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Assassinat de Rosa Luxemburg. Ne pas oublier!

Le 15 janvier 1919, Rosa Luxemburg a été assassinée. Elle venait de sortir de prison après presque quatre ans de détention dont une grande partie sans jugement parce que l'on savait à quel point son engagement contre la guerre et pour une action et une réflexion révolutionnaires était réel. Elle participait à la révolution spartakiste pour laquelle elle avait publié certains de ses textes les plus lucides et les plus forts. Elle gênait les sociaux-démocrates qui avaient pris le pouvoir après avoir trahi la classe ouvrière, chair à canon d'une guerre impérialiste qu'ils avaient soutenue après avoir prétendu pendant des décennies la combattre. Elle gênait les capitalistes dont elle dénonçait sans relâche l'exploitation et dont elle s'était attachée à démontrer comment leur exploitation fonctionnait. Elle gênait ceux qui étaient prêts à tous les arrangements réformistes et ceux qui craignaient son inlassable combat pour développer une prise de conscience des prolétaires.

Comme elle, d'autres militants furent assassinés, comme Karl Liebknecht et son ami et camarade de toujours Leo Jogiches. Comme eux, la révolution fut assassinée en Allemagne.

Que serait devenu le monde sans ces assassinats, sans cet écrasement de la révolution. Le fascisme aurait-il pu se dévélopper aussi facilement?

Une chose est sûr cependant, l'assassinat de Rosa Luxemburg n'est pas un acte isolé, spontané de troupes militaires comme cela est souvent présenté. Les assassinats ont été systématiquement planifiés et ils font partie, comme la guerre menée à la révolution, d'une volonté d'éliminer des penseurs révolutionnaires, conscients et déterminés, mettant en accord leurs idées et leurs actes, la théorie et la pratique, pour un but final, jamais oublié: la révolution.

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Avec Rosa Luxemburg.

1910.jpgPourquoi un blog "Comprendre avec Rosa Luxemburg"? Pourquoi Rosa Luxemburg  peut-elle aujourd'hui encore accompagner nos réflexions et nos luttes? Deux dates. 1893, elle a 23 ans et déjà, elle crée avec des camarades en exil un parti social-démocrate polonais, dont l'objet est de lutter contre le nationalisme alors même que le territoire polonais était partagé entre les trois empires, allemand, austro-hongrois et russe. Déjà, elle abordait la question nationale sur des bases marxistes, privilégiant la lutte de classes face à la lutte nationale. 1914, alors que l'ensemble du mouvement ouvrier s'associe à la boucherie du premier conflit mondial, elle sera des rares responsables politiques qui s'opposeront à la guerre en restant ferme sur les notions de classe. Ainsi, Rosa Luxemburg, c'est toute une vie fondée sur cette compréhension communiste, marxiste qui lui permettra d'éviter tous les pièges dans lesquels tant d'autres tomberont. C'est en cela qu'elle est et qu'elle reste l'un des principaux penseurs et qu'elle peut aujourd'hui nous accompagner dans nos analyses et nos combats.
 
Voir aussi : http://comprendreavecrosaluxemburg2.wp-hebergement.fr/
 
20 mai 2020 3 20 /05 /mai /2020 16:01
Galenao - Rosa Luxemburg - Le soulier

Le soulier – (janvier 15)

En 1919, Rosa Luxembourg, la révolutionnaire, a été assassinée à Berlin. Ses assassins l’ont matraquée à coups de fusil et l’ont jetée dans les eaux d’un canal. En chemin, elle a perdu un soulier. Une main l’a ramassé, ce soulier est tombé dans la boue. Rosa aspirait à un monde où la justice ne pouvait pas être sacrifiée au nom de la liberté ni la liberté sacrifiée au nom de la justice. Chaque jour, une main reprend cette bannière. Jetée dans la boue, comme le soulier.

Extrait de : Des femmes qui ont refusé de se taire et d’être oubliées par Eduardo Galeano

Des femmes qui ont refusé de se taire et d’être oubliées par Eduardo Galeano - 24 nov. 2016 Par Blog : Le blog de l'association Galeano Hommage à ces femmes courageuses qui ont pris en main leur destin et affirmé leurs convictions.

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1 mai 2020 5 01 /05 /mai /2020 12:00

“Le 1er mai est un élément historique et vivant du combat international des prolétaires et reflète de ce fait fidèlement tous les moments de ce combat depuis près de 20 ans. Vu de l’extérieur, c’est la répétition monotone des mêmes discours et articles, des même revendications et résolutions. C’est pourquoi, ceux dont le regard ne reste qu’à la surface figée des choses et ne perçoivent pas le devenir imperceptible interne des situations, pensent que le 1er mai a perdu son sens du fait de cette répétition, qu’il est pratiquement devenu “une manifestation vide de sens”. C’est seulement derrière cette apparence extérieurement semblable que bat le pouls divers du combat prolétaire, le 1er mai vit avec le mouvement ouvrier et change en fonction de lui, reflète dans ses propres contenus, sa propre atmosphère, ses propres tensions, les situations changeantes du combat de classe.”

Rosa Luxemburg, 1907

Rosa Luxemburg. “Le 1er mai est un élément historique et vivant du combat international des prolétaires et reflète de ce fait fidèlement tous les moments de ce combat ..."

Article paru dans le journal animé par Clara Zetkin

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30 avril 2020 4 30 /04 /avril /2020 23:04
Un document rare. Portrait de Hans Diefenbach peint par Rosa Luxemburg en 1911.

Les notations concernant les arts et plus particulièrement la peinture sont très nombreuses dans la correspondance de Rosa Luxemburg. Elle-même aimait peindre. "Entre 1906 et 1913, elle peint une série de portraits et deux autoportraits." Le blog a publié de très belles aquarelles. Hans Diefenbach est une personne majeure de la vie de Rosa Luxemburg. Il y a de nombreuses lettres à lui adressées ou qui parlent de lui, jusqu'à cette dernière lettre écrite après sa mort - si symbolique - durant le conflit que tous deux combattaient.

 

 

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30 avril 2020 4 30 /04 /avril /2020 19:36
Stadtarchiv Solingen, Bergische Arbeiterstimme 22. Juli 1915

Stadtarchiv Solingen, Bergische Arbeiterstimme 22. Juli 1915

A propos de la procédure contre la camarade Rosa Luxemburg

On le sait, la camarade Rosa Luxemburg a été emmenée à la prison pour femmes de la Barnimstrasse dans le" fourgon vert" habituellement utilisé pour les criminels de droit commun afin d'y purger sa peine. En réponse au recours présenté par son avocat, Me Siegfried Weinberg, le Ministre de l'Intérieur a répondu par la confirmation de cette procédure.

En outre, nous apprenons qu'une nouvelle procédure est engagée à Düsseldorf contre la camarade Luxemburg, de même contre la camarade Zetkin, le camarade Mehring et les camarades Berten et Pfeiffer pour des articles publiés dans le mensuel  "l'Internationale".

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Informationen zum Verfahren gegen Rosa Luxemburg

Zum Verfahren gegen die Genossin Luxemburg.   

Bekanntlich ist die Genossin Dr. Rosa Luxemburg in dem sonst nur für gemeine Verbrecher bestimmten „grünen Wagen“ in das Frauengefängnis in der Barnimstraße zur Verbüßung ihrer politischen Strafe transportiert worden. Auf die von dem Rechtsbeistand unserer Genossin, dem Genossen Dr. Siegfried Weinberg, eingelegte weitere Beschwerde hat nunmehr auch der Minister de Innern dieses Verfahren gebilligt.    Wie wir hören, ist übrigens gegen die Genossin Luxemburg sowie gegen die Genossin Zetkin, den Genossen Mehring und die Genossen Berten und Pfeiffer in Düsseldorf ein neues Verfahren anhängig gemacht, das sich auf die in der Monatsschrift „Die Internationale“ veröffentlichten Aufsätze stützt.

Veröffentlicht am 22/07/2015 von Stadtarchiv Solingen https://archivewk1.hypotheses.org/tag/spd/page/12 Stadtarchiv Solingen, Bergische Arbeiterstimme 22. Juli 1915

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30 avril 2020 4 30 /04 /avril /2020 16:06
Photo Uraz Aydın

Photo Uraz Aydın

ACTUALITÉ DU MARXISME - UN SEUL MARXISME – 5 - Contretemps

 

http://www.contretemps.eu/wp-content/uploads/CT-Pages-128-139.pdf CT Pages 128/139 01/01/70 01:58 Page128

 

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Contre le révisionnisme

 

La Pologne lui étant interdite, elle passa de Suisse en France. À en juger par sa correspondance avec Leo Jogiches, elle ne semble pas y avoir eu de contacts très serrés, ni avec Jules Guesde ni avec Paul Lafargue (notant la platitude d’un discours de ce dernier, et reprochant aux deux de ne pas se soucier de modifier le programme du parti français). Le seul dirigeant français avec lequel elle évoque une rencontre – et c’est au congrès de Londres de l’Internationale, en juillet 1896 –, c’est Vaillant, duquel elle obtint seulement que ne soit pas plus adoptée la résolution social-patriote du Parti socialiste polonais que la sienne, celle du SDKP. Son séjour à Paris, dans la fatigue et la souffrance, fut donc consacré et à l’achèvement de sa thèse de doctorat sur Le Développement industriel de la Pologne (qu’elle soutint l’année suivante à l’Université de Zurich), et aux problèmes polonais, dont le plus important fut la rédaction et la publication du journal de son parti, La Cause ouvrière, dont son départ marqua la fin.

 

Après son retour en Suisse, un mariage blanc lui permit, en 1897, d’entrer en Allemagne, alors centre à la fois théorique et pratique de l’Internationale.

 

Ce fut là d’abord la rencontre des grands anciens, les plus radicaux : Bebel, Mehring, cette Clara Zedkin qui avait fondé l’Internationale des femmes prolétariennes, et naturellement Kautsky, alors autorité suprême incontestée en fait de marxisme. C’était se trouver dans le plus grand parti de l'Internationale avec ses nombreux députés, les 300 000 membres de ses syndicats, son prolétariat sans cesse croissant et combatif qui était parvenu à obtenir des augmentations de salaires, combattait pour les huit heures de travail, et en même temps en plein cœur de la crise de cette social-démocratie triomphante.

 

Le réformisme parlementariste de la IIe Internationale, de pratique était en train de devenir théorique avec ce Bernstein qu’Engels avait compté parmi ses disciples les plus sûrs et qui, fort de ce parrainage, travaillait à enterrer le marxisme. Le point de départ de ce révisionnisme tenait à ce que les limites et les défaites des révolutions semblaient en supprimer la perspective, tandis que le développement du capitalisme promettait au contraire de croire à une crise finale qu’il n’y avait qu’à préparer par les coups des réformes et la conquête du pouvoir par l’obtention de majorités parlementaires, grâce au suffrage universel.

 

Cette illusion (dont on connaît la récurrence, et jusqu’à nos jours) et qui s’exprimait par le fameux « Le but final n’est rien, c’est le mouvement qui est tout », trouvait sa force dans l’orthodoxie «marxiste» de Kautsky qui, sans tirer les mêmes conclusions, était lui-même en attente de cette inévitable « crise finale » qui ferait tomber le socialisme comme un fruit mûr de l’arbre foudroyé du Capital. C’était ainsi que ce dernier interprétait le programme d’Erfurt, comme séparation du « programme immédiat » et de la perspective révolutionnaire, soit un double programme, sans comprendre ce qu’Engels n’avait pas cru nécessaire de préciser parce que pour lui cela allait de soi, à savoir que les programmes immédiats, nécessairement modifiables, devaient être, non la réponse à des étapes historiquement séparées, mais des échelons successifs à poursuivre sans répit vers la révolution (ce que Trotsky dut finalement définir comme des « programmes de transition »). Rosa allait le préciser dès 1898 dans son premier ouvrage : « Si notre programme ne pouvait être applicable à toutes les éventualités et à tous les moments de la lutte, il ne serait qu'un vil chiffon de papier. Formulation globale de l'évolution historique du capitalisme, notre programme doit également décrire dans leurs traits fondamentaux toutes les phases transitoires [nous soulignons l’adjectif] de ce développement, et donc orienter à chaque instant l'attitude du prolétariat dans le sens d'une marche vers le socialisme. »

 

La supériorité intellectuelle de Rosa avait fait d’elle immédiatement une rédactrice influente de la revue théorique de Kautsky, la Neue Zeit, et du journal socialiste de Leipzig, la Leipziger Volkszeitung, où elle imposa son marxisme intransigeant, et allait y publier en feuilleton, en septembre 1898, son premier grand texte, Réforme sociale ou révolution ? Cette jeune étrangère allait s'y permettre de crever l'abcès de la crise en donnant une leçon de marxisme à Bernstein, ce dirigeant de premier plan auréolé du parrainage d'Engels, en une riposte à ses articles parus – soulignons-le –, dans la Neue Zeit, et à son livre Les Fondements du socialisme et les Tâches de la social-démocratie.

 

La hardiesse du révisionnisme de Bernstein consistait à dire clairement ce qui n'était que sous-entendu dans la politique social-démocrate, à savoir que les perspectives politiques de Marx ne s'étaient pas réalisées et étaient devenues irréalisables, et qu'il ne s'agissait plus de s'emparer du pouvoir politique pour transformer l'économie, mais de parvenir, de réforme en réforme, obtenues par la voie parlementaire, et par l'extension des coopératives, au contrôle total de cette économie.

 

La critique de Rosa est impitoyable. À partir de la mise à nu des « évidences »sociales et économiques dont Bernstein faisait la base de son révisionnisme, elle va, alternativement, opposer une mise au point des derniers travaux de Marx et une démonstration de l'inanité des solutions bernsteiniennes. Que les prétendus constats des « erreurs » de Marx relevaient de la myopie, elle le démontre point par point.

 

Pour Bernstein, il n'y avait pas de signes d'effondrement du système capitaliste, mais résolution des contradictions par expansion du petit capital, par la constitution de cartels, du crédit et de la communication, toutes adaptations qui abolissaient l'antagonisme entre production et échange, et ainsi accentuaient le caractère social de la production. À cela Rosa oppose longuement l'analyse de ces adaptations du capitalisme en face de ses contradictions fondamentales, à partir de la dialectique de la théorie et de la pratique, en un véritable travail de complément des travaux de Marx à partir du point où il les avait laissés, et distinguant ce qui chez lui est fondamental, structurel, et ce qui est susceptible de développements dont le rythme et la durée sont aléatoires, telle la périodicité des crises. Non fondamental aussi, mais appartenant à ce que nous connaissons maintenant comme « histoire événementielle », le fait nouveau de ces organisations patronales et de ces systèmes de communications, par lesquels les capitalistes s'efforçaient alors de penser globalement le fonctionnement du Capital. Quant au crédit qui fluidifie la production, aux cartels qui sont bien une des formes de concentration du capital, et enfin à l'extension des marchés qui se poursuit ainsi que la colonisation, ce n'en est pas moins dans une violente concurrence, laquelle, à l'époque, était encore largement nationale et armée de droits de douanes. Dans toutes les mesures, aussi astucieuses soient-elles, prises par le capitalisme pour poursuivre son développement dans une course contre son issue fatale, Rosa voit bien que les nouvelles contradictions s'ajoutent aux anciennes à un niveau plus élevé.

 

Il en est une cependant dont elle n'a pas vu le péril. Bernstein s'émerveillait de voir la multiplication des actionnaires comme une dispersion sociale prometteuse. Rosa dénie à ceux-ci le caractère de capitalistes (contre la définition des classes de Marx), mais comme des éléments d'un capital unique, ce qui valait pour la capitalisation des entreprises du temps. Mais elle ignorait, n'ayant sans doute pas encore lu les manuscrits du Livre 3 du Capital, que Marx avait prévu la dynamique qui amènerait ces actionnaires à devenir un immense capital financier (dont nous connaissons maintenant l'hydre infernale).

 

Ce qu'elle avait sous les yeux lui suffisait cependant à voir à terme l'inévitabilité de l'effondrement, seulement éloigné par ces pseudo-solutions. Ce n'était donc pas une raison pour l'attendre, comme le faisaient Kautsky et les « orthodoxes », et encore moins pour considérer le programme réformiste, syndicaliste et parlementaire de Bernstein comme sans conséquences pour la cause prolétarienne. Là, ce fut en les ridiculisant qu'elle traita l'objectif de conquête d'augmentations de salaires qui réduiraient le profit à un juste partage des richesses, les coopératives comme capables de concurrencer le Capital, et la conquête du pouvoir grâce au suffrage universel. Elle montra qu'on arrivait là, non à la réalisation de l'ordre socialiste, mais à la réforme de l'ordre capitaliste, non à abolir le système du salariat, mais à doser ou atténuer l'exploitation, donc à « supprimer les abus de capitalisme et non le capitalisme moi-même ».

 

Quant à la saisie graduelle de l'État par la voie parlementaire, après avoir rappelé l'analyse marxiste de l'État, elle démontre comment toutes ses transformations sont dictées par les seuls intérêts de la classe dominante et, par l'étude de l'évolution du militarisme, en rappelant qu'une des fonctions des armées, autonomes par rapport au développement économique, est d'assurer la domination de la classe capitaliste sur le peuple travailleur. « Les rapports de production de la société capitaliste se rapprochent de plus en plus des rapports de production de la société socialiste. En revanche, ses rapports politiques et juridiques élèvent entre la société capitaliste et la société socialiste un mur de plus en plus haut. Ce mur, non seulement ni les réformes sociales ni la démocratie ne le battront en brèche, mais au contraire l'affermissent et le consolident. Ce qui pourra l'abattre, c'est uniquement le coup de marteau de la révolution, c'est-à-dire la conquête du pouvoir par le prolétariat. » Cette prise du pouvoir, elle précise – contre les accusations de blanquisme dont on ne va pas cesser de l'accuser – qu'à l'exception de situations, telle celle de la Commune de Paris, où il est tombé dans les mains du prolétariat, elle « implique une situation politique et économique parvenue à un certain degré de maturité. [...] Une telle conquête ne peut être que le produit de la décomposition de la société bourgeoise ; elle porte donc en elle-même la justification économique et politique de son opportunité.»

 

Autre argument de Bernstein, et en général de tous les révisionnistes : maintenir dans un programme l'actualité de la conquête révolutionnaire du pouvoir, n'est-ce pas tendre à provoquer une révolution prématurée ? Rosa répond en réaliste : « Tout d'abord un bouleversement aussi formidable que le passage de la société capitaliste à la société socialiste ne peut se produire d'un bond, par un coup de main heureux du prolétariat. [...] La révolution socialiste implique une lutte longue et opiniâtre au cours de laquelle, selon toute probabilité, le prolétariat aura le dessous plus d'une fois ; si l'on regarde le résultat final de la lutte globale, sa première attaque aura donc été prématurée :il sera parvenu trop tôt au pouvoir. Or – et c'est le deuxième point – cette conquête "prématurée" du pouvoir politique est inévitable, parce que ces attaques prématurées du prolétariat constituent un facteur, et même un facteur très important, créant les conditions de la victoire définitive. »

 

Mais Bernstein, entraîné par la logique de son révisionnisme, en arrivait à nier la perspective d'un effondrement final du capitalisme, abandonnant toute l'analyse du Capital, puis de la lutte de classes, et l'existence même de la classe prolétarienne, donc. Il était aisé à Rosa de montrer qu'on avait là l'arsenal théorique complet des « courants opportunistes de la social-démocratie », base de leur « socialisme d'État », justifiant leur alignement politique sur les libéraux, et ainsi désarmant le prolétariat et sapant sa conscience de classe. La conséquence en était la nécessité de rejeter du parti, lors du prochain congrès, Bernstein et son courant « progressiste démocrate petit-bourgeois ». Si cette œuvre allait être reconnue avec enthousiasme par le vieux Bebel comme d'une force comparable aux écrits des deux maîtres, et fut, semble-t-il, bien accueillie par les prolétaires, il n'en alla pas de même pour la bureaucratie du parti et sa base petite-bourgeoise. Lors du congrès de Stuttgart, les « orthodoxes » feignirent de ne pas voir l'ampleur de la divergence avec Bernstein et, affirmant leur accord avec la liaison réformes/but final, attaquèrent Rosa à la fois comme novice (elle n'avait qu'un an de parti) prétendant donner des leçons aux vétérans, et comme « blanquiste », partisan de la violence. Elle y répondit en se rangeant (sous les protestations) dans une aile gauche, pas encore formalisée, celle « où l'on veut lutter contre l'ennemi », et contre l'aile droite « où l'on veut conclure des compromis avec lui », et en affirmant « que la seule violence qui nous mènera à la victoire est l'éducation socialiste de la classe ouvrière dans la lutte quotidienne. » Sa belle conclusion fut : « Le mouvement, en tant que tel, sans rapport avec le but final, n'est rien ; le mouvement comme fin en soi, n'est rien, c'est le but final qui est tout. »

 

Ses adversaires, non seulement ne désarmèrent pas mais crurent pouvoir démontrer la validité de leurs conceptions dans l'exemple du trade-unionisme anglais. Dans un article titré « Les lunettes anglaises », qui parut le 9 mai1899 dans la Leipziger Volkszeitung, Rosa les ridiculisa par une admirable histoire du syndicalisme anglais, conduite selon la méthode du matérialisme historique, montrant comment c'étaient les conditions de domination mondiale du capitalisme britannique qui lui avaient permis les concessions d'embourgeoisement d'un sommet de son prolétariat, et comment la régression de ce capitalisme dans la concurrence mondiale en cours ramenait invinciblement son prolétariat dans une situation semblable à celui du Continent. C'était en même temps montrer que ce que les « lunettes anglaises » de Bernstein lui montraient comme l'avenir du prolétariat allemand n'était que le passé anglais.

 

Contre l'appel sans ambages à l’exclusion de ces ennemis du prolétariat, que Bebel soutint de toute son autorité, disant : « Une telle tactique signifierait pour notre parti exactement la même chose que si l'on brisait l'épine dorsale à un organisme vivant tout en lui demandant d'accomplir le même effort qu'auparavant. Je ne tolérerais pas qu'on brise la colonne vertébrale de la social-démocratie, qu'on remplace son principe : la lutte de classe contre les classes possédantes, et contre le pouvoir d'État, par une tactique boiteuse et par la poursuite exclusive de buts soi-disant pratiques », les révisionnistes invoquèrent l'indépendance de la pensée et la « liberté de critique et de la science ».

 

C'est de celle-ci que Rosa fit le titre de sa réponse, toujours dans la Leipziger Volkszeitung où elle s'était imposée. Cette exigence était particulièrement perfide, puisqu'elle la mettait en situation de censure du droit de critique et de recherche de « gens qui peuvent se tromper, mais qui n'ont en vue que le salut de notre Parti. [Et que] c'est avec joie qu'on devrait accueillir des idées nouvelles puisqu'elles rafraîchissent un peu le répertoire suranné, routinier de notre propagande. » Ces derniers mots révélaient bien, sous le droit à la pensée vivante, le droit au révisionnisme. Derrière la «propagande » n'étaient-ce pas le patrimoine théorique, les principes fondamentaux « peu nombreux et très généraux, justement parce qu'ils sont la condition préalable de toute activité dans le Parti » qui étaient en question ? Quant au droit à la critique et à l'autocritique, Rosa le défendait comme une condition même d'existence du Parti. Mais elle distinguait les types de critiques : « Toute critique contribuant à rendre plus vigoureuse et consciente notre lutte de classe pour la réalisation de notre but final mérite notre gratitude. Mais une critique tendant à faire rétrograder notre mouvement, à lui faire abandonner la lutte de classe et le but final, une telle critique, loin d'être un facteur de progrès, ne serait qu'un ferment de décomposition. »À de telles critiques, il n'y avait qu'une liberté à accorder: « celle d'appartenir ou de ne pas appartenir à notre Parti. »Une autre ruse de l'argumentation révisionniste était que les problèmes soumis à la discussion du congrès touchaient à des questions scientifiques, compliquées et difficiles, qui échappaient nécessairement à la masse militante. Déjà Bernstein avait remis en cause la théorie de la valeur, des crises, et la conception matérialiste de l'histoire. Rosa montra que l'argument aristocratique et méprisant consistait à cacher, sous les problèmes théoriques ou scientifiques qui, de toute façon n'étaient pas à l'ordre du jour du congrès, des questions très pratiques, telle celle du militarisme (qui allait recevoir l'appui de révisionnistes) opposé à la revendication ancienne, et restée sur le programme, d'armée de milice sous le contrôle du peuple, enfin de la politique coloniale. De même, l'un de ces révisionnistes, Stegmuller, avait voté des fonds pour la construction d'une église. Pour Rosa, toutes ces questions appartenaient de droit et de devoir à la décision du Parti. « Celui qui lui contesterait ce droit prétendrait par là-même lui assigner le rôle humiliant d'un troupeau inconscient.» Comparant la manière dont des militants de base avaient été exclus «pour des manquements dont ils ne se sont rendus coupables qu'en raison de leur éducation insuffisante », avec le laxisme dont Bernstein et les siens étaient l'objet, elle renouvelait son affirmation : « L'heure a sonné pour le Parti, en tant que corps politique, de prendre position devant les résultats de cette critique et de déclarer : cette critique est une théorie d'enlisement, pour laquelle il n'y a pas de place dans nos rangs.»

 

Elle ne fut pas plus entendue en cette fin de 1899 que l'année précédente, et le parti allemand continua son cheminement de dégénérescence. Sans les théorisations de Bernstein, la pratique réformiste était déjà celle de la majorité « orthodoxe » du Parti, et sa bureaucratisation était parallèle à celle de ssyndicats, dont Rosa décrira le mouvement propre d'autonomisation, en 1906, dans le dernier chapitre de son Grève de masses, partis et syndicats, avec l'écart pris avec la social-démocratie par la bureaucratie syndicale, bloquant les masses prolétariennes au niveau des objectifs quotidiens et proclamant grandes victoires les petites augmentations de salaires vite dépassées par les augmentations des prix. Nous voyons dans les positions et les pratiques révisionnistes combattues par elle, celles qui expliqueront la faillite honteuse de1914.

 

En 1900, enfin, éclata la grande crise cyclique, dont le retard avait été pour Bernstein une preuve centrale des « erreurs » de Marx dans sa critique de l'économie capitaliste. Mais au point où en étaient les révisionnistes, une telle preuve de leurs réelles erreurs n'avait plus guère d'importance.

 

En effet, le bernsteinisme s'étendait sur toute l'Internationale. En France, pays de peu de pensée théorique, il s'installait pratiquement en parlementarisme réformiste sans que cela trouble les radicaux du type Guesde.

 

Et à l'autre bout de l'Europe, en Russie, un « marxisme légal » s'était d'abord installé sans inquiéter le tsarisme qui avait vu ces sages intellectuels combattre théoriquement le terrorisme, puis s'installer dans leur enseignement académique. Les démocrates bourgeois se faisaient «marxistes» sans danger. De là, il n'y avait qu'un pas jusqu'à l'engagement sous le drapeau de Bernstein dont l'ouvrage connut trois éditions avant la fin du siècle. Le « marxisme » commençait en Russie sous sa forme révisée parla « liberté de critique » où il en était arrivé en Europe occidentale à son point dernier de dégénérescence. C'est ce qu'allait remarquer, pour le combattre, un jeune marxiste révolutionnaire (l'adjectif pléonastique étant dès ce temps devenu nécessaire pour en marquer l'authenticité), qui surgit de l'obscurité de la lutte illégale de l'empire tsariste : Vladimir Oulianov. Il était le cadet d'à peine plus d'un mois de Rosa et était entré dans la lutte révolutionnaire en même temps qu'elle, et bien que dans des conditions toutes différentes, leur jeunesse militante avait été étrangement parallèle, et jusqu'àce voyage rapide que Vladimir Illich fit en 1895 à Berlin puis en Suisse, où il rencontra lui aussi Plekhanov, Axelrod et Vera Zassoulitch, avec lesquels il allait avoir d’abord le même type de rapport que Rosa.

 

La double nationalité de celle-ci lui avait permis de participer, sans y appartenir formellement. à l'activité de la SDKPiL (Social-Démocratie du Royaume de Pologne et de Lituanie), dont Leo Jogiches était un des dirigeants et sera, en 1902, le rédacteur en chef de l'organe théorique, Przeglad Socjademokratyczny. La partie la plus importante de la Pologne ainsi que la Lituanie étant intégrées à l'Empire russe, le problème de la liaison avec le POSDR qui venait de se constituer se posait : totale autonomie ou fusion avec autonomie limitée ? L'année même où Rosa était entrée en Allemagne, Vladimir Oulianov arrivait à Zurich. Si elle n'allait le rencontrer que des années plus tard, dès la fin de 1898 elle put connaître le nom de Lénine dans le premier numéro de l'Iskra.

 

Dès 1902, ces deux géants de la pensée marxiste authentique vont se trouver liés dans des polémiques de mises au point théoriques, de tactiques et de stratégie révolutionnaires, ainsi que de problèmes d’organisation.

Rosa Luxemburg continuatrice de Marx et Engels, Michel Lequenne. Son combat contre le réformisme ...

Début de l'article :

Née juive, libérée de la religion, elle ne s’en trouve pas moins en situation de double oppression : nationale et ethnico-religieuse.

 

L’enfant prodige qu’elle est (elle sait lire et écrire à cinq ans et ne cessera de devancer ses contemporains), est frappée de cette double injustice. Mais c’est une double base solide pour devenir révolutionnaire. Que la situation bourgeoise de sa famille lui permette de tourner l’interdit d’accès aux études supérieures fait aux Juifs, mais probablement non sans qu’elle ressente les effets psychiques de cette quasi exception dans un tel milieu, lui donne à la fois le premier armement et le coup d’envoi vers l’action. Car elle a tout de même un terrain d’entente avec ses condisciples: la haine de l’oppression russe, qui commence avec l’obligation de la langue de l’oppresseur et l’interdiction du polonais. Elle sera donc de l’opposition universitaire.

 

À sa sortie du lycée, à dix-sept ans, c’est immédiatement le saut d’entrée dans le Parti socialiste révolutionnaire, alors, en Pologne comme en Russie, le plus important parti révolutionnaire. À Varsovie, il est dirigé par un ouvrier, Martin Kasprzak (qui sera pendu en 1905). Il lui suffit de deux ans d’activité pour être repérée par la police et menacée d’arrestation. Deux ans suffisants aussi pour avoir été jugée par ses camarades une intelligence telle qu’elle devait être protégée du trou noir de la déportation afin de continuer les études nécessaires à l’action.

 

Ce fut sans doute aussi parce qu’en 1888 ce parti avait rompu avec son organisation-mère russe, Narodnaja Volja, ses pratiques d’action terroriste et sa confusion programmatique, que ses camarades mirent en elle leur espoir d’armement théorique. Ils organisèrent son passage clandestin de la frontière allemande, et ainsi, à 19 ans, en 1889, elle arriva à Zurich, le foyer brûlant de formation politique et théorique des exilés de l’intelligentsia révolutionnaire de l’empire russe. C’était un chaos intellectuel, mais fructueux, sur lequel Rosa surfa avec une maîtrise intellectuelle étonnante, et y manifestant ses qualités féminines de réalisme sensible, de sens du concret et du pratique dans un milieu où abondaient rêveurs et bohèmes, phraseurs et exaltés. Elle, alla droit à l’essentiel.

 

Étudiante sérieuse, à l’université elle absorba l’histoire naturelle qui allait nourrir son profond amour de la vie à tous ses niveaux – sans lequel il n’y a sans doute pas de véritable humanisme matérialiste –, et plus tard l’aiderait à supporter la prison. En même temps, sous un professeur éclectique, elle absorbe l’enseignement de l’économie politique de Smith et Ricardo à Marx. Pour sa part, elle s’arrêtera à ce dernier.

 

À l’extérieur, elle distinguera vite les esprits qui dominaient par la culture politique et l’intelligence : Plekhanov, son disciple Paul Axelrod, et la grande Vera Zassoulitch. Plekhanov la fascina tout d’abord. N’était-il pas le « père du marxisme russe », auteur d’une œuvre déjà importante, un égal de Kautsky ? Pourtant, là encore, son instinct la conduisit à s’éloigner de lui : trop savant, ayant réponse à tout, ne laissant pas de place à une pensée libre et vivante.

 

Beaucoup plus importante pour elle fut, en 1890, l’arrivée à Zurich de son compatriote Leo Jogiches, son aîné de trois ans, et comme elle un révolutionnaire intransigeant. De l’amitié à l’amour qui les unit seize ans, il va y avoir passage d’un échange entre l'expérience de l’organisation et de la lutte de son compagnon et sa propre supériorité culturelle et intellectuelle, qui finalement déséquilibrera le couple, d’autant plus facilement qu’ils seront souvent éloignés physiquement l’un de l’autre dans une vie d'exilés aux illégalités périodiques. Leur unité fondamentale d’esprit et de combat les réunira finalement dans la mort. Leur rencontre entérina sa rupture avec Plekhanov qui avait rejeté avec mépris la proposition de Jogiches de la co-direction d’une revue socialiste que ce dernier voulait créer, et l’avait traité, dans une lettre à Engels du 16 mai 1894, de « petit Netchaïev ». Le nom du terroriste marquait bien la distance que le grand homme mettait entre théorie et action révolutionnaire d'un militant gagné au marxisme, et qui n’avait rien d’un terroriste.

 

En 1893 avait eu lieu le congrès de Zurich de l’Internationale. Engels n’y était passé que pour un discours de clôture. Pour lui, il ne s’agissait pas d’une Internationale « marxiste », mais d'un grand corps hétérogène où le marxisme avait à s’imposer. Ne parlait-il pas à Sorge, le 13 février 1894, de « notre étrange fraction socialiste à la Chambre française » ? Il y avait compté seulement, au moment du Congrès, 12 marxistes et blanquistes sur 19 socialistes, et quelques indépendants. Rosa y représenta la DSKP (Social-démocratie du Royaume de Pologne) qui venait d’être créée, avec un mandat qui ne sera pas validé, l’Internationale ne reconnaissant que l’à peine plus ancien Parti socialiste polonais, auquel Rosa s’opposa comme à une formation réformiste social-patriote.

 

Ainsi, d’emblée, elle entrait dans la lutte qui allait être centrale au sein de la IIe Internationale jusqu’à son effondrement de 1914. Sa position était claire. Dans son rapport, elle disait : « Un parti socialiste qui s’appuie sur les masses doit défendre, certes, leurs conditions d’existence, mais il ne doit pas perdre de vue dans la lutte quotidienne le but révolutionnaire à atteindre. Les réformes ne sont que des étapes et des points d’appui dans la voie qui conduit à la révolution sociale, c’est-à-dire d’abord, à la conquête politique de l’État. »

 

Avant même la mort d’Engels, et sans qu’il l’ait su, Marx et lui avaient trouvé une continuatrice aussi inflexible qu’eux en cette jeune femme surgie hors du mouvement ouvrier le plus avancé. Mais c’est précisément parce qu’elle venait du dehors de la zone du plus grand développement du capitalisme, lequel était alors capable d’accorder au prolétariat des réformes qui le chloroformaient et corrompaient ses dirigeants par le parlementarisme, qu’elle est cette première à échapper à la dérive pratico-théorique et à y voir le plus grand péril pour la cause prolétarienne, là où Engels n’avait vu qu’un accident de parcours qui allait être dépassé par le développement même du prolétariat, tandis que Labriola n’y voyait qu’un trouble que résoudrait le débat théorique, et tournant sa lutte contre l’adversaire extérieur qui y intervenait en se réjouissant de la « crise du parti ».

 

C’est pour fonder théoriquement la perspective révolutionnaire qu’elle devra reprendre le travail de Marx sur l’accumulation du capital pour résoudre les apparentes contradictions laissées dans la grande œuvre inachevée.

 

Dans le même temps, et du fait qu’elle sortait de cette Pologne, nation divisée, et la partie dont elle venait dominée par l’Empire de Russie, elle allait devoir affronter le problème de la « question nationale » des peuples opprimés. L’ensemble de ces problèmes théorico-politiques abordés dans la perspective de la révolution prolétarienne posait la difficile question de la dialectique de l’action spontanée de masse et de l’organisation révolutionnaire. Toute la vie politique de Rosa allait se passer à reprendre, préciser et corriger ces questions aussi délicates que décisives, dont elle ne sortirait qu’en trouvant la mort au combat.

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30 avril 2020 4 30 /04 /avril /2020 15:44
Impérialisme et capitalisme – Actualité de l’Accumulation du capital de Rosa Luxemburg (Publié aux Editions Agone)
 L’Accumulation du capital, Contribution à l’explication économique de l’impérialisme
 
Agone/Smolny - Préface de Guillaume Fondu et Ulysse Lojkine - Postface de Mylène Gaulard et Loren Goldner - Traduction de l’allemand par Irène Petit et Marcel Ollivier, entièrement revue par Marie Boudoussier
 

« Le capitalisme tend à se répandre sur le globe et à détruire toutes les autres formes économiques, n’en supportant aucune à côté de lui. Et pourtant il est en même temps la première forme économique incapable de subsister seule, à l’aide de son seul milieu. Ayant tendance à devenir une forme mondiale, il se brise à sa propre incapacité d’être cette forme mondiale. Il offre l’exemple d’une contradiction historique qui, à un certain degré de développement, ne peut être résolue que par l’application des principes du socialisme, c’est-à-dire par une forme économique qui est par définition une forme mondiale harmonieuse, fondée sur la satisfaction des besoins de l’humanité travailleuse. »

Ouvrage majeur de Rosa Luxemburg, écrit en 1913, L’Accumulation du capital est le premier texte de l’économie politique marxiste à formuler une théorie d’ensemble de l’impérialisme. En montrant la nécessité inscrite au coeur du mode de production capitaliste de s’étendre à l’échelle du monde en asservissant des territoires non capitalistes et leurs populations, il éclaire les mécanismes qui allaient bientôt déclencher la grande guerre pour le repartage du monde.

Parution : 22/11/2019 - ISBN : 9782748903720 - Format papier : 768 pages - 28.00 € - Format numérique 21.99 €

Impérialisme et capitalisme

 

https://rednotes.noblogs.org/post/2020/05/07/imperialisme-et-capitalisme-actualite-de-laccumulation-du-capital-de-rosa-luxemburg/

 

Actualité de l’Accumulation du capital de Rosa Luxemburg

De la rengaine, elle est devenue un fétiche, dont on ne sait plus bien que faire depuis la fin de l’ère des indépendances. La lutte contre l’impérialisme remporte un certain consensus alors qu’elle hisse au rang de « nations socialistes » dictatures et capitalismes d’État. Elle gangrène la lutte anti-capitaliste en véhiculant de profondes méprises sur les liens structurels unissant le capitalisme à son expansion. Nous l’abandonnerions si à son fondement il n’y avait pas une profonde perspicacité à mettre en avant la barbarie permanente d’un processus d’accumulation capitaliste qui a un besoin structurel de la guerre, de l’expropriation et de l’invasion de toutes les formations sociales qui lui sont extérieures.

Mais un jour viendra où un autre volcan fera entendre sa voix tonitruante, un volcan qui bouillonne déjà sans qu’ils n’y prennent garde, et qui balayera toute cette civilisation de tartuffes aux mains ensanglantées. Martinique, 1902.

Sous sa forme militaire ou humanitaire, Rosa Luxemburg avait déjà très tôt acquis une solide réputation par sa condamnation des politiques impérialistes, militaristes et des nationalismes. Mais bien loin de se contenter de leur condamnation « morale », à un moment où même dans son parti les critiques du colonialisme ne sont pas vraiment partagées1, Rosa Luxemburg va offrir une tentative de compréhension globale de ces phénomènes dans leurs liens structurels aux dynamiques et aux contradictions du capitalisme. Ceci permettra enfin de balayer une fois pour toute l’illusion selon laquelle certains Etats sont impérialistes et d’autres ne le sont pas.

Paru en 1913, L’Accumulation du capital est à de nombreux égards le premier ouvrage de critique de l’économie politique qui poursuit, en la critiquant, l’entreprise de Marx, au moins parce qu’elle lui soumet des objections inhérentes qu’un faisceau de faits économiques et politiques nouveaux. Nous ne trouvons pas dans les écrits marxistes qui font suite au Capital, d’autres contributions aussi sérieuses qui se débattent avec les thèses les plus abouties du champ de recherche ouvert par Marx dans les livres II et III du Capital ainsi qu’avec le réel lui-même. Seuls Tougan Baranowski, qui avait fourni une interprétation des crises du capitalisme comme provenant de déséquilibres (résorbables) entre branches, et Rudolf Hilferding comme provenant d’une crise de la surproduction, proposaient des tentatives abouties au projet marxien2. Ces deux auteurs accompagnés de leurs porte-paroles constituent l’arrière-plan théorique immédiat dans lequel intervient Rosa Luxemburg. Mais les coordonnées du débat n’apparaissent pas avoir fondamentalement changé. Comment cela se fait-il ?

C’est assez étrangement (mais pas tant, la question coloniale scinde le parti) au sein même de son parti qu’une campagne vigoureuse est lancée contre sa contribution, sur un terrain non pas théorique, mais bien polémique, comme si « d’autres passions que celle de la « science pure » [avaient] été touchées par mon ouvrage »3. Plus tard, ce sont bien les conséquences politiques gênantes découlant de l’analyse de Rosa Luxemburg qui ont amené autant la social-démocratie réformiste que les bolchéviks à évincer son analyse. Cette dernière, nous rappellent Mylène Gaulard et Loren Goldner dans la postface à la présente édition, « entraîne en effet logiquement qu’une révolution prolétarienne ne pouvait se maintenir dans un pays non encore parfaitement intégré au mode de production capitaliste », et qu’ainsi « une révolution dans un pays périphérique comme la Russie se verrait contrainte à développer un féroce capitalisme d’État »4.

Dans cette première critique économique de l’impérialisme, Rosa Luxemburg a pour ambition d’aborder un ensemble de phénomènes qui lui sont (et qui nous sont) contemporains : « la lutte des États capitalistes pour les colonies et les sphères d’influence qui permettent l’investissement du capital européen, le système des emprunts internationaux, le militarisme, le protectionnisme et la prépondérance du capital bancaire et de l’industrie cartellisée dans la politique mondiale »5. Si l’importance et le rôle essentiel de ces phénomènes pour l’accumulation capitaliste sont évidents pour ses camarades de parti, le seul constat « empirique » lui apparaît insuffisant.

En effet, suivant en cela le geste marxien, Rosa Luxemburg estime qu’il est essentiel de « rechercher avec précision les lois économiques de cet ensemble de phénomènes variés qui constituent l’impérialisme et en mettre à nu les causes profondes » puisque « seule la compréhension théorique exacte du problème pris à la racine peut donner à notre lutte pratique contre l’impérialisme cette sûreté de but et cette force indispensables à la politique du prolétariat. »6. Autrement dit, interpréter cette tendance « impérialiste » mondiale du capitalisme comme étant structurelle.

Comment se fait-il qu’il y ait une demande croissante ?

Avant de pouvoir entrer dans la spécificité de la contribution de Rosa Luxemburg, il faut faire un rapide détour par ce qu’elle identifie comme étant problématique dans la contribution de Marx, Tougan-Baranowski et Hilferding dans leur analyse du mode de production capitaliste en poursuivant la question : « comment le capitalisme peut-il exister et se perpétuer ? ».

Pour pouvoir saisir ce qui se passe dans toute économie, il faut articuler deux points de vue, l’un est statique, l’autre est dynamique. Le premier part de la décomposition de la totalité du produit social sans se concentrer sur sa répétition : on décrit un cycle isolément. Le second point de vue s’attèle à résoudre le rapport entre les cycles de production, découpés encore dans l’économie aujourd’hui, par année, puis en cycles plus longs. Enfin, on adapte la représentation statique aux phénomènes observés dans celle dynamique.

Représentation statique

La valeur de la totalité du produit social se décompose en capital constant, capital variable et plus-value. Le capital constant et le capital variable rassemblent l’ensemble des moyens avancés par le capitaliste pour la production de marchandises. Le capital constant se divise en capital fixe, correspondant aux moyens dont on estime qu’ils ne doivent pas être investis chaque année (ce sont les machines, les bâtiments, etc.), c’est ce qui coûte le plus au capitaliste, et en capital circulant, ce sont les matières premières, l’énergie, etc. que le capitaliste doit investir à chaque fois à nouveau dans chaque cycle de production.

Le capital constant, que cela soit sur un cycle ou plusieurs (pour le capital fixe) ne fait que restituer sa valeur au produit. Le capital variable par contre, c’est la partie du capital qui a été transformée en force de travail, en plus de reproduire son équivalent, elle produit un excédent, une plus-value.

Mais toutes les marchandises ne sont pas produites pour répondre aux mêmes besoins. On doit partir de l’hypothèse la plus simple, qui a, en plus de cela, la force d’être intuitive : on produit d’une part pour pouvoir produire, ce sont des moyens de production, et on produit des moyens de consommation, c’est-à-dire des marchandises qui sont destinées à la consommation individuelle des individus. On pose comme hypothèse que l’ensemble du processus est stable, et que la part du surproduit a été dépensée en biens non nécessaires dits « de luxe » par les capitalistes. En termes mathématiques, on suppose donc l’égalité et la stabilité : c + v + pl.

Représentation dynamique

Dans la représentation statique, on a postulé que tout ce qui a été produit a été ou bien réinvesti ou bien consommé. Mais la différence fondamentale entre le mode de production capitaliste et les autres, ce n’est pas que le but de la production soit le profit (il y a toujours une plus-value), mais le profit illimité, la recherche du profit maximum7. Ce caractère illimité implique que le capitaliste essaie toujours d’extraire plus de surtravail aux salariés qu’il emploie, puisque c’est dans l’ensemble, la seule grandeur qui varie. Tous les autres faisant la même chose, le capitaliste n’a pas le choix, il doit toujours chercher plus de profit, au risque de disparaître, c’est la concurrence. Ceci implique qu’à chaque cycle, un capital constant additionnel et un capital variable additionnel soient mis en action. Cela signifie qu’une partie de la plus-value est consacrée à ce réinvestissement, qu’elle sert à valoriser, produire plus de moyens de production pour produire plus de marchandises. Mais qui peut acheter ces marchandises, si, en plus de cela, une partie de la plus-value ne peut pas été utilisée pour acheter le surplus de marchandises produites ?

Où sont les acheteurs ?

Rosa Luxemburg tente alors de répondre par différents moyens à la question : « où sont les acheteurs de ce produit supplémentaire que les capitalistes eux-mêmes ne consomment pas et que les ouvriers peuvent encore moins consommer »8 ? Pour pouvoir élargir la production, il ne faut pas seulement considérer que les capitalistes investissent plus dans les moyens de production, mais il faut aussi que les marchandises produites en excédent puissent être consommées. C’est ce que Rosa Luxemburg appelle « l’augmentation de la demande solvable de marchandises »9, une condition que Marx n’aurait pas suffisamment pris en compte dans ses schémas de reproduction. Rosa Luxemburg va successivement analyser diverses réponses que l’on peut apporter à ce problème.

Se pourrait-il être les capitalistes qui absorbent ces nouvelles marchandises ? Non, puisque « la base de l’accumulation est précisément la non-consommation de la plus-value par les capitalistes »10. Une autre hypothèse, serait la suivante : puisqu’il faut plus de moyens de consommation, il faut plus de moyens de production. Dans ce cas, qui aurait besoin de plus de moyens de consommation ? Rosa Luxemburg relève ici un raisonnement circulaire et « absurde du point de vue du capitaliste », parce que Marx répond alors qu’il faut plus de moyens de consommation parce qu’il y a besoin de plus d’ouvriers, c’est-à-dire de moyens de production.

Cet accroissement de la demande proviendrait-elle de l’augmentation de la population ? Cela n’a pas de sens puisque dans un certain sens, l’augmentation de la population est déjà prise en compte dans l’attribution du salaire aux ouvriers, soit en leur permettant de nourrir leurs enfants, soit, si elle ne le permet pas, en intégrant la nouvelle génération dans le processus11.

Est-ce que cette demande croissante viendrait du fait que la société capitaliste n’est pas seulement composée de deux classes, ouvriers et capitalistes, mais qu’il existe encore une grande masse de la population qui ne peuvent être comptée ni dans l’une ni dans l’autre classe ? On pense alors aux « propriétaires fonciers, employés, membres des professions libérales (avocats, artistes, savants), puis l’Église avec ses ervants, le clergé, et enfin l’État, avec ses fonctionnaires et l’armée »12. Non plus, parce qu’« en tant que consommateurs de plus-value, ils sont à compter dans la classe capitaliste »13, à la différence seule du clergé qui tire aussi « une partie de ses ressources des travailleurs »14.

Cela proviendrait-il alors du commerce extérieur ? Non plus, parce que l’on considère la société capitaliste dans son ensemble et que ce faisant, on ne fait que déplacer le problème, sans le résoudre, d’un Etat capitaliste à un autre. La conclusion à laquelle Rosa Luxemburg aboutit, c’est donc « qu’il faut qu’il y ait une perspective de débouchés […] qui se trouvent en dehors des sections I et II »15. Le problème qui résulte de cette conclusion, c’est que la plus-value ne peut pas être totalement réalisée, et donc que le processus de valorisation, de reproduction du capital en tant que maximisation du profit n’est pas possible. En fondant la nécessité que les marchandises produites en excédent soient consommées par des individus extérieurs à la formation capitaliste, Rosa Luxemburg explique la montée des politiques impérialistes du XIXe siècle.

Crise de valorisation ou crise de réalisation ?

Tout l’intérêt de L’Accumulation du capital consiste dans son actualité dans des débats qui n’ont depuis un siècle pas changé, sinon tout au plus, dans les termes qui sont utilisés. En concentrant dans cet ouvrage son analyse sur le problème de la réalisation de la plus-value, Rosa Luxemburg a été bien souvent considérée comme une précurseure de Keynes. Ce dernier situe en effet les difficultés rencontrées par le capitalisme dans des crises de surproduction provoquées par l’insuffisance d’une demande solvable, c’est-à-dire des salaires trop bas. Une idée largement répandue, et par exemple véhiculée par la préface de la première version anglaise de L’Accumulation du capital (1951) est que Rosa Luxemburg tend à « situer l’origine des crises dans la sphère de la circulation »16. Or, si Rosa Luxemburg avait exclusivement fait de l’origine des crises un problème seul de réalisation, elle aurait du rejeter l’analyse de Marx sur la baisse tendancielle du taux de profit, or, comme le rappellent Mylène Gaulard et Loren Goldner, d’une part elle ne l’a jamais rejetée, mais d’autre part, comprendre sa contribution théorique, c’est comprendre qu’ « elle ne faisait qu’en minimiser les conséquences de court terme sur le processus d’accumulation »17.

Cependant, en examinant « la manière dont le capitalisme ne cesse de sortir de lui-même pour aller parasiter les diverses formes non capitalistes de l’activité sociale »18, la théorie de Rosa Luxemburg permet également de comprendre les difficultés que rencontre le capitalisme depuis une trentaine d’années en ce que la réalisation de la plus-value est limitée objectivement par l’intégration de la Périphérie au processus capitaliste19. Mais encore une fois, il ne s’agit pas de dissoudre l’ensemble des phénomènes de crise à cette explication. Il s’agit bien de replacer l’accumulation « dans son milieu », c’est-à-dire « dans son interaction avec les formations non capitalistes qui suppléent à ses contradictions internes » (chapitre 26).

C’est ainsi qu’un terme à présent revenu sur l’avant de la scène notamment avec John Bellamy Foster ou dernièrement avec Judith Butler, celui de « métabolisme » qui prend une signification moins écologique que géopolitique. Et c’est dans les derniers chapitres que l’on s’aperçoit que la réalisation de la survaleur non consommée à l’extérieur n’est qu’un terme ultime du rapport qui s’est développé entre les sociétés non capitalistes et capitalistes. Comme le font remarquer Ulysse Lojkine et Guillaume Fondu dans la préface, c’est seulement à ce moment, celui où le capitalisme est déjà en train de s’établir en périphérie, que Rosa Luxemburg emploie le terme d’impérialisme : « celui-ci se manifeste par l’exportation des capitaux du centre vers les nouvelles sociétés capitalistes »20, particulièrement aux moyens d’investissement par les pays européens dans des projets d’infrastructure dans les périphéries, à l’exemple du canal de Suez.

La manière dont Rosa Luxemburg a été reçue, autant chez les réformistes que parmi les marxistes est une énième illustration du fait que les controverses riches sur la théorie des crises souffrent parfois de divergences plus artificielles que réelles. C’est pourquoi une volonté affirmée d’acquérir une compréhension claire et globale des ressorts et limites du capitalisme doit partir aujourd’hui du constat suivant : « Nous considérons comme stérile l’opposition séculaire et majeure entre les tenants de l’explication des crises de surproduction par la suraccumulation (la baisse tendancielle du taux de profit) et ceux se référant à l’insuffisance de la demande solvable (les marchés) : cette opposition n’existe ni dans la théorie de Marx, ni dans la réalité. »21

Dans cette mesure, la mise au point effectuée par les postfaciers de l’inconsistance de cette opposition pour l’analyse de Rosa Luxemburg en fait un instrument théorique et politique tout autant actuel que ses implications politiques internationalistes sont radicales. En fournissant une analyse des contradictions internes et externes du capitalisme, Rosa Luxemburg nous propose une théorie puissante des liens entre impérialisme et capitalisme. En termes contemporains, nous dirions qu’elle tente de prouver que mondialisation et capitalisme sont indissociables.

A tous ceux donc qui identifient la mondialisation, avec ses délocalisations, ses « crises migratoires » comme des problèmes à part entière, dissociables du capitalisme, et se font partisans de solutions protectionnistes, défendent le chavisme ou l’URSS, nous ne pouvons que recommander la lecture de cet ouvrage majeur de la critique de l’économie politique. Il permet de comprendre plus précisément ce qui est capitaliste ou ne l’est pas. Pour finir, si les limites du capitalisme apparaissent au premier abord objectives, ce que Rosa Luxemburg nous montre c’est qu’elles sont, en dernier terme et contre tout effondrisme que l’on voudrait lui imputer, sociales.

1Certains estimaient effet que le capitalisme se précipiterait plus rapidement vers sa chute si on le laissait se développer sans intervenir.

2En 1910 paraît Le capital financier de Rudolf Hilferding, dans lequel il désigne par « impérialisme » le fait qu’« une part toujours croissante du capital industriel n’appartient pas aux industriels qui l’utilisent. Ces derniers n’en obtiennent la disposition que par le canal de la banque » lié à une monopolisation des capitaux. Sa théorie de l’impérialisme, inspirera largement Lénine. Voir notamment le chapitre 3, « Le capital financier et l’oligarchie financière », de « L’impérialisme, stade suprême du capitalisme », reformulé par ce dernier comme « Concentration de la production avec, comme conséquence, les monopoles ; fusion ou interpénétration des banques et de l’industrie ».

3Rosa Luxemburg, L’Accumulation du capital, Œuvres complètes, Tome V, Agone-Smolny, novembre 2019, p. 494.

4Ibid. p. 621.

5Ibid. p. 509.

6Ibid. p. 509

7Ainsi, le but premier des capitalistes, ce n’est pas de « s’en mettre plein les poches », voir à ce sujet la contribution essentielle d’Alain Bihr, La reproduction du capital, particulièrement à ce sujet, ibid. p. 205 sq.

8Ibid. p. 129.

9Ibid. p. 117.

10Ibid. p. 117.

11Ibid. p. 119

12Ibid. p. 119.

13Ibid. p.120

14Ibid. p. 120

15Ibid. p. 123

16Ibid. p. 624

17Ibid. p. 624. Indiquons au passage que la « loi de la baisse tendancielle du taux de profit » a des effets contradictoires, voir à ce sujet de nombreuses contributions, dont celle de Michel Vadée, Marx penseur du possible, p. 82.

18Ibid. p. XXII.

19Voir à ce propos, la postface de Mylène Gaulard et Loren Goldner, Ibid. p. 611.

20Ibid. p. XXXII

21Marcel Roelandts, Dynamiques, contradictions et crises du capitalisme, Contradictions, 2010, p. 5.

 

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30 avril 2020 4 30 /04 /avril /2020 15:38
Rosa Luxemburg, L’Accumulation du capital – Transcription et traduction de la conférence de Raphaëlle Chappe.
Rosa Luxemburg, L’Accumulation du capital – Transcription et traduction de la conférence de Raphaëlle Chappe,  2020/05/07 admin

Rosa Luxemburg, L’Accumulation du capital

 

Transcription et traduction de la conférence de Raphaëlle Chappe, tenue le 8 octobre 2016 à Vienne, « Rosa Luxemburg : l’Accumulation du capital 11 ans plus tard. ». L’exemple des Iphones n’a pas été retenu, nous considérons qu’il n’aide pas véritablement à la compréhension de la dynamique d’expansion et de conquête de nouveaux marchés.

 

Nous vivons dans un « monde plat » pour citer un best-seller mondial, dans un marché et une économie mondialisés avec une libre circulation des marchandises, de la technologie. Les marchés financiers sont devenus presque complètement mondialisés, et la politique étrangères des USA par exemple, des pays riches, soutiennent les politiques de privatisation qui sont menées dans d’autres pays, permettant notamment à ces pays d’y assurer leur présence. Dans les déclarations que l’on trouve dans la presse financière, il apparaît que ce processus est vraiment bon pour la croissance économique, la productivité, qu’il aide à créer de meilleurs produits. Mais force est de constater que toutes ces décennies néolibérales nous ont mensé à la crise de 2007-2008. Donc voici la première question : l’expansion du capital par la conquête de marchés étrangers, est-elle guidée par la croissance ou par des difficultés de croissance ? Et c’est sur ce point où l’Accumulation du capital de Rosa Luxemburg est d’actualité pour nous, et peut nous aider à répondre à ce problème.

 

Dans ce livre, Rosa Luxemburg identifie une dynamique générale qui se situe au croisement du processus général d’accumulation du capital et de l’expansion géographique : c’est la tendance chronique à produire des crises de suraccumulation, ce qui implique que le capitalisme a constamment besoin d’ouvrir de nouveaux territoires pour éviter la crise, c’est une nécessité pour la survie du système.

 

Son analyse est fondée sur une analyse critique des schémas de reproduction de Marx contenus dans le Livre II du Capital, ce sont des arguments techniques, mais pour résumer on peut dire que dans le Livre II, il y a le circuit du capital dans le contexte d’une reproduction simple, dans lequel il n’y a pas de réinvestissement par les capitalistes dans de nouveaux moyens de production. Dans ce cas, toute la plus-value qui a été extraite du travail est dépensée en biens de consommation, notamment de luxe. Dans ce schéma, l’ensemble de l’économie se reproduit, mais reste inchangée dans son échelle et ses proportions. D’un autre côté, vous avez la reproduction dite élargie, dans laquelle une portion de la plus-value est réinvestie ce qui permet au système de s’agrandir en termes de proportions. Et c’est alors que vous arrivez à une situation où la plus-value est réinvestie mais où la composition du capital est changeante : c’est-à-dire qu’il y a de plus en plus de réinvestissement dans des moyens de production. Et c’est une situation où Rosa Luxemburg identifie un problème dans la réalisation de la plus-value. Donc si le système économique est fermé il ne peut pas perdurer. L’approche de Rosa Luxemburg consiste à se concentrer sur le rôle joué par les marchés extérieurs non capitalistes. Donc l’idée c’est qu’il y aura une crise sauf si l’on se tourne vers des marchés non-capitalistes extérieurs pour réaliser la plus-value. Mais où ces marchés extérieurs ont-ils l’argent pour acheter les produits ? Il y a trois possibilités : ils peuvent en obtenir en ayant des travailleurs vendant leur force de travail pour un salaire. Mais à partir du moment où ils vendent leur force de travail contre un salaire, ils ne sont plus extérieurs au capitalisme, ils ont été absorbés, donc cela ne résout pas le problème de la réalisation de la plus-value. La deuxième possibilité est de puiser dans les richesses existantes, matières premières, réserves d’or, mais ces réserves seront épuisées à un certain moment, donc vous évacuez cette valeur qui existe en dehors du capital mais à un moment vous atteignez des limites.

 

Et la troisième option, c’est celle de passer par les mécanismes de la dette. C’est ainsi que nous pouvons évaluer le rôle que joue la finance internationale et le lien qu’entretiennent finance et impérialisme. L’argument de RL, c’est que les fonds prêtés ou éventuellement, déjà remboursés, servent à acheter du capital productif dans les pays d’où le capital provient à l’origine, et c’est ainsi que la plus-value est réalisée, et ceci s’ajoute au processus d’accumulation. Comment cela fonctionne-t-il exactement ?

 

Tout d’abord les profits sont extraits de la force de travail d’un pays capitaliste développé et riche, mais au lieu d’être redéployé dans ce même pays, la plus-value est transformée en argent prêté, en de la dette dans d’autres pays. Les pays pauvres l’utilisent pour acheter des biens capitalistes importés, donc les fonds se transforment ainsi en capital productif. Et ceci fournit les moyens aux pays pauvres d’acheter de l’équipement, et développer leur infrastructure industrielle.
 

RL donne l’exemple de l’Egypte. Suite à la guerre civile aux USA dans les années 1860, survient ce qu’on a appelé la « bulle du coton », et tout le monde a pensé qu’il serait bon pour l’Egypte de produire du coton, et donc comment cette production de coton a-t-elle été financée ? Elle a été financée par des crédits provenant d’Angleterre. Et RL montre qu’en 1874 la dette publique de l’Egypte est passée de 3 à 94 millions de livres. S’ensuit donc une crise de surendettement : ce pays achète du capital productif, il finance cela par la dette, la dette augmente, et on en arrive à un point où la crise de surendettement (le fait de se s’endetter pour rembourser, même pas la dette elle-même, ni non plus les intérêts en totalité, mais seulement une partie) implique qu’il est nécessaire d’emprunter plus d’argent encore pour payer les intérêts déjà existants. Or ce cycle n’est pas viable sur le long terme, et mène à des crises.

 

Si on retrace le chemin qu’empruntent les fonds, on constate qu’ils reviennent de là où ils sont partis, parce que le pays endetté utilise des fonds pour acheter des biens capitalistes produits dans les pays d’où sont originaires les fonds, donc ainsi, l’argent revient, et c’est ainsi que la plus-value est réalisée dans les pays riches. Mais en dernier terme, qui rembourse ces dettes ? Voici la dernière pièce du puzzle, et dans le cas de l’Egypte, la source était l’économie paysanne, donc trois sources de remboursement : la terre, en la vendant aux détenteurs de la dette, deuxièmement par la force de travail, par du travail forcé, et aussi au travers du système de taxes, dans ce cas on ponctionne le produit social total. Donc trois sources possibles de remboursement.

 

Bien que les investissements capitalistes dans les pays étrangers et la demande de ces pays en importation de capital pourraient être saisis comme quelque chose de positif, parce qu’au premier coup d’oeil, ils fournissent les moyens de contribuer au développement de ces pays, dans l’analyse de RL, l’ensemble du schéma fait apercevoir quelque chose de bien plus sinistre : l’extraction de plus-value par le système capitaliste possède également une dynamique de puissances et de domination politique. Quelle est cette dynamique de puissances ? On peut identifier ici la finance comme une tour de contrôle, comme un mode de l’impérialisme. Mais ce qui est particulièrement intéressant, c’est qu’en Egypte, en 1882, l’armée britannique occupe l’Egypte. Quelle coïncidence ! La raison officielle était de réprimer des rébellions, mais en réalité, dans l’analyse de RL, l’occupation était le bras armé de collecteurs de dettes. Ce qui ressort de ces analyses, c’est que la finance est un mécanisme d’extraction de produit social national dans des pays non-capitalistes constituant une base vitale pour l’accumulation capitaliste, et en fait, comme un moyen nécessaire pour éviter une crise structurelle.

 

Le cas de la Grèce l’illustre bien, la propriété de la dette grecque, même si elle a connu plusieurs propriétaires, a été pour la plupart du temps détenu par des fonds étrangers. Pour RL la dette est détenue par un pays qui utilise la finance internationale pour pouvoir réaliser sa plus-value et y empêcher l’apparition d’une crise. Le système ne peut pas supporter qu’une dette ne soit pas payée. En Grèce par exemple, l’enjeu principal était que le pays ne soit pas en faillite. Il ne s’agissait pas, on s’en doute, de venir porter secours à un pays surendetté, mais bien d’assurer aux créanciers qu’ils soient remboursés. Donc on peut alors penser les liens entre ces mécanismes d’extraction financière et l’impérialisme. Ainsi en Grèce, le remboursement était accompagné d’un ensemble de mesures de restriction budgétaires que l’on peut analyser comme une extraction ayant lieu dans une sphère non-capitaliste, en effet, qui en dernier terme paye pour ces dettes ? Pour ce qui est de la Grèce, en passant par les taxes, il s’agissait de la population.

 

Il existe des différences entre le moment où RL écrit et aujourd’hui. Les différences entre l’avant première guerre et aujourd’hui sont le développement de la finance, le rétrécissement des sphères non capitalistes (conséquence de l’expansion du mode de production capitaliste), ce qui fait qu’il est plus dur aujourd’hui de trouver des régions du monde dans lesquelles vous n’avez pas d’économie capitaliste.

 

Il y a une complexité grandissante de la finance. Il y a potentiellement de nombreuses couches d’intermédiaires entre l’extraction domestique de profits, d’une part, et son redéploiement sur les marchés financiers internationaux. C’est pourquoi il n’est pas simple de retracer les circuits que l’argent emprunte et les mouvements qu’il connaît comme pouvait le faire RL. Quand RL écrivait, il n’y avait pas un contexte de coopération internationale, le capital était libre de se mouvoir. Si le capital se déplace aujourd’hui, ce n’est plus aussi simplement, puisqu’il y a des régimes légaux très divers. Un autre point intéressant aujourd’hui c’est le taux d’intérêt. RL ne parle pas vraiment du taux d’intérêt, alors qu’aujourd’hui, le taux d’intérêts est une clé pour comprendre les dynamiques des marchés capitalistes, puisque ces derniers l’utilisent pour savoir combien ils obtiendront en retour, ce qui fait partie du processus d’extraction aujourd’hui.

 

Si vous lisez l’Akk, pensez à sa description de la finance internationale, le lien entre la finance comme moyen d’éviter les crises.

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 L’Accumulation du capital, Contribution à l’explication économique de l’impérialisme est paru aux Editions Agone/Smolny.
 
Agone/Smolny - Préface de Guillaume Fondu et Ulysse Lojkine - Postface de Mylène Gaulard et Loren Goldner - Traduction de l’allemand par Irène Petit et Marcel Ollivier, entièrement revue par Marie Boudoussier
 

« Le capitalisme tend à se répandre sur le globe et à détruire toutes les autres formes économiques, n’en supportant aucune à côté de lui. Et pourtant il est en même temps la première forme économique incapable de subsister seule, à l’aide de son seul milieu. Ayant tendance à devenir une forme mondiale, il se brise à sa propre incapacité d’être cette forme mondiale. Il offre l’exemple d’une contradiction historique qui, à un certain degré de développement, ne peut être résolue que par l’application des principes du socialisme, c’est-à-dire par une forme économique qui est par définition une forme mondiale harmonieuse, fondée sur la satisfaction des besoins de l’humanité travailleuse. »

Ouvrage majeur de Rosa Luxemburg, écrit en 1913, L’Accumulation du capital est le premier texte de l’économie politique marxiste à formuler une théorie d’ensemble de l’impérialisme. En montrant la nécessité inscrite au coeur du mode de production capitaliste de s’étendre à l’échelle du monde en asservissant des territoires non capitalistes et leurs populations, il éclaire les mécanismes qui allaient bientôt déclencher la grande guerre pour le repartage du monde.

Parution : 22/11/2019 - ISBN : 9782748903720 - Format papier : 768 pages - 28.00 € - Format numérique 21.99 €

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30 avril 2020 4 30 /04 /avril /2020 10:48
Rosa Luxemburg, L’Accumulation du capital – Présentation

Rosa Luxemburg, L’Accumulation du capital

Présentation

 2020/05/07 admin https://rednotes.noblogs.org/post/2020/05/07/rosa-luxemburg-laccumulation-du-capital-presentation/

Voici un aperçu général de la structure et des développements de l’Accumulation du capital. Rappelons tout d’abord de manière synthétique la thèse centrale de Rosa Luxemburg. Elle identifie une dynamique du capital qui se situe au croisement du processus général d’accumulation du capital et de l’expansion géographique. Cette dynamique provient d’une tendance chronique à produire des crises de suraccumulation, qui implique que le capitalisme a constamment besoin d’ouvrir de nouveaux territoires, ou plus généralement, conquérir des marchés qui échappent encore au rapport social capitaliste avec pour seul finalité : éviter la crise. Cette constante sortie de lui-même est une nécessité pour la survie de ce système économique, elle constitue sa spécificité par rapports aux autres modes de production, tout en manifestant son impossibilité à perdurer indéfiniment. La thèse de Rosa Luxemburg se résume comme il suit :

Le processus de la production capitaliste est dominé par le profit. Pour chaque capitaliste la production n’a de sens et de but que si elle lui permet d’empocher tous les ans un « bénéfice net », c’est-à-dire le profit qui subsiste après déduction des frais de renouvellement du capital, mais la loi fondamentale de la production capitaliste, à la différence de toute autre forme économique fondée sur l’exploitation, n’est pas simplement la poursuite d’un profit tangible, mais d’un profit toujours croissant. À cette fin le capitaliste, à la différence essentielle des autres types historiques de l’exploiteur, utilise le bénéfice qu’il tire de l’exploitation, non pas exclusivement ni même d’abord pour son luxe personnel, mais toujours davantage pour augmenter le taux de l’exploitation. La plus grande partie du profit obtenu devient du capital nouveau et sert à élargir la production. Le capital s’amoncelle ainsi, il est, selon l’expression de Marx, « accumulé » et — condition première aussi bien que conséquence de l’exploitation — la production capitaliste s’élargit indéfiniment.1

Le livre se décompose en trois parties. Tout d’abord, l’exposé du problème d’un point de vue « logique », dans le cadre d’un capitalisme pur, puis Rosa Luxemburg examine comment ce problème a été posé dans l’économie politique au travers de polémiques sur des périodes historiques, et finalement Rosa Luxemburg se demande comment le capital, historiquement, a pu tout de même accumuler autant. La division générale du livre est en 32 chapitres. Enfin, on trouve dans ce volume édité par les éditions Smolny et Agone, « L’Anticritique », les réponses de Rosa Luxemburg aux critiques qui lui avaient été faites, après la parution de son livre, notamment par Karl Kautsky et Otto Bauer.

I-Le problème de la schématisation de la reproduction

Rosa Luxemburg commence à définir les contours du problème (chapitre 1-7). Rosa Luxemburg part des schémas du Livre II du Capital qui posent le problème de la reproduction, c’est-à-dire, le rapport entre les cycles production-consommation-année suivante. Dans cette formalisation, au terme du processus de reproduction, la société doit avoir produit de quoi renouveler ses machines et nourrir sa population, ouvriers et capitalistes.

Dans les chapitres 1-3, Rosa Luxemburg réinscrit Marx dans la tradition économique, Quesnay, Smith et Ricardo pour montrer la spécificité de sa contribution. Dans le chapitre 4, Rosa Luxemburg pose donc les garanties formelles de la reproduction, comme étant celle des rapports entre secteur I et II.

Son analyse est fondée sur une analyse critique des schémas de reproduction de Marx contenus dans le Livre II du Capital, ce sont des arguments techniques, mais pour résumer on peut dire que dans le Livre II, il y a le circuit du capital dans le contexte d’une reproduction simple, dans lequel il n’y a pas de réinvestissement par les capitalistes dans de nouveaux moyens de production. Dans ce cas, toute la plus-value qui a été extraite du travail est dépensée en biens de consommation, notamment de luxe. Dans ce schéma, l’ensemble de l’économie se reproduit, mais reste inchangée dans son échelle et ses proportions. D’un autre côté, vous avez la reproduction dite élargie, dans laquelle une portion de la plus-value est réinvestie ce qui permet au système de s’agrandir en termes de proportions. Et c’est alors que vous arrivez à une situation où la plus-value est réinvestie mais où la composition du capital est changeante : c’est-à-dire qu’il y a de plus en plus de réinvestissement dans des moyens de production. Et c’est une situation où Rosa Luxemburg identifie un problème dans la réalisation de la plus-value. Donc si le système économique est fermé il ne peut pas perdurer.

A partir du chapitre 7, Rosa Luxemburg expose la spécificité de l’accumulation capitaliste. Elle boutit à la conclusion que le degré de généralité des schémas de reproduction ne permet pas de penser la spécificité du mode de production capitaliste. En ressort la condition de l’accumulation : la réalisation de la survaleur produite (conversion M-A) qui pourra ensuite être capitalisée. Donc il faut une demande pour les marchandises additionnelles produites.

Rosa Luxemburg cherche à démontrer logiquement l’impossibilité de cette réalisation dans un système capitaliste clos. Elle montre l’insuffisance de la solution de Marx (chapitres 8 et 9). Il ne s’agit plus de poser la question comme Marx le faisait en terme de monnaie excedentaire permettant l’accroissement de la demande solvable, et de chercher alors des « sources de monnaie »2, mais bien plutôt de considérer que cet accroissement est rendu possible par des « besoins économiques réels ».

C’est la partie qui sera tout d’abord la plus débattue après sa parution en 1913. On y voyait un problème formel de la réalisation de la survaleur (schémas de reproduction). L’impossibilité du développement endogène du capitalisme serait postulée et non démontrée.

II-Tentatives de résolution du problème dans le champ de l’économie politique

Dans la deuxième partie, l’exposé historique du problème correspond à une discussion dans le cadre de trois polémiques distinctes portant sur trois périodes historiques différentes au sujet du problème de l’accumulation. Chacune des polémiques est menée dans un contexte différent, mais sont toutes structurées de la même manière. On retrouve constamment, pour l’essentiel, deux camps, d’une part les harmonicistes bourgeois pour qui l’offre et la demande finissent toujours par coïncider, et d’autre part ceux qui estiment que le problème se situe au niveau de la réduction de la part des salaires dans le produit social global.

Les deux premières controverses apparaissent suite à d’importantes crises économiques. Tout d’abord les premières crises en Angleterre (1815-1819), puis les crises entre 1837 et 1857 partant des Etats-Unis. Enfin, la dernière polémique porte sur la Russie pendant les deux dernières décennies du XIXe siècle. Rosa Luxemburg montrera l’insuffisance de toutes les solutions des économistes qui se sont confrontés au problème, avant Marx, après lui et par ceux qui s’en réclament.

La première polémique (chapitres 10-14) a lieu entre Sismondi et Malthus VS Ricardo, McCulloch, Say. Cette polémique est née suite aux crises des années 1815-1818-1819 en Angleterre. Ces deux premières crises furent d’une part de surproduction (les marchandises ne se vendaient pas) et d’autre part, humanitaires : la ruine de l’artisanat, le dépeuplement de la campagne, la prolétarisation des couches moyennes, la paupérisation des ouvriers, leur éviction par les machines, le chômage, etc3.

Pour Sismondi la source de tous les maux est la disproportion entre la dynamique d’accumulation et la répartition du revenu qu’elle conditionne4. Mais c’est une manière macro-économique de poser le problème qui n’est pas toujours adoptée, notamment par Jean-Baptiste Say, pour qui tout se résoud au niveau d’échanges interindividuels, que des crises proviennent d’une disharmonie ponctuelle entre les volontés des individus. Rosa Luxemburg montre les erreurs de l’harmonicisme, mais surtout relève le fond commun que tous les auteurs engagés dans la polémique partagent : le dogme de Smith, l’idée selon laquelle la production annuelle d’une économie se décompose en salaires, profits et rentes foncières. La spécificité de la contribution de Marx est d’avoir aperçu qu’ils ne prenaient pas en compte le capital constant (machines). La conclusion que tire Rosa Luxemburg est qu’ il faut partir à la fois de la nature contradictoire du mode de producton capitaliste et de son histoire effective, puisque toute compréhension de la dynamique du capitalisme n’est compréhensible que dans les rapports qu’il entretient avec les autres modes de production, et plus généralement avec les autres formes de l’activité sociale pas encore soumises à la valorisation du capital.

Deuxième controverse (chapitres 15 à 17) a lieu entre Rodbertus et von Kirchmann. Les crises de 1837, 1839, 1847 et 1857 laissaient voir encore des contradictions internes du développement capitaliste qui démentirent encore une fois les doctrines de l’harmonie. Rodbertus fournira une analyse semblable à celle de Sismondi : que la part du salaire dans le produit national est toujours plus petite. Von Kirchmann estimera que les crises sont provoquées par manque de débouchés, non pas une production insuffisante, mais une vente insuffisante5. Premiers représentants du réformisme au sens où limitation par voies juridiques et légales de l’accumulation, régulation « par l’extérieur ».

Pour Von Kirchmann, il faut que les capitalistes dépensent plus dans le luxe pour absorber l’excédent, qu’ils « renoncent à l’accumulation » et Rodbertus, comme Sismondi : il faut que les ouvriers soient mieux payés pour réajuster la part des salaires dans le produit global. Ajustement du salaire sur la productivité du travail. Mais les crises sont une forme du mouvement de la reproduction du capital, et aucun renoncement à l’accumulation qu’il soit forcé par la légalité ou le résultat d’une contrition des capitalistes n’y changera rien6.

La troisième controverse (chapitres 18-24) a lieu entre Struve, Boulgakov, Tougan Baranovski contre Danielson et Vorontsov et porte sur la Russie pendant les deux dernières décennies du XIXe siècle. La question est de déterminer su le capitalisme peut se développer dans l’économie semi-féodale de la Russie. D’un côté, il y a les populistes russes, dont Danielson et Vrontsov : ceci n’est pas nécessaire, il faut s’appuyer sur les masses paysannes et leurs institutions soi-disant égalitaires, l’obchtchina, comme point de départ d’un socialisme sans passer par le capitalisme. Un débat qui est marqué par la parution en Russie du Livre II du Capital en 1885 par Danielson, ce qui change fortement la nature du débat.

De l’autre côté, pour les marxistes légaux (parce qu’autorisés par le régime tsariste, Struve, Boulgakov, Tougan Baranovski), ce développement est nécessaire. Tougan Baranoski affirme que la demande de machine viendra stimuler l’accumulation et développer le secteur I, même s’il y a régulièrement des crises de disproportion entre les deux secteurs, le capitalisme créé un marché sans limites et au final, comme chez Say et Ricardo, un équilibre naturel se forme entre offre et demande. Mais en voulant montrer que capitalisme pouvait s’imposer en Russie, ils ont fini par prouver qu’il était éternel7.

III-Le procès historique d’accumulation du capital

Dans les chapitres à 25-32, Rosa Luxemburg poursuit sa réflexion. La contradiction fondamentale identifiée entre la capacité de production et la capacité de consommation ne peut pas être résolu par le schéma de la reproduction élargie, donc sa résolution doit être trouvée à l’extérieur. Rosa Luxemburg entreprend d’examiner la manière dont le capitalisme ne cesse de sortir de lui-même pour aller parasiter les diverses formes non capitalistes de l’activité sociale. Et cela tombe bien, historiquement, au départ, le capitalisme se trouve dans un milieu social non capitaliste, milieu féodal en Europe, puis dans une économie marchande « simple », le milieu paysan et artisan, et les vastes régions géographiques aux diverses formations sociales.

Le problème de la réalisation de la survaleur est résolu par l’extorsion violente de valeur dans les sociétés périphériques ou dans les fractions de l’activité économique qui échappe encore au rapport social cap. L’expropriation n’est pas seulement le moment de l’accumulation dite primitive, avec les enclosures (enrichissement et prolétarisation), mais c’est un processus permanent, comme le rappelleront Mylène Gaulard et Loren Goldner dans la postface.

L’anthropologie marxiste à partir des années 60 s’est concentrée sur la troisième partie. Un courant se dresse alors contre une approche quantitative des rapports d’échange inégal entre centre et périphérie, ils vont suivre cette intuition de Rosa Luxemburg et proposer une approche qualitative.

Dans le chapitre 27, Rosa Luxemburg analyse le rapport entre mode de production capitaliste et mode de production non-capitaliste en terme de « métabolisme » :

Si le capitalisme vit des formations et des structures non capitalistes, il vit plus précisément de la ruine de ces structures, et s’il a absolument besoin pour accumuler d’un milieu non capitaliste, c’est qu’il a besoin d’un sol nourricier aux dépens duquel l’accumulation se poursuit en l’absorbant. Vue dans une perspective historique, l’accumulation capitaliste est une sorte de métabolisme entre les modes de production capitaliste et précapitaliste.8

Rosa Luxemburg suit une taxinomie des sociétés que l’on retrouve dans l’histoire de l’évolution des rapports entre mode de production capitaliste et mode de production non-capitaliste : économie naturelle, économie marchande simple, la troisième, le capitalisme, la production marchande avec capitalisation de plus-value9.

Au départ, il y a une société d’économie naturelle n’a pas besoin de marchandises étrangères ; la production est domestique, close et autosuffisante. Dans son extension première, le capital peut rencontrer des résistances puisqu’il opère une dissolution des liens de « l’économie naturelle », la liaison organique et réciproque entre terre et hommes et hommes entre eux. La destruction se fait par institution de la propriété privée de la terre, comme par exemple, la France en Algérie. Il s’agit de privatiser pour faire de ces propriétés des cibles potentielles du capitalisme. Il est possible alors d’entrer dans la production marchande simple, là où différentes unités de production sont reliées par l’échange monétaire, mais où il n’y a pas encore ni de salariat et ni d’accumulation.

Dans le chapitre 28, Rosa Luxemburg analyse quand le capitalisme s’impose par la violence (comme par les Guerres de l’opium), il y a des résistances. Les révolutions permettent de briser les formes d’État périmées10.

Dans le chapitre 29, Rosa Luxemburg analyse la lutte contre l’économie paysanne : les rapports capitalistes s’imposent en dehors des lois du marché, expropriation, guerre, résultat : séparation agriculture et artisanat, fermiers deviennent ouvriers agricoles = prolétaires.

Dans cette partie, il est très important de remarquer que la question des débouchés n’apparaît qu’à la fin (chapitres 30-32) : puisque la réalisation de la survaleur non consommée à l’extérieur n’est qu’un terme ultime du rapport qui s’est développé entre les sociétés non capitalistes et capitalistes. C’est seulement à ce moment, celui où le capitalisme est déjà en train de s’établir en périphérie, que Rosa Luxemburg emploie le terme d’impérialisme : « celui-ci se manifeste par l’exportation des capitaux du centre vers les nouvelles sociétés capitalistes »11, il utilise le militarisme, les emprunts et les investissements dans les infrastructures.

Rosa Luxemburg va analyser cette ultime phase qui consiste en l’industrialisation des pays aux dépens desquels le capital réalisait jusque-là sa survaleur. Les méthodes spécifiques de cette phase sont les emprunts internationaux, la construction de chemin de fer, les révolutions et les guerres. La période caractéristique de ce phénomène s’étend de 1900 à 1910.

Les emprunts servent à acheter du capital productif dans les pays d’où le capital provient à l’origine, et c’est ainsi que la survaleur est réalisée, et contribue au processus d’accumulation. Tout d’abord les profits sont extraits de la force de travail d’un pays capitaliste développé, mais au lieu d’être redéployés dans ce même pays, ils sont transformés en argent prêté, en de la dette, dans d’autres pays encore peu développés. Ces pays l’utilisent alors pour acheter des biens capitalistes importés, ainsi les fonds se transforment ainsi en capital productif. Et ceci fournit en plus les moyens aux pays encore peu développés industriellement d’acheter de l’équipement, et de développer leur infrastructure industrielle, faisant s’accélérer le procès d’expansion du capital.

Cette édition établie à partir des différents appareils critiques (allemands, anglais et français, de l’édition Maspero) permet au lecteur de saisir, au moyen d’un appareil critique de notes, tout aussi précis que réduit au minimum, tous les enjeux du texte. La préface permet de lire l’ouvrage dans son contexte de production et expose les étapes de sa réception, une réception qui s’est concentrée dans un premier temps sur les schémas de reproduction et leur validité, une discussion de théorie économique. Puis les préfaciers exposent quels usages il en a été fait, par les keynésiens et l’anthropologie marxiste (par la question des sociétés non-capitalistes). La postface expose son actualité et sa pertinence par rapport aux économistes aujourd’hui, notamment le fait que Rosa Luxemburg n’est pas à ranger dans les sous-consommationnistes keynésiens, et qu’elle permet de penser les tensions internationales aujourd’hui et surtout la question de la dette.

L’analyse par Rosa Luxemburg des investissements capitalistes dans les pays étrangers et la demande de ces pays en importation de capital permet d’apercevoir quelque chose de bien sinistre : l’extraction de survaleur par le système capitaliste possède également une dynamique de puissances et de domination politique. On peut estimer que la finance joue alors le rôle d’une tour de contrôle, qu’elle est un mode de l’impérialisme.

Ce qui ressort de analyses de Rosa Luxemburg, c’est que la finance est un mécanisme d’extraction de produit social national dans des pays non-capitalistes constituant une base vitale pour l’accumulation capitaliste, et en fait, est un moyen nécessaire pour repousser une crise structurelle. Ce qui a été démontré comme une impossibilité « abstraite », une contradiction logique (dans la première partie), ne peut se résoudre que par la force et la violence, par l’extorsion permanente, l’accumulation primitive permanente, nous laissant face à l’alternative socialisme ou barbarie que Rosa Luxemburg avait énoncé dans la Brochure de Junius.

1Rosa Luxemburg, L’Accumulation du capital, Œuvres complètes, Tome V, Agone-Smolny, novembre 2019, p. 495.

2Ibid. p. 141.

3Ibid. p. 166.

4Ibid. p. 167.

5Ibid. p. 225.

6Ibid. p. 269.

7Ibid. p. 336.

8Ibid. p. 434.

9C’est une taxinomie que Rosa Luxemburg expose notamment dans l’Introduction à l’économie politique mais de manière différente et en certains points, plus approfondie.

10Ibid. p. 437.

11Ibid. p. XXXII.

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 L’Accumulation du capital, Contribution à l’explication économique de l’impérialisme est paru aux editions Agone/Smo,y
 
Agone/Smolny - Préface de Guillaume Fondu et Ulysse Lojkine - Postface de Mylène Gaulard et Loren Goldner - Traduction de l’allemand par Irène Petit et Marcel Ollivier, entièrement revue par Marie Boudoussier
 

« Le capitalisme tend à se répandre sur le globe et à détruire toutes les autres formes économiques, n’en supportant aucune à côté de lui. Et pourtant il est en même temps la première forme économique incapable de subsister seule, à l’aide de son seul milieu. Ayant tendance à devenir une forme mondiale, il se brise à sa propre incapacité d’être cette forme mondiale. Il offre l’exemple d’une contradiction historique qui, à un certain degré de développement, ne peut être résolue que par l’application des principes du socialisme, c’est-à-dire par une forme économique qui est par définition une forme mondiale harmonieuse, fondée sur la satisfaction des besoins de l’humanité travailleuse. »

Ouvrage majeur de Rosa Luxemburg, écrit en 1913, L’Accumulation du capital est le premier texte de l’économie politique marxiste à formuler une théorie d’ensemble de l’impérialisme. En montrant la nécessité inscrite au coeur du mode de production capitaliste de s’étendre à l’échelle du monde en asservissant des territoires non capitalistes et leurs populations, il éclaire les mécanismes qui allaient bientôt déclencher la grande guerre pour le repartage du monde.

Parution : 22/11/2019 - ISBN : 9782748903720 - Format papier : 768 pages - 28.00 € - Format numérique 21.99 €

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30 avril 2020 4 30 /04 /avril /2020 09:54
Démonstration de rue - Władysław Skoczylas (1905)

Démonstration de rue - Władysław Skoczylas (1905)

Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9volution_polonaise_de_1905

 

La révolution polonaise de 1905 est en résonance avec la révolution russe de 1905. Le massacre des manifestants à Saint-Pétersbourg le 22 janvier 1905 et l’indignation qu’il suscite à travers tout l'Empire russe, marquent le début de la révolution dans les territoires polonais incorporés définitivement dans la Russie après l'écrasement de l'insurrection de 1863 appelés dédaigneusement"pays de la Vistule". De nombreuses manifestations sont organisées spontanément et la grève générale est proclamée. Dès le début, le mouvement prend un caractère violent, les affrontements entre les manifestants et l’armée du tsar font des centaines de morts et des milliers de blessés1. Aux revendications communes à l’ensemble des sujets de l’Empire, les insurgés polonais ajoutent une dimension nationale et culturelle. Ils réclament à la fois l’amélioration des conditions de vie des travailleurs et les libertés politiques, notamment liées à l'autonomie accrue de la Pologne. Le pays est au bord d'une guerre civile2. L’insurrection de Łódź (en) de juin 1905 où les ouvriers érigent des barricades et résistent avec des armes aux troupes régulières du tsar pendant plusieurs jours, est l’un des événements majeurs de cette période. Certains historiens polonais considèrent ces événements comme un quatrième soulèvement polonais contre l'Empire russe.

Prélude

La récession de 1901-1903 et la détérioration des conditions économiques contribuent à la montée des tensions politiques dans l'Empire russe, y compris en Pologne. La guerre russo-japonaise impacte fortement l'économie des territoires polonais. À la fin de 1904, plus de 100 000 ouvriers polonais perdent leur emploi et ceux qui la réussissent à le garder doivent accepter une baisse sensible de salaire.2 L'enrôlement forcé dans l'armée russe et les politiques de russification aggravent encore les tensions.

Le 13 novembre 1904 pendant une manifestation à Varsovie, les gendarmes russes tuent six manifestants et en blessent des dizaines. Les nouvelles de la révolution russe et en particulier du Dimanche sanglant à Saint-pétersbourg, où les manifestants se font massacrer le 22 janvier 1905 sur l'ordre du tsar, se répandent rapidement à travers l'Empire et parviennent en Pologne. Tous les partis politiques polonais (qui fonctionnent alors dans la clandestinité) appellent à la grève générale. Une vague de révoltes soulève le pays.

Mais au-delà de l'hostilité commune au gouvernement du tsar, les révolutionnaires polonais sont très divisés idéologiquement et tactiquement. La faction révolutionnaire du Parti Socialiste Polonais (PPS-Frakcja Rewolucyjna) de Josef Pilsudski estime que les Polonais doivent montrer leur détermination à retrouver leur indépendance à travers des opérations militaires et des attentats contre les Russes5,6. Ce point de vue n'est pas partagé par le Parti national démocrate de Roman Dmowski6 qui cherche à obtenir un compromis du tsar sous la forme d’une fédération. En novembre 1906, un petit groupe de militants du PPS fait scission et forme l'Aile gauche du Parti Socialiste Polonais (PPS-Lewica). Ils considèrent que l'avènement du socialisme est plus important que l'indépendance polonaise et veulent collaborer avec les révolutionnaires russes. PPS-Lewica se rapproche aussitôt de la Social-démocratie du royaume de Pologne et de Lituanie (SDKPiL).

La révolution

Le 28 janvier 1905, le PPS et la SDKPiL appellent à la grève générale, dans toute la Pologne. Plus de 400 000 travailleurs entament une grève de quatre semaines.

Toutes ces manifestations ne sont encore qu'un prélude à une série de grèves encore plus massives qui secouent la Pologne l'année suivante. En 1905 et 1906, on compte près de 7 000 grèves et arrêts de travail, suivis par 1,3 million de Polonais7. Selon des données incomplètes, en 1905 il y a plus de 800 000 grévistes et en 1906 ils sont environ 500 0008. Les grèves, notamment à Varsovie et à Lodz, ainsi que les révoltes paysannes, atteignent et même dépassent, par leur ampleur, ceux des centres révolutionnaires de Russie9.

Les manifestants exigent à la fois de meilleures conditions de travail et davantage de libertés politiques.

En février, les étudiants se joignent aux grévistes et participent aux manifestations pour protester contre la russification et réclamer le droit d'apprendre en polonais. Ils sont rejoints par des lycéens et même certains élèves des écoles élémentaires10. Ils demandent la suppression de la surveillance policière des écoles, la suppression des restrictions religieuses, nationales et sociales pour les élèves et les enseignants, l'élimination de la discrimination à l'égard des filles, l'octroi à la jeunesse du droit à former des associations et l'introduction d'une école primaire universelle, gratuite et obligatoire. En un mois, des grèves touchent des lycées dans de nombreuses villes polonaises notamment à Częstochowa, Kalisz, Kielce, Łomża, Łódź, Piotrków, Radom, Pułtusk, Siedlce et Suwałki. Toutes les forces politiques, du PPS au parti national démocrate de Roman Dmowski, en passant par la SDKPiL et le Bund (Union générale des travailleurs juifs) se joignent au mouvement de boycott des écoles russes.

Dans un premier temps, les autorités tsaristes réagissent en fermant les écoles et en menaçant les jeunes d'expulsion. Devant l'ampleur du mouvement, en avril 1905, elles cèdent et autorisent l'introduction du polonais dans les écoles publiques.

Cependant les revendications des travailleurs ne sont toujours pas satisfaites. Dans certaines régions, les grèves durent près de trois ans. Les célébrations du Ier mai 1905 jour de la fête du travail, tournent au bain de sang ː une trentaine de personnes sont abattues lors d'une manifestation à Varsovie11.

Le 18 juin 1905, la police russe ouvre le feu sur l'une des nombreuses manifestations pacifiques de travailleurs à Łódź et tue des travailleurs juifs. Selon la rumeur qui se propage immédiatement, les autorités auraient enterré leurs corps la nuit dans des tombes anonymes, par crainte de nouvelles manifestations massives qui se seraient certainement produites lors des funérailles. La nouvelle met le feu aux poudres. Linsurrection de Lodz est marquée par plusieurs jours de combats à l'intérieur de la ville et fait plus de 2 000 victimes.

Diverses manifestations et grèves ont lieu dans les principales villes polonaises sous contrôle russe tout au long de l'année. Le gouvernement russe contribue au chaos en tentant d'inciter certains pogroms anti-juifs comme celui de Bialystok.

L'établissement de la République de Zaglebie (pl) en octobre 1905, un socle socialiste polonais centré sur les houillères de Dabrowa Gornizza, Sosnowiec, Bedzin et Czeladz est un autre événement notable. Un État socialiste similaire, la République d'Ostrowiec (pl) autour de la ville d'ostrowiec Swietokrzyski est proclamé, de la fin décembre 1905 à la mi-janvier 1906.

Le 10 novembre 1905, la loi martiale est introduite et l'armée russe commence à réprimer la révolution. Malgré l’état d’urgence, l’élan révolutionnaire se maintint encore pendant quelques mois. Les tribunaux militaires mis en place en septembre prononcent de nombreuses condamnations à mort. En 1906-07, les dernières grèves réunissent moins de militants mais encore plus déterminés, dont le célèbre lock out de Łódź suite à la grève dans la manufacture d'Izaak Poznański. En décembre 1906, sept industriels de Lodz déclarent le lock-out et quittent la ville pour Berlin, en laissant 25 000 ouvriers et leurs familles sans moyens de subsistence en plein hiver. La grève brisée par la faim, les machines se remettent en mouvement seulement en avril 1907.

Conséquences

La révolution polonaise marque la naissance d'un puissant mouvement ouvrier dans les villes et de coopératives paysannes dans les campagnes. Elle est également à l’origine de l'émergence d'un système moderne de partis politiques.

Soumis à la pression des événements, le tsar se décide à instaurer une assemblée représentative de l’Empire. En avril 1906, un premier parlement russe avec des pouvoirs limités (la Douma) est établi en Russie. Aux premières élections, les Polonais, tous issus du parti national démocrate de Roman Dmowski, emportent l'ensemble des 34 mandats alloués aux terres polonaises. Estimant que les Polonais doivent se battre pour leur droits par la voie démocratique, ils se regroupent dans le Cercle Polonais présidé par Jan Harusewicz, et exigent l'autonomie polonaise et des reformes.

Ainsi, les Polonais obtiennent un assouplissement significatif de la politique de russification, notamment dans l'enseignement privé et la permission de créer et légaliser des associations scientifiques et culturelles polonaises. La censure diminue et le mouvement syndical est légalisé.

Cependant, la plupart de ces gains sont de courte durée.

Les dirigeants de SDKPiL ː Rosa Luxemburg, Leo Joguiches, Julian Marchlewski, Karl Radek et Władysław Feinstein, quittent la Pologne pour Berlin qui, à partir de 1907, devient le siège officiel de la direction du parti12.

Notes et références

- Jean-François Fayet, « 1905 de Varsovie à Berlin, La polonisation de la gauche radicale allemande », Cahiers du monde russe, vol. 48, nos 2-3,‎ 2007, p. 413-426

 

- (en) Abraham Ascher, The Revolution of 1905: Russia in Disarray, Stanford University Press, 1994 (ISBN 0-8047-2327-3, lire en ligne [archive]), p. 157-158

 

- (pl) « Rewolucja 1905-07 na ziemiach polskich » [archive], sur Interia Encyklopedia (consulté le 1er octobre 2018).

 

- Stanisław Kalabiński et Feliks Tych, Czwarte powstanie czy pierwsza rewolucja? Lata 1905-1907 na ziemiach polskich (Quatrième insurrection ou première révolution ? Les années 1905-1907 en terres polonaises), Varsovie, Wiedza Powszechna, 1969

 

- (en) Adam Zamoyski, The Polish Way A Thousand-Year History of the Poles and their Culture, Londres, John Murray Ltd, 1987 (ISBN 0-7195-4674-5), p. 330

 

- (pl) Bohdan Urbankowski, Józef Piłsudski: marzyciel i strateg, Varsovie, Wydawnictwo ALFA, 1997 (ISBN 83-7001-914-5), p. 118

 

- Natalia Pochroń, « Rewolucja 1905 roku w Królestwie Polskim: „Precz z wojną i caratem! Niech żyje wolny polski lud!” » [archive], sur histmag.org, Magazyn Historyczny, 2020

 

- « Rewolucja 1905–1907 na ziemiach polskich » [archive], sur sztetl.org.pl, Musée Polin - Virtualny Sztetl

 

- Jawad Daheur, « Crise socio-environnementale et banditisme : une affaire de piraterie fluviale en Pologne à la fin du XIXe siècle », Le mouvement social, no 264,‎ juillet-septembre 2018, p. 93-111

 

- « Chronologie Pologne - De la mort à la résurrection de l’État polonais (1795-1921) » [archive], sur https://www.clio.fr/ [archive] (consulté le 1er octobre 2018)

 

- Jean-François Fayet, « 1905 de Varsovie à Berlin » [archive], sur https://journals.openedition.org [archive], Cahiers du monde russe, 1er janvier 2007 (consulté le 1er octobre 2018)

 

- Jean-François Fayet, « 1905 de Varsovie à Berlin, La polonisation de la gauche radicale allemande », Cahiers du monde russe, vol. 48, nos 2-3,‎ 2007

Sources

Sur les autres projets Wikimedia : Histoire de la Révolution russe (1905-1917), sur Wikisource

Sur les autres projets Wikimedia : Révolution polonaise de 1905, sur Wikimedia Commons - Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Revolution in the Kingdom of Poland (1905–07) » (voir la liste des auteurs).

 

Witold Wojtkiewicz manifestation en 1905

Witold Wojtkiewicz manifestation en 1905

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25 avril 2020 6 25 /04 /avril /2020 11:29
Rosa Luxemburg lors de la Conférence internationale des femmes socialistes - Von Herbert Hoffmann - http://germanhistorydocs.ghi-dc.org/sub_image.cfm?image_id=1665&language=english, Gemeinfrei, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=31135743

Rosa Luxemburg lors de la Conférence internationale des femmes socialistes - Von Herbert Hoffmann - http://germanhistorydocs.ghi-dc.org/sub_image.cfm?image_id=1665&language=english, Gemeinfrei, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=31135743

"Ainsi va cette année le 1er mai, animé par un nouveau souffle puissant, accueilli de nouveau, comme à ses débuts, par la haine et la peur de la bourgeoisie et par l’enthousiasme et la volonté de lutter des masses prolétaires."

A  propos de ce texte : Tout au long de sa vie, Rosa Luxemburg a accordé la plus grande des attentions au 1er mai. A plusieurs reprises, elle s’est battue pour son maintien. Ainsi dans les années 1907 à 1911. En effet, les textes de cette période s’inscrivent dans une discussion visant, en particulier au sein du parti ouvrier allemand, à la suppression de cette journée de lutte: ceci était proposé essentiellement par le mouvement syndical et l’aile réformiste du parti social-démocrate. Au contraire, Rosa Luxemburg, vient de vivre la révolution russe de 1905, elle a écrit son livre majeur sur la grève de masse et met en évidence l’importance de chaque initiative des prolétaires dans le processus révolutionnaire face à la dépossession de ces luttes par ceux qui prétendent le représenter. Elle voit dans la fête du 1er mai une manifestation importante en tant qu’elle est l’une des seules manifestations directes des masses et multipliera les articles, textes pour la défendre.

1907 . La fête du 1er mai

Die Gleichheit, 17e année, Nr 9, Page 71. Traduction Dominique Villaeys-Poirré, 1er mai 2015

 

Le 1er mai est un élément historique et vivant du combat international des prolétaires et reflète de ce fait fidèlement tous les moments de ce combat depuis près de 20 ans. Vu de l’extérieur, c’est la répétition monotone des mêmes discours et articles, des même revendications et résolutions. C’est pourquoi, ceux dont le regard ne reste qu’à la surface figée des choses et ne perçoivent pas le devenir imperceptible interne des situations, pensent que le 1er mai a perdu son sens du fait de cette répétition, qu’il est pratiquement devenu « une manifestation vide de sens ». C’est seulement derrière cette apparence extérieurement semblable que bat le pouls divers du combat prolétaire, le 1er mai vit avec le mouvement ouvrier et change en fonction de lui, reflète dans ses propres contenus, sa propre atmosphère, ses propres tensions, les situations changeantes du combat de classe.

 

La fête du 1er mai a connu trois grandes phases dans son histoire. Les premières années, alors qu’elle devait se frayer un chemin, elle a été accueillie par les prolétariats de tous les pays avec beaucoup d’espoir et d’enthousiasme. La classe ouvrière intégrait une nouvelle arme dans son équipement et les premiers essais pour utiliser cette arme ont galvanisé le sentiment de force et l’ardeur à combattre de millions d’exploités et d’opprimés. De son côté la bourgeoisie de tous les pays l’accueillait avec la plus grande des peurs et la plus profonde haine. La pensée de la manifestation internationale socialiste lui apparaissait comme le spectre de l’ancienne Internationale tant haïe, la décision d’une fête commune de tous les travailleurs du monde comme le glas de la domination bourgeoise. D’où les tentatives ridicules des première années de réprimer le danger du 1er mai par la violence policière et militaire. A la tète de cette colonne armée de la bourgeoisie effrayée, se précipita la « république libre » française, et seulement après elle l’absolutisme tsariste. Le sang prolétarien pour un premier mai coula d’abord à Fourmies en 1891, suivit en 1892 une répression sanglante à Lodz en 1892.

 

Mais bientôt les classes dirigeantes se calmèrent et reconnurent le caractère purement démonstratif du 1er mai. D’autre part s’installait une longue période de combat essentiellement parlementaire et la construction tranquille des organisations politiques et syndicales. L’année de naissance du 1er mai apporta en Allemagne la fin des « Lois contre les socialistes », en 1893, le prolétariat de Belgique et en 1896 celui d’Autriche entrèrent au parlement. Les années 90 représentèrent une période de travail syndical acharné et de montée irrésistible de la représentation de la classe ouvrière au parlement. Face au combat pour le représentation des travailleurs dans les parlements, les manifestations des travailleurs eux mêmes reculèrent dans l’ombre, de même que, face à l’action positive et la construction des partis ouvriers dans chaque pays, l’idée de communauté internationale du prolétariat. Le 1er mai devient peu à peu une fête pacifique que la société bourgeoise regarde avec une certaine sérénité.

 

Dans les dernières années, on constate une évolution sensible de la situation de la classe ouvrière. Un fort vent souffle de nouveau sur le champ des luttes. A l’est, la grande révolution russe. En Allemagne une aggravation et une exacerbation du combat politique et économique : une du prolétariat dans l’industrie et une union de tous les partis bourgeois pour exclure la classe ouvrière du parlement. En France, une croisade brutale du gouvernement « radical » contre les syndicats et une série de combats désespérés pour les salaires. Exaspéré par la progression puissante des organisations prolétariennes de ces 15 dernières  années, effrayé par la révolution russe, le capitalisme international devient nerveux, servile, agressif.

 

Et de ce fait commence pour la fête du 1er mai une nouvelle phase. A partir de l’idée de la possibilité d’une manifestation directe de la masse des prolétaires qui la caractérise, – la seule action politique directe en dehors des élections – elle se sent investie de nouveaux contenus, d’un nouvel esprit, dans la mesure où l’exacerbation des combats de classe place les masses prolétaires de nouveau de plus en plus au premier rang . Plus la réaction, la violence de la bourgeoisie dans les domaines politiques, économiques dispute aux intérêts prolétariens chaque pouce de terrain, plus s’approchent les temps où les masses prendront leur sort en mains, où elles devront en personne combattre pour les intérêts de leur libération de classe. Se préparer à ces temps inévitables à court ou long terme, s’armer pour ces temps de la conscience de ses propres devoirs et de sa propre puissance, c’est actuellement la tâche du prolétariat et pour cela la fête du 1er mai en tant que manifestation directe des masses constitue un moyen pour arriver à cela. En Allemagne, la réponse à l’échec parlementaire de la social-démocratie doit être une fête du 1er mai imposante. La masse des travailleurs doit répondre à la masse unie réactionnaire de la bourgeoisie : vous voulez chasser nos représentants par votre législation, vous voyez que nous sommes nous-mêmes plus décidés, plus unis, plus combattifs.

 

Un autre élément du 1er mai vient au premier plan avec une force renouvelée: l’internationalisme de la cause ouvrière. Tant que le combat de classe jouit dans chaque pays d’un minimum d’apparence de liberté démocratique, le prolétariat est dominé par les caractéristiques de celui-ci et par les divisions nationales. Cependant, dès que la violence fondamentale du combat de classe monte des profondeurs de la société capitaliste vers la surface, dès que le combat atteint les limites de l’affrontement des masses avec les puissances dominantes, l’idée d’un prolétariat mondial unique et indivisible renaît avec une force accrue. Les préparatifs de la bourgeoisie pour le 1er mai rappelle dans tous les pays rappelle cette année au prolétariat que le combat pour la libération est le même dans tous les pays. Aujourd’hui, à la tête de l’armée des travailleurs de tous les pays se tient le prolétariat russe, le prolétariat de l’empire de la révolution. Et les combats de ce prolétariat, ses expériences, ses problèmes constituent une école où apprendre pour nos prochaines batailles.

 

Ainsi va cette année le 1er mai, animé par un nouveau souffle puissant, accueilli de nouveau, comme à ses débuts, par la haine et la peur de la bourgeoisie et par l’enthousiasme et la volonté de lutter des masses prolétaires. Dès le début, manifestation pour la journée de huit heures et pour la paix mondiale, elle prend peu à peu la forme d’une révolution prolétarienne. Le 1er mai ne va pas vers son déclin, mais vers un essor inouï, car il sera porté et emporté par le même orage qui gronde à la surface de la société bourgeoise et qui nous conduira au travers des combats les plus intenses, jusqu’aux victoires finales.
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Grève de masse. Rosa Luxemburg

La grève de masse telle que nous la montre la révolution russe est un phénomène si mouvant qu'il reflète en lui toutes les phases de la lutte politique et économique, tous les stades et tous les moments de la révolution. Son champ d'application, sa force d'action, les facteurs de son déclenchement, se transforment continuellement. Elle ouvre soudain à la révolution de vastes perspectives nouvelles au moment où celle-ci semblait engagée dans une impasse. Et elle refuse de fonctionner au moment où l'on croit pouvoir compter sur elle en toute sécurité. Tantôt la vague du mouvement envahit tout l'Empire, tantôt elle se divise en un réseau infini de minces ruisseaux; tantôt elle jaillit du sol comme une source vive, tantôt elle se perd dans la terre. Grèves économiques et politiques, grèves de masse et grèves partielles, grèves de démonstration ou de combat, grèves générales touchant des secteurs particuliers ou des villes entières, luttes revendicatives pacifiques ou batailles de rue, combats de barricades - toutes ces formes de lutte se croisent ou se côtoient, se traversent ou débordent l'une sur l'autre c'est un océan de phénomènes éternellement nouveaux et fluctuants. Et la loi du mouvement de ces phénomènes apparaît clairement elle ne réside pas dans la grève de masse elle-même, dans ses particularités techniques, mais dans le rapport des forces politiques et sociales de la révolution. La grève de masse est simplement la forme prise par la lutte révolutionnaire et tout décalage dans le rapport des forces aux prises, dans le développement du Parti et la division des classes, dans la position de la contre-révolution, tout cela influe immédiatement sur l'action de la grève par mille chemins invisibles et incontrôlables. Cependant l'action de la grève elle-même ne s'arrête pratiquement pas un seul instant. Elle ne fait que revêtir d'autres formes, que modifier son extension, ses effets. Elle est la pulsation vivante de la révolution et en même temps son moteur le plus puissant. En un mot la grève de masse, comme la révolution russe nous en offre le modèle, n'est pas un moyen ingénieux inventé pour renforcer l'effet de la lutte prolétarienne, mais elle est le mouvement même de la masse prolétarienne, la force de manifestation de la lutte prolétarienne au cours de la révolution. A partir de là on peut déduire quelques points de vue généraux qui permettront de juger le problème de la grève de masse..."

 
Publié le 20 février 2009