Extrait du Capital de Karl Marx (livre I) choisi par Maximilien Rubel dans Pages choisies pour une éthique socialiste (Marcel Rivière, 1948, p. 149). Rubel précise avoir utilisé la traduction de J. Roy (1872-75) dans sa réédition de 1938 (t. III, p. 221).
La dette publique, en d’autres termes l’aliénation de l’État, qu’il soit despotique, constitutionnel ou républicain, marque de son empreinte l’ère capitaliste. La seule partie de la soi-disant richesse nationale qui entre réellement dans la possession collective des peuples modernes, c’est leur dette publique. Il n’y a donc pas à s’étonner de la doctrine moderne que [=selon laquelle] plus un peuple s’endette, plus il s’enrichit. Le crédit public, voilà le credo du capital. Aussi le manque de foi en la dette publique vient-il, dès l’incubation de celle-ci, prendre la place du péché contre le Saint-Esprit, jadis le seul impardonnable.
La dette publique opère comme un des agents les plus énergiques de l’accumulation primitive. Par un coup de baguette, elle doue [=dote] l’argent improductif de la vertu reproductive et le convertit ainsi en capital, sans qu’il ait pour cela à subir les risques, les troubles inséparables de son emploi industriel et même de l’usure privée. Les créditeurs publics, à vrai dire, ne donnent rien, car leur principal métamorphosé en effets publics d’un transfert facile, continue à fonctionner entre leurs mains comme autant de numéraire. Mais, à part la classe des rentiers oisifs ainsi créée, à part la fortune improvisée des financiers intermédiaires entre le gouvernement et la nation – de même que celle des traitants, marchands, manufacturiers particuliers, auxquels une bonne partie de tout emprunt rend le service d’un capital tombé du ciel – la dette publique a donné le branle aux sociétés par actions, au commerce de toute sorte de papiers négociables, aux opérations aléatoires, à l’agiotage, en somme aux jeux de bourse et à la bancocratie moderne.
Voir aussi:
- Le rôle du crédit dans la production capitaliste [K. Marx, Capital, III]
- Qu’y a t-il derrière le “New Deal” ? [P. Mattick, 1934]
- L’économie mixte [P. Mattick, 1969]
- Capital Fictif chez Marx-Hilferding et chez les postkeynésiens [P. Chattopadhyay, 2004]
- La relance de la crise par le déficit public [G. Bad, 2009]