des insuffisances de l’action révolutionnaire en Allemagne, en renouant par là avec la ligne qui avait été la sienne au moins dès le début de la guerre, lors de la crise de la Social-démocratie : « Les combats révolutionnaires sont à l’opposé des luttes parlementaires. En Allemagne, pendant quatre décennies, nous n’avons connu sur le plan parlementaire que des “victoires” ; nous volions littéralement de victoire en victoire. Et quel a été le résultat lors de la grande épreuve historique du 4 août 1914 : une défaite morale et politique écrasante, un effondrement inouï, une banqueroute sans exemple (…) il faut étudier dans quelles conditions la défaite (de la révolution) s’est produite. Résulte-t-elle du fait que l’énergie des masses est venue se briser contre la barrière des conditions historiques qui n’avaient pas atteint une maturité suffisante, ou bien est-elle imputable aux demi-mesures, à l’irrésolution, à la faiblesse interne qui ont paralysé l’action révolutionnaire ? (…) Comment juger la défaite de ce qu’on appelle la “semaine spartakiste” ? Provient-elle de l’impétuosité de l’énergie révolutionnaire et de l’insuffisante maturité de la situation, ou de la faiblesse de l’action menée ? De l’une et de l’autre ! Le double caractère de cette crise, la contradiction entre la manifestation vigoureuse, résolue, offensive des masses berlinoises, et l’irrésolution, les hésitations, les atermoiements de la direction, telles sont les caractéristiques de ce dernier épisode. La direction a été défaillante. Mais on peut et on doit instaurer une direction nouvelle, une direction qui émane des masses et que les masses choisissent. Les masses constituent l’élément décisif, le roc sur lequel on bâtira la victoire finale de la révolution ». [37] Ces lignes de R. Luxemburg, apparemment en continuité avec les positions qu’on lui associe habituellement, sont en réalité marquées par une très grande ambiguïté : les masses sont l’élément décisif, bien sûr, et en plus elles sont innocentées vis-à-vis de l’échec de la révolution. Mais ce même échec, imputé à une direction défaillante, suggère que l’action d’une direction a un poids sur le plan de l’organisation et de l’orientation qu’on ne saurait réduire à une simple fonction d’« éveil » de la conscience critique, ou de porte-parole d’une volonté et d’une capacité politiques caractérisant d’emblée les masses : la volonté et la capacité politiques ne sont pas spontanées chez les masses ; celles-ci peuvent les exhiber uniquement à partir de l’action structurée et structurante d’une organisation quelconque : ce que l’on appelle « spontanéité » révolutionnaire des masses est en effet le résultat d’une pratique politique qui, tout en s’inscrivant dans la réalité immédiate des ouvriers et des classes populaires, n’en constitue pas un développement « naturel ». Afin que les masses puissent réellement se constituer en instance politique en se donnant une forme d’existence politique en mesure de durer face au pouvoir d’État et à l’emprise des appareils politiques et syndicaux, il faut qu’un agencement de pratiques politiques se forme – des pratiques que le devenir social et historique ne produit nullement avec la nécessité d’une loi naturelle (classique). Si la défaite est imputable à une direction défaillante, cela signifie qu’une direction politique est essentielle à la révolution. Mais alors l’orientation politique axée sur l’hypothèse communiste et ses conditions de réalisations risquent de se trouver irrémédiablement dissociées. D’où l’intérêt d’un éloge paradoxal de R. Luxemburg que prononcera G. Lukács en 1921, lorsque le philosophe, dirigeant de la gauche communiste internationale, essayera d’articuler luxemburgisme et léninisme : « Rosa Luxemburg n’était pas seulement un martyr de la révolution prolétarienne ; toute sa vie était un grand combat pour que le prolétariat devienne révolutionnaire, pour que la juste prise de conscience de la situation de la lutte de classe, obscurcie consciemment ou inconsciemment aux yeux de la classe ouvrière par les opportunistes sociaux-démocrates, soit introduite dans la conscience du prolétariat : pour que la conscience de classe ainsi développée se transforme en action révolutionnaire ». [38] Lukács envisage la pratique politique comme une lutte entre des lignes opposées dont le prolétariat est à la fois le terrain et l’enjeu : « Les opportunistes, en mettant au premier rang leurs propres intérêts myopes et trompeurs, ont empoisonné durant des décades les réflexions et les sentiments de la classe ouvrière. Ils l’ont habituée à ne pas regarder les événements du point de vue des intérêts de classe généraux du prolétariat, mais que chacun se soucie tout d’abord de ses intérêts personnels, i. e. ceux qui touchent au métier ou à l’usine dans un sens restreint ». [39] Lukács touche ici au caractère structurellement divisé du prolétariat : porteur d’une stratégie révolutionnaire et intégré aux programmes réformistes ; sujet de l’action politique et titulaire d’intérêts économiques particulier ; foyer d’antagonisme systémique et composante des rapports de production capitalistes – ces antinomies accompagneront une grande partie de l’histoire postérieure du marxisme, au moins jusqu’à l’opéraïsme italien. Chez Lukács, lesdites antinomies se concentrent dans une formule frappante : le « vrai sens du marxisme » consisterait à travailler « pour la révolutionnarisation du prolétariat  » [40], à mener une action pour réduire cette division du prolétariat d’avec soi-même et le ramener à l’identité accomplie de perspective politique et réalité sociale. En même temps, Lukács prend soin d’affirmer que le véritable sujet de la politique d’émancipation est la classe ouvrière elle-même – sa critique du primat social-démocrate de l’organisation, du Parti, pourrait valoir également pour le léninisme orthodoxe : « Selon la conception ancienne de la social-démocratie, l’organisation est une prémisse de la révolution : on peut penser à la révolution seulement quand la classe ouvrière est déjà organisée de telle manière qu’elle peut l’accomplir avec succès (…). Rosa Luxembourg rompt avant tout avec le concept strict et mécanique de la grève générale, selon lequel elle est une action momentanée, bien préparée et putschiste, pour la prise volontaire du pouvoir politique, ou pour atteindre un autre but politique quelconque. Elle démontre que la grève générale est un processus. La grève n’est pas un moyen de la révolution, mais elle est la révolution elle-même. Elle n’est pas la simple utilisation du pouvoir économique de la classe ouvrière pour acquérir certains buts politiques mais la grève générale est l’unité inséparable de la lutte économique et politique (…). Par conséquent, l’organisation n’est pas une prémisse (une condition) mais elle est la conséquence de la grève générale, donc de la révolution. Le mot d’ordre du Manifeste communiste selon lequel le prolétariat s’organise en classe par la révolution a été clairement confirmé par la révolution russe ». [41] Par cette critique radicale du primat politique d’un appareil organisationnel séparé, Lukács anticipe des tendances et des problématiques qui referont surface tout au long de l’histoire qui va suivre (dans les Quaderni Rossi et les théories opéraïstes en Italie, par exemple, ou bien chez le théoricien du mouvement étudiant allemand, Hans-Jürgen Krahl) : la révolution communiste est un acte des masses exploitées, qui présuppose leur capacité d’inventer et déployer des formes novatrices d’organisation politique, et cet acte implique nécessairement le dépassement de tout clivage entre le déroulement spontané des intérêts sociaux et la dimension stratégique de l’initiative politique. Les masses, ou la classe, ne peuvent pas se donner une organisation politique sans nier, par une action en première personne, leur propre cantonnement à la légalité des données sociologiques – et pourtant, la spontanéité de ces données ne permet pas (au moins prima facie) d’y trouver des principes d’orientation susceptibles de se prolonger en action politique : d’où l’exigence de révolutionnariser les masses, tout en affirmant que la révolution ne peut être accomplie que par leur initiative. La compréhension parfaite de la part de Lukács des enjeux théoriques et politiques ne se traduit pas, chez lui (et, il faut le dire, nulle part ailleurs), en résolution de l’aporie létale – la dissociation entre l’hypothèse et ses assises sociales n’est pas réabsorbée.

Cavazzini Andrea

Rampazzo Bazzan Marco

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3 juillet 2011 7 03 /07 /juillet /2011 17:39

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Une réflexion sur l'histoire du mouvement communiste et socialiste (1917-1921). Rosa Luxemburg ...

Notes

[1] Nous suivons A. Badiou en affirmant que cette fusion a eu lieu sous la condition de ce qu’il appelle « l’hypothèse communiste » – donc, le MCS est définissable comme le lieu où, à l’époque moderne, des pratiques théoriques et politiques ont été déployées ayant en vue les conditions de réalisation de cette hypothèse.

[2] Ce qui veut dire aussi : cette contradiction n’est pas une simple question d’idées qui parviendraient à « déterminer l’être ». Il s’agit ici de la mise en place d’une multiplicité d’appareils porteurs d’une logique structurale et de formes de subjectivité correspondantes. On ne peut pas (trop facilement) se subjectiver de façon cohérente avec une prise du pouvoir étatique qui opérerait le dépérissement de ce même pouvoir.

[3] K. Kautsky, Demokratie oder Diktatur, Berlin, Paul Cassirer, 1918, HTML-Markierung und Transkription : J.L. Wilm für das Marxists Internet Archive, URL : http://www.marxists.org/deutsch/archiv/. 

[4] Ce lien entre la fétichisation de l’appareil parlementaire-étatique (et donc de l’appareil du parti qui est un sous-ensemble du premier) et une forme de pseudo-hégélianisme caricatural est au cœur de la problématique du Parti-conscience, dépositaire et aboutissement à la fois de la « mission historique » que la marche de l’histoire confie au prolétariat. Une analyse déjà ancienne (1979) menée par E. Balibar établissait un lien entre ces idéologèmes canonisés par Kautsky, la construction d’un pouvoir d’appareil, et les thèses du Manifeste  : « Ainsi le Manifeste du parti communiste (…) par quoi échappe-t-il au positivisme d’une simple description et d’une simple critique de l’utopisme des organisations ouvrières des années 1840, sinon en les inscrivant dans un processus d’histoire universelle ? et en allant jusqu’à en faire implicitement les germes présents d’un avenir inéluctable, bref en développant une téléologie du parti : “Les communistes ne forment pas un parti distinct opposé aux autres partis ouvriers (…). Ils n’établissent pas de principes particuliers sur lesquels ils voudraient modeler le mouvement ouvrier (…). Dans les différentes phases que traverse la lutte entre prolétaires et bourgeois, ils représentent toujours les intérêts du mouvement dans sa totalité (…). Théoriquement, ils ont sur le reste du prolétariat l’avantage d’une intelligence claire des conditions, de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien” (…). On ne saurait, aujourd’hui, réexaminer ces textes sans tenir compte que la tendance téléologique qu’ils comportent – et dont il faudra découvrir les causes dans les conditions initiales de la fusion du mouvement ouvrier et de la théorie marxiste – a directement facilité la constitution d’une conception apologétique du parti, qui a régné dans la IIe et la IIIe Internationale (…). C’est précisément pour avoir systématiquement exposé et inculqué cette conception que Kautsky est apparu (…) comme le marxiste orthodoxe par excellence. On se reportera ici notamment à la brochure sur Les Trois Sources du marxisme (1908) (…) : le parti politique, dont la social-démocratie allemande représentait le modèle, se présente comme la forme supérieure d’une ligne d’évolution qui conduit des organisations les plus “spontanées” (coopératives, associations de secours mutuel et d’éducation ouvrière) à la “conscience de classe” organisée (syndicats, parti). Or, cette forme supérieure est, comme telle, historiquement définitive (…) parce que, selon Kautsky, elle résout toutes les contradictions en son sein. Elle est définie comme “fusion” (le terme apparaît ici) ou “synthèse” universelle : 1) synthèse des sciences naturelles [Naturwissenschaften] et morales [Geisteswissenschaften] dans sa théorie ; 2) synthèse des acquisitions divergentes de la culture moderne (pensée économique anglaise, pensée politique française, pensée philosophique allemande…) ; 3) synthèse du mouvement ouvrier (spontané) et du socialisme ; 4) synthèse de la théorie et de la pratique en général. (…) Et s’il est vrai que les partis communistes se fondèrent, au lendemain de la “faillite de la IIe Internationale” et de la révolution d’Octobre, sur la rupture avec la stratégie politique parlementariste de la social-démocratie, ils n’en conservèrent pas moins au niveau théorique l’essentiel de ce modèle téléologique du “parti de la classe ouvrière” » (E. Balibar, « État, Parti, Ideologie », dans E. Balibar, C. Luporini, A. Tosel, Marx et sa critique de la politique, Paris, Maspéro, 1979, p. 110-112). Les problèmes que l’analyse de Balibar soulève mériteraient d’ailleurs une discussion approfondie. Selon les conclusions que Balibar tire de ses analyses, Marx aurait été incapable de produire le concept de « parti révolutionnaire » en tant que porteur d’une « fonction d’analyse collective de sa propre situation, des contradictions et de la “composition politique” du prolétariat. Seul le développement d’une telle conception pourrait finalement permettre de rompre définitivement avec la thèse du “parti-conscience”, faire du parti non pas la forme sous laquelle la classe ouvrière devient consciente de sa mission historique, mais la forme sous laquelle elle prend conscience de sa place objective dans les rapports sociaux d’une conjoncture donnée » (ibid., p. 153). Or, les apories concernant la fonction du parti pour Marx relèvent de la duplicité des « leçons de la Commune » : celle-ci a fourni, d’un côté, le paradigme d’une forme « de “gouvernement de la classe ouvrière” sans parti organisé, a fortiori sans parti dirigeant, ce qui fait à la fois sa faiblesse et sa portée historique (“autogouvernement” de la classe ouvrière dans ses organisations de masse) » (ibid., p. 151-152). Il s’agit très exactement du problème que l’on cherche ici à reconstruire et à formuler. Il faut pourtant remarquer que toute tentative de « laïciser » la forme-parti II- et III-internationaliste, de la ramener à la finitude d’un simple outil de coordination et d’« analyse collective » (étrange syntagme dont les implications resteraient à explorer…), ont échoué, conduisant à des affrontements entre les partis traditionnels et les nouvelles formes politiques surgies au-delà de leurs confins et souvent en opposition à leur primat. L’échec de toute tentative d’auto-réforme de ces organisations politiques devrait d’ailleurs inspirer une réouverture du questionnement concernant la forme disciplinaire d’une politique d’émancipation possible. Une seule certitude reste : la problématique léninienne n’est pas facile à exorciser ou à dépasser par un recours trop rapide à la « spontanéité » ou à l’« horizontalité » des mouvements.

[5] Appel de la fraction sociale-démocrate « majoritaire » dans leur journal, le Vorwärts, du 17 octobre 1918 (recueilli dans G. Badia, Les Spartakistes, Paris, Julliard, collection Archives, 1966, rééd. Paris, Aden Editions, 2008, p. 37). À ce livre nous renvoyons pour l’encadrement historique, chronologique et événementiel. Les Majoritaires constituaient l’aile droite de la social-démocratie allemande, opérant pour une évolution ouvertement gouvernementale de celle-ci, et qui parviendra à dominer seule le parti : parmi leurs membres, ils comptent Ebert, le futur chancelier, Ph. Scheidemann, et Gustav Noske, l’organisateur de la répression qui déchaînera les Freikorps contre les insurgés ; les Indépendants – nés en 1917 d’une scission-expulsion à cause de l’opposition (tardive) aux crédits de guerre – sont des centristes : socialistes plus proches des idées et des pratiques du XIXe que du XXe siècle, ils oscilleront entre un appui timide à la stratégie étatique et nationaliste des Majoritaires (ils voteront les crédits en 1914, et ne commenceront à s’abstenir ou à voter contre qu’au cours de la guerre) et une fidélité encore plus timide aux idéaux socialistes incarnés par les Spartakistes. En vérité, ils ne parviendront à accepter ni l’étatisme ouvert et la brutalité des sociaux-démocrates devenus « parti de l’ordre », ni la pratique révolutionnaires de Spartacus. Ils finiront par se diviser, et on les trouvera à côté tant du gouvernement que de la révolution. D’abord, Liebknecht, R. Luxemburg et Cl. Zetkin – leaders du mouvement spartakiste né en 1916 pour s’opposer à la guerre et au nationalisme des majoritaires – feront partie des Indépendants. Le parti communiste allemand – KPD Spartakusbund – sera fondé le premier janvier 1919 à partir de l’éclatement des Indépendants.

[6] G. Badia, Les Spartakistes, op. cit. p. 39-40.

[7] Ibid., p. 106.

[8] Ibid., p. 106-107.

[9] Ibid., p. 104-105.

[10] Ibid., p. 15.

[11] Ibid., p. 107.

[12] K. Kautsky, Demokratie oder Diktatur (URL : http://www.marxists.org/). Ce point de vue sera repris par Gerhard Leibholz quelques années plus tard dans sa Thèse en philosophie sur Fichte et la pensée démocratique (1921), en partie seulement dans celle en droit, L’égalité devant la loi (1925), et plus tard encore dans un article sur La nature et les formes de la démocratie (1936).

[13] K. Kautsky, Demokratie oder Diktatur, op. cit.

[14] Ibid.

[15] G. Badia, Les Spartakistes, op. cit., p. 115.

[16] Ibid., p. 101.

[17] R. Luxemburg, Contre la guerre par la révolution. Lettres de Spartacus et tracts, Paris, Editions de la Tête des Feuilles, collection Cahiers de Spartacus, 1972, p. 25.

[18] Ibid., p. 26.

[19] Ibid., p. 27-28.

[20] Ibid., p. 152-153.

[21] Ibid., p. 25-26.

[22] Voir pour les détails A. Badiou, Logiques des mondes, Seuil, Paris, 2006.

[23] R. Luxemburg, Contre la guerre par la révolution. Lettres de Spartacus et tracts, op. cit., p. 161-162.

[24] Ibid., p. 162.

[25] Ibid., p. 169-170.

[26] G. Badia, Les Spartakistes, op. cit., p. 24. Dans la détestation des bolcheviks et de la Russie par les sociaux-démocrates, on peut reconnaître un mixte de mythe du progrès (la Russie serait le pays de l’arriération économique et civile) et de chauvinisme impérialiste germanique, les visées d’expansion territoriales à Est du Reich allemand s’étant depuis toujours représentées elles-mêmes comme légitimées par le rôle de dernier rempart que l’Allemagne aurait joué vis-à-vis de la barbarie despotique des hordes asiatiques. On sait que ces thèmes idéologiques étaient promis à un bel avenir chez les nazis.

[27] Ibid.

[28] Ibid.

[29] Ibid., p. 25.

[30] Ibid., p. 32.

[31] Ibid., p. 35-36.

[32] Ibid., p. 82-83.

[33] Ibid., p. 182-183.

[34] Ibid., p. 185.

[35] Ibid., p. 186.

[36] Ibid., p. 189.

[37] R. Luxemburg, « L’ordre règne à Berlin », dans G. Badia, Les Spartakistes, op. cit., p. 263.

[38] G. Lukács, « Préface à Grève de masses de R. Luxemburg », dans Michael Löwy, Pour une sociologie des intellectuels révolutionnaires, Paris, PUF, 1976, p. 313.

[39] Ibid., p. 314.

[40] Ibid.

[41] Ibid., p. 317-318. Ces positions se prolongent dans une critique explicite du primat « théiste » et démiurgique du parti (dans un jargon heideggerien : de la vision de la politique comme mise-à-disposition d’un matériau manipulable par et pour une volonté de puissance auto-centrée) : « Rosa Luxemburg refuse la prise de position selon laquelle le rôle du parti est de “faire” la révolution et qui est la même chez les opportunistes et chez les putschistes (…) elle (…) a mis à sa juste place le vrai rôle du parti dans la révolution : la direction des mouvements de masses spontanément développés  » (Ibid.). Il serait tout à fait injuste d’insister sur l’aveu d’impuissance constitué par ce court-circuit entre direction et spontanéité. Il vaudrait mieux remarquer que Lukács a poussé sa critique du paradigme « léniniste » jusqu’à mettre en cause son idée du temps de l’action politique, son catastrophisme centré sur le schème de la bataille décisive, donc sa conception de la révolution comme un événement ponctuel, coïncidant en dernière instance avec la prise du pouvoir : « La révolution prolétarienne ne peut pas se terminer avec la prise du pouvoir d’Etat, momentanée et réussie, mais elle est un processus long, et douloureux, plein de hauts et de bas » (Ibidem). Mao utilisera un schème temporel semblable, en y ajoutant la prise d’acte que la durée de ce processus est toujours habitée par la résurgence du pouvoir d’une classe sur les autres – conséquence somme toute analytique du fait que la prise du pouvoir ne règle jamais les questions décisives : le dépérissement de l’Etat et le dépassement de l’exploitation.

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4 février 2011 5 04 /02 /février /2011 17:14

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 Réforme sociale ou révolution ?, 1899


L'idée est celle-ci : on suppose que le régime capitaliste fera naître de lui-même, à partir de ses propres contradictions internes, le moment où son équilibre sera rompu et où il deviendra proprement impossible. Que l'on ait imaginé ce moment sous la forme d'une crise commerciale générale et catastrophique, on avait de bonnes raisons de le faire, mais c'est finalement un détail accessoire pour l'idée fondamentale elle-même. En effet, le socialisme scientifique s'appuie, on le sait, sur trois données du capitalisme : 1° sur l'anarchie croissante de l'économie capitaliste qui en entraînera fatalement l'effondrement ; 2° sur la socialisation croissante du processus de production qui créé les premiers fondements positifs de l'ordre social à venir ; 3° enfin sur l'organisation et la conscience de classe croissantes du prolétariat qui constituent l'élément actif de la révolution imminente.

  • Oeuvres I (1899), Rosa Luxemburg (trad. Irène Petit), éd. Maspero, coll. petite collection Maspero, 1969 (ISBN 2-7071-0264-4), partie Réforme sociale ou révolution, chap. 1. La méthode opportuniste, p. 19

 Grève de masse, parti et syndicats, 1906

Dans l'espace immatériel de l'analyse logique abstraite, on peut prouver avec la même rigueur aussi bien l'impossibilité absolue, la défaite certaine de la grève de masse, que sa possibilité absolue et sa victoire assurée. Aussi la valeur de la démonstration est-elle dans les deux cas la même, je veux dire nulle. C'est pourquoi craindre la propagande pour la grève de masse, prétendre excommunier formellement les coupables de ce crime, c'est être victime d'un malentendu absurde. Il est tout aussi impossible de "propager" la grève de masse comme moyen abstrait de lutte qu'il est impossible de "propager" la révolution. La "révolution" et la "grève de masse" sont des concepts qui ne sont eux-mêmes que la forme extérieure de la lutte des classes et ils n'ont de sens et de contenu que par rapport à des situations politiques bien déterminées.

  • Oeuvres I (1906), Rosa Luxemburg (trad. Irène Petit), éd. Maspero, coll. petite collection Maspero, 1969 (ISBN 2-7071-0264-4), partie Grève de masse, parti et syndicats, chap. 2., p. 100

Introduction à l'économie politique

Le niveau de vie de tout homme et de toute classe ne peut être jugé correctement que si on l'apprécie par rapport à la situation de l'époque donnée et des autres couches de la même société.

  • Introduction à l'économie politique (1916), Rosa Luxemburg, éd. Agone/Smolny, 2009 (ISBN 978-2-7489-0113-9), partie Le travail salarié, chap. 5, p. 364

Sur la révolution russe, 1917-1918

En ce moment, la Russie confirme une fois de plus cette vieille expérience historique : il n'est rien de plus invraisemblable, de plus impossible, de plus fantaisiste qu'une révolution une heure avant qu'elle n'éclate ; il n'est rien de plus simple, de plus naturel et de plus évident qu'une révolution lorsqu'elle a livré sa première bataille et remporté sa première victoire.

  • publié sous le pseudonyme de Gracchus dans Der Kampf, le 7 avril 1917
  • Oeuvres II (écrits politiques 1917-1918), Rosa Luxemburg (trad. Claudie Weill), éd. Maspero, coll. petite collection maspero, 1969 (ISBN 2-7071-0263-6), chap. 3 Problèmes russes, p. 24

La paix générale ne saurait être atteinte sans le renversement de la puissance dirigeante en Allemagne. Seul le flambeau de la révolution, seule la lutte de masse ouverte pour le pouvoir politique, pour la domination du peuple et la république en Allemagne permettra d'empêcher le retour de flamme du génocide et le triomphe des annexionnistes allemands à l'Est et à l'Ouest. Les ouvriers allemands sont appelés maintenant à porter d'Est en Ouest le message de la révolution et de la paix. Faire la fine bouche ne sert à rien, il faut y aller.

  • publié dans Spartakusbriefe, n°8, janvier 1918
  • Oeuvres II (écrits politiques 1917-1918), Rosa Luxemburg (trad. Claudie Weill), éd. Maspero, coll. petite collection maspero, 1969 (ISBN 2-7071-0263-6), chap. 6 La responsabilité historique, p. 45

Établir une dictature prolétarienne et accomplir un bouleversement socialiste dans un seul pays, encerclé par l'hégémonie sclérosée de la réaction impérialiste et assailli par une guerre mondiale, la plus sanglante de l'histoire humaine, c'est la quadrature du cercle. Tout parti socialiste était condamné à échouer devant cette tâche et à périr, qu'il soit guidé, dans sa politique par la volonté de vaincre et la foi dans le socialisme international, ou par le renoncement à soi-même.

  • « La tragédie russe », Rosa Luxembourg, Spartakusbriefe, nº 11, septembre 1918,, p. pp. 181-186

Les bolcheviks ont certainement commis plus d'une faute dans leur politique et en commettent sans doute encore - qu'on nous cite une révolution où aucune faute n'ait été commise ! L'idée d'une politique révolutionnaire sans faille, et surtout dans cette situation sans précédent, est si absurde qu'elle est tout juste digne d'un maître d'école allemand. Si, dans une situation exceptionnelle, un simple vote au Reichstag fait déjà perdre la "tête" aux "chefs" du socialisme allemand, alors que la voie leur est clairement tracée par l'abc du socialisme, si alors leur coeur bat la chamade et s'ils y perdent tout leur socialisme comme une leçon mal apprise - comment veut-on qu'un parti placé dans une situation historique véritablement épineuse et inédite, où il veut tracer de nouvelles voies pour le monde entier, comment veut-on qu'il ne commette pas de faute ?

  • publié dans Spartakusbriefe n°11, septembre 1918
  • Oeuvres II (écrits politiques 1917-1918), Rosa Luxemburg (trad. Claudie Weill), éd. Maspero, coll. petite collection maspero, 1969 (ISBN 2-7071-0263-6), chap. 7 La tragédie russe, p. 52

Mais si l'on étouffe la vie politique dans tout le pays, la paralysie gagne obligatoirement la vie dans les soviets. Sans élections générales, sans une liberté de presse et de réunion illimitée, sans une lutte d’opinion libre, la vie s’étiole dans toutes les institutions publiques, végète, et la bureaucratie demeure le seul élément actif. [...] Lénine-Trotski se prononcent en revanche pour la dictature en opposition à la démocratie, et ainsi pour la dictature d’une poignée de gens, c’est-à-dire une dictature sur le modèle bourgeois.

  • écrit en septembre 1918
  • Oeuvres II (écrits politiques 1917-1918), Rosa Luxemburg (trad. Claudie Weill), éd. Maspero, coll. petite collection maspero, 1969 (ISBN 2-7071-0263-6), chap. 8 La révolution russe, p. 85 et 87
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11 janvier 2011 2 11 /01 /janvier /2011 12:53

comprendre-avec-rosa-luxemburg.over-blog.com

 

Tous se réclament de Rosa Luxemburg.

Il  y a eu Hannah Arendt qui cherchait à la rattacher à son origine juive, elle qui y a si peu, voire pas, fait référence, qui ne se reconnaissait pas dans le Bund et qui ne répondait jamais aux caricatures antisémites pourtant si violentes.

Il y a eu ceux qui la rattachaient au spontanéisme, alors que l'organisation politique joue un si grand rôle dans sa pratique.

Il  y a les courants trotskystes qui peuvent s'appuyer sur ses capacités d'analyses.

Il y a ceux qui veulent voir avant tout la femme, la Rosa Luxemburg humaniste et sensible en la coupant de sa volonté et action politique, comme si les deux ne faisaient pas qu'une.

Il y a la Fondation Rosa Luxemburg si social-démocrate et si peu révolutionnaire.l

I y a aujourd'hui tous ceux qui s'affirment révolutionnaires et cherchent à se démarquer de la social-démocratie. Et qui oublient ce qui est le fondement de l'histoire de Rosa Luxemburg, et qui aboutit à son assassinat en même temps que celui de la révolution spartakiste.

On peut être toute une vie révolutionnaire dans les mots, mais social-démocrate dans sa pensée et dans ses actes et donc favoriser tout le temps ce qui freinera la volonté révolutionnaire et trahira, assassinera le moment venu, la révolution.

N'est-ce pas ce que nous apprend l'histoire de la Seconde Internationale, août 14 comme aboutissement de cette contradiction fondamentale entre social-démocratie et révolution, Réforme et Révolution.

N'est-ce pas ce que doit avant tout nous apprendre l'assassinat de Rosa Luxemburg, de Liebknecht, de Leo Jogiches, de la révolution spartakiste?


9 janvier 2011 : Cérémonie de commémoration de l’assassinat de Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht en présence de Pierre Laurent, Oskar Lafontaine et Jean Luc Mélenchon
mardi 11 janvier 2011.
 
5) Photo de la commémoration

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Grève de masse. Rosa Luxemburg

La grève de masse telle que nous la montre la révolution russe est un phénomène si mouvant qu'il reflète en lui toutes les phases de la lutte politique et économique, tous les stades et tous les moments de la révolution. Son champ d'application, sa force d'action, les facteurs de son déclenchement, se transforment continuellement. Elle ouvre soudain à la révolution de vastes perspectives nouvelles au moment où celle-ci semblait engagée dans une impasse. Et elle refuse de fonctionner au moment où l'on croit pouvoir compter sur elle en toute sécurité. Tantôt la vague du mouvement envahit tout l'Empire, tantôt elle se divise en un réseau infini de minces ruisseaux; tantôt elle jaillit du sol comme une source vive, tantôt elle se perd dans la terre. Grèves économiques et politiques, grèves de masse et grèves partielles, grèves de démonstration ou de combat, grèves générales touchant des secteurs particuliers ou des villes entières, luttes revendicatives pacifiques ou batailles de rue, combats de barricades - toutes ces formes de lutte se croisent ou se côtoient, se traversent ou débordent l'une sur l'autre c'est un océan de phénomènes éternellement nouveaux et fluctuants. Et la loi du mouvement de ces phénomènes apparaît clairement elle ne réside pas dans la grève de masse elle-même, dans ses particularités techniques, mais dans le rapport des forces politiques et sociales de la révolution. La grève de masse est simplement la forme prise par la lutte révolutionnaire et tout décalage dans le rapport des forces aux prises, dans le développement du Parti et la division des classes, dans la position de la contre-révolution, tout cela influe immédiatement sur l'action de la grève par mille chemins invisibles et incontrôlables. Cependant l'action de la grève elle-même ne s'arrête pratiquement pas un seul instant. Elle ne fait que revêtir d'autres formes, que modifier son extension, ses effets. Elle est la pulsation vivante de la révolution et en même temps son moteur le plus puissant. En un mot la grève de masse, comme la révolution russe nous en offre le modèle, n'est pas un moyen ingénieux inventé pour renforcer l'effet de la lutte prolétarienne, mais elle est le mouvement même de la masse prolétarienne, la force de manifestation de la lutte prolétarienne au cours de la révolution. A partir de là on peut déduire quelques points de vue généraux qui permettront de juger le problème de la grève de masse..."

 
Publié le 20 février 2009