La révolution éclate en Russie. Elle commence par des grandes grèves décidées par le prolétariat. En Allemagne aussi, la grève s'étend, en particulier dans la Ruhr. Cela enflamme la discussion sur la grève de masse au sein du parti social-démocrate d'Allemagne. Rosa Luxemburg intervient dans le débat, et aussi Karl Liebknecht. Leur proximité apparaît dès cette époque bien qu'ils ne lutteront ensemble qu'après août 1914. Une résolution présentée par Bebel est acceptée. Ce texte est le deuxième consacré à la grève de masse. Il est inédit en français
1905 La grève de masse – le moyen de lutte spécifique du prolétariat - Intervention au Congrès de Iéna dans la discussion sur la grève de masse.
Protocole du Congrès du Parti social-démocrate d’Allemagne. Iéna du 17 au 23 septembre 1905, Berlin 1905, P. 326 et suivantes. Reproduit dans les "Discours et écrits", tome 1, P 159-161 - Intervention lors de la discussion sur le thème de la grève de masse politique.
Traduction, Dominique Vilillaeys-Poirré, 2 novembre 2021. Merci pour toute amélioration de la traduction.
Les élections de 1903 ont dans une certaine mesure précipité vers la mort le parlementarisme formel. La social-démocratie, dont l’organisation et les campagnes d’agitation en Allemagne se sont depuis toujours essentiellement liées au parlementarisme et aux élections législatives, a de plus en plus dû se rendre à l’évidence que l’espoir, existant malgré tout dans de larges cercles, d’obtenir des résultats significatifs par les succès électoraux, était trompeur. On constate que malgré les succès électoraux importants, tout est resté comme avant. C’est ainsi que s’explique le changement d’atmosphère, que l’on soit devenu plus sensible aux actions extraparlementaires, comme le 1er mai, que l’on recherche de nouveaux moyens d’action extraparlementaires et que la grève générale trouve de plus en plus de partisans. Bien sûr la révolution russe y a aussi contribué et éveillé à nouveau la compréhension face à l’évolution catastrophique de la situation.
Il est complètement inexact de dire que faire la différence entre grève générale et grève de masse serait spécieuse. La première veut se substituer au combat parlementaire, la seconde en premier lieu le rendre possible en lui donnant un fondement solide, mais de plus constituer un moyen de lutte extraparlementaire indépendant pour protéger et gagner des droits essentiels. C’est là une différence fondamentale.
Legien dit que nous devrions dans certaines circonstances d’ailleurs remettre nos armes à l’épaule. Mais nous n’avons pas ces armes ; cependant le prolétariat lui a ses bras et le pouvoir de les utiliser ou de les croiser. Que la grève de masse soit synonyme de révolution n’est pas vrai dans toutes les circonstances, moins encore lorsqu’il s’agit de la défense des droits.
Les camarades Heine et Schmidt ont fait valoir un grand nombre de réticences d’ordre pratique. Mais Legien nous a expliqué : oui c’est vrai, en soi, la grève de masse est certainement possible. Cela devrait faire douter de Schmidt. Les syndicats se rangeront certainement plus, dans ce cadre, derrière Legien que derrière Schmidt. Si la grève est un moyen de lutte approprié pour les combats économiques, il devrait être utilisable dans certains contextes pour des buts politiques. Ce que le prolétariat peut mettre en œuvre pour 5 Pfennig de salaire, il doit pouvoir le faire pour ce qui lui est le plus sacré, ses droits fondamentaux ! Après que la révolution sous la forme de "jacqueries" a disparu, la grève de masse s’est développée organiquement à partir de la position et de la fonction du prolétariat dans l’ordre économique capitaliste, comme le moyen de lutte prolétaire spécifique dans presque tous les domaines de la lutte des classes. C’est la réalisation politique du pouvoir économique de la classe ouvrière.
Certes, comme le souligne Schmidt, nous verrons lors de la grève politique beaucoup de renégats ; mais des milliers de prolétaires qui sont aujourd'hui éloignés de la lutte de classe nous rejoindront avec enthousiasme et volonté de sacrifice ; la lutte pour des buts élevés les emportera.
Heine demande : « Gagnerons-nous?” Il n’y a certes jamais eu de police d’assurance pour les révolutions. Il faudrait d’abord l’inventer. Certes ! Le sang du peuple nous est précieux, mais les idéaux et les droits politiques du peuple ne nous sont pas moins précieux, et nous ne voulons pas nous les laisser voler sans résistance. La responsabilité de l'inaction s'oppose à la responsabilité d'agir. Le droit engendre la tendance au formalisme et rend plus difficiles la pensée et le sentiment révolutionnaires. C’est ainsi que je m’explique des nombreuses réticences de Heine. (Le temps de parole s’est écoulé)